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Jeff VanderMeer (Autre)
EAN : 9791030703665
480 pages
Au Diable Vauvert (08/10/2020)
3.88/5   73 notes
Résumé :
« J’ignorais quelle importance Borne aurait pour nous. Je ne pouvais pas savoir qu’il changerait tout. Y compris moi. »

Dans une ville en ruine, détruite par la sécheresse et les conflits, et où les hommes survivent comme des charognards, Rachel trouve Borne lors d’une mission de récupération. Elle le ramène chez elle. Borne est une masse verte vivante, plante ou animal, et dégage un étrange charisme. Mère refoulée, Rachel garde Borne et s’y attache c... >Voir plus
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Jeff Vandermeer est un génie.
Posons ça là, immédiatement, pour clarifier les choses.
Jeff Vandermeer est aussi l'un des auteurs américains les plus injustement méconnus en France une fois sorti du microcosme de l'imaginaire.
L'auteur du monumental La Cité des Saints et des Fous a pourtant connu une seconde chance dans l'Hexagone avec sa Trilogie du Rempart Sud publiée chez Au Diable Vauvert à l'occasion de son adaptation filmique par Alex Garland sous le titre d'Annihilation.
Mais de nombreuses oeuvres de l'américain restent encore indisponibles à ce jour dans la langue de Molière, cela malgré une popularité croissante Outre-Atlantique et un engouement critique qui ne se dément pas avec les années.
Si l'on attend toujours de façon désespérée la traduction de son Veniss Underground, c'est avec l'un de ses ouvrages les plus récents que revient Jeff Vandermeer sous nos latitudes : Borne.
Une occasion forcément immanquable pour le lecteur français de plonger dans l'univers weird et curieusement émouvant de cet auteur unique en son genre.

It's a strange world, after all
Tout commence par une découverte, celle faites par notre narratrice, Rachel, sur la fourrure de Mord, un ours géant qui vole.
Cette découverte ? Borne, un être bizarre, étrange, impossible à cataloguer, tantôt en forme de vase inversé tantôt tentaculaire et végétal.
Intriguée par cette chose, Rachel lui accorde le droit de vivre au sein des Falaises à Balcons où elle vit avec Wick, un scientifique sur le déclin.
Bien vite, Borne se met à bouger, à manger, à changer…à parler !
Mais… attendez une minute… un ours géant qui vole ?
Borne prend place dans une immense cité en ruines, sans nom, abandonnée, effrayante, dangereuse. Tout droit sortie d'un cauchemar Volodinien, la cité n'a pas vraiment de passé clairement défini. Les souvenirs dans Borne sont flous, pour les êtres vivants comme pour la pierre et les rivières toxiques. Jadis, l'univers de Rachel a connu des guerres, des massacres, des accalmies, une lente décrépitude… que s'est-il passé exactement ?
La seule chose que l'on sait avec certitude dans le monde inventé par Jeff Vandermeer, c'est que la cité a vu une mystérieuse Compagnie s'installer en son sein. Un édifice tentaculaire qui l'a drainé de sa substance vitale et l'a inondé de choses recréées, difformes, dangereuses, étranges.
C'est d'une des expériences de la Compagnie qu'est né Mord, un ours plus grand qu'un immeuble et qui a la faculté pour le moins inattendue… de voler !
Depuis, la situation a empiré. Mord fait régner la terreur, ses intermédiaires (de plus petits ours génétiquement modifiés et venimeux à souhait) surveillent son territoire et La Magicienne, une des survivantes de la Compagnie, transforme les enfants abandonnés de la cité pour en faire de parfaits petits soldats à ses ordres.
De loin, Wick et Rachel survivent dans un édifice en ruines, peut-être jadis un immeuble majestueux, aujourd'hui un labyrinthe parsemé de pièges où la biotech de Wick peut saisir l'intrus à n'importe quel tournant. Cette cohabitation fragile bien que profitable pour les deux partis, est mise en péril par l'arrivée de Borne, un nouveau rouage dans la machinerie qui risque de tout déstabiliser. Et si Wick ne lui fait pas confiance, Rachel, elle, se prend à aimer son nouveau compagnon comme une mère…

Weird, Weird…et Weird
Borne n'est pas un roman de Jeff Vandermeer pour rien. Comme toujours, on y retrouve un bestiaire aux confins d'une fantasy malsaine et d'une science-fiction organique en diable, avec des ours géants et des renards intelligents, des enfants-guêpe et des poissons à tête humain. Comme toujours aussi, des leitmotivs, des éléments entêtants qui viennent et reviennent au gré des pages et dans la tête du lecteur, si les ours remplacent les champignons d'Ambregris et si les suricates de Veniss laissent la place aux renards, le principe reste le même : créer un surréalisme horrifique par la répétition, l'omniprésence.
La ville, elle, n'est qu'un terrain apocalyptique de plus de prime abord mais trouve, petit à petit, un caractère propre. Comme le monde imaginaire de Peter Pan redessiné par un scientifique fou, avec des enfants perdus chirurgicalement défigurés et un Peter Pan qui rentre à la maison en bestiole biotech à la fois émouvante et dévastatrice.
Dans l'univers de Jeff Vandermeer, rien n'est ce qu'il semble être, tout cache un vilain secret. Entre les cendres d'une ville détruite et les dépouilles sinistres d'astronautes morts qui n'en sont pas vraiment, Rachel et Borne vont apprendre à s'apprivoiser, à se connaître et à s'aimer.
Mais surtout, à se redécouvrir.

Élever un enfant…différent
Ce grand roman weird, c'est avant tout un roman d'apprentissage, celui d'une créature aussi peu humaine qu'émouvante du nom de Borne. Rachel, pour une raison qui n'appartient qu'à elle (et que l'on comprendra à la toute fin de son récit), s'attache à cet enfant qu'elle a trouvé, un petit être qui ne sait ni parler ni marcher et qui, petit à petit, va grandir, apprendre, changer.
Jeff Vandermeer imagine l'éducation d'une créature non-humaine à l'aune de critères, de sentiments et de jugements humains. Forcément, Borne attendrit le lecteur, maladroit et comique, toujours bienveillant envers sa mère adoptive…mais Borne reste Borne, une créature différente avec une nature profonde qui diffère de l'humain, qui remonte à la surface de façon inévitable. Métaphore de l'adolescence, du passage à l'âge adulte, de l'amour que peut porter une mère à son enfant alors que celui-ci n'en est plus un depuis longtemps, Borne théorise le nouvel adulte sous le signe de l'étrange et de l'absurde, pousse le sentiment de changement à l'extrême, physiquement et psychiquement.
Tout ça pour arriver à une question essentielle : qu'est-ce qu'une personne… qu'est-ce qu'être une personne ? Notre capacité à se mentir ? À se penser personne ? Humain ? À connaître la mort ? le bien et le mal ?
Jeff Vandermeer, sous le soleil post-apocalyptique et le passage régulier d'un ours volant géant dans l'intervalle, brise les rêves imaginaires et confronte ses étranges personnages au réel.

Âmes brisées en quête de souvenirs
Un réel brisé, en miettes, détruit. Un monde cassé qu'il faudrait réparé, mais comment ? Chaque personnage ici incarne l'une des facettes de ce monde en morceaux.
Rachel, la récupératrice au passé couturé de cicatrices, aux recoins obscurs, en besoin d'amour, en besoin d'aimer.
Wick, le scientifique en perdition, rongé par le remord, méfiant de tout, de tous, perdu dans ses créations absurdes.
Borne, l'animal-chose qui voudrait être un « vrai p'tit garçon » , être gentil, être entier pour exister, tiraillé entre ses pulsions meurtrières et son amour étrangement humain.
Même La Magicienne, ennemie errante dont on ne sait rien ou presque, qui rêve de mettre à bas Mord, expérience ratée ou terreur ultime.
Dans le monde créé par Jeff Vandermeer, la vie semble cruelle mais pourtant délicieuse, intense, surprenante. La capacité de l'américain à changer les formes, à transformer de vieux équipements NBC en combinaisons d'astronautes morts, à imaginer des médicaments sous forme de pillules-nautiles, à dessiner des vers-diagnostics et des scarabées de combats, tout ça mène à une sorte de ré-enchantement glauque d'un réel en perdition, d'un réel qui, pourtant, recèle toujours une part de beauté et d'espoir.
L'espoir d'être un jour une personne, de savoir qui l'on est, d'accomplir quelque chose.
La terreur elle, guette toujours, Vandermeer ne déroge pas à ses passions premières. Dans les profondeurs du bâtiment de la Compagnie, sur un toit entouré d'ours venimeux, dans une chambre torturé par des enfants-mutants… la terreur reste mais l'amour aussi, jusqu'à la fin, au-delà du miroir, au-delà du sacrifice.

Roman du pardon et de l'amour, de la mémoire et du malaise, de l'être et du non-être, Borne trouve la beauté absolue au coeur de l'horreur organique et surréaliste dont raffole son auteur. Singulier jusqu'au bout de ses griffes et de ses tentacules, Borne réaffirme encore et encore que l'univers de Jeff Vandermeer reste l'un des plus originaux, des plus forts et des plus beaux de l'univers.
Lien : https://justaword.fr/borne-5..
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Lors d'une sortie en vue de trouver de quoi survivre, Rachel tombe sur un être bizarre, étrange. Elle ne sait pas ce que c'est, ne peut même pas bien dire à quoi cela ressemble. Mais elle s'attache immédiatement à cet être. Elle lui trouve un nom, « Borne ». Puisqu'en quelque sorte, c'est elle qui l'a amené à la vie en le trouvant (« born » signifie « naître » en anglais, pour ceux qui, comme moi, ont un niveau dans cette langue assez limite). Avec lui, avec cet « hybride d'anémone de mer et de calmar », Rachel va ouvrir les yeux sur son monde.

Cet auteur, cela fait un moment que je tourne autour. J'avais regardé sa trilogie du Rempart Sud à la médiathèque. J'ai entamé sa très curieuse Cité des Saints et des Fous. Mais le moment n'était pas adéquat et je l'ai rapidement abandonnée, en me disant que plus tard… Enfin, vous connaissez ça. Et puis j'ai découvert le titre du roman qui paraît en ce mois de septembre : Astronautes morts. Coup de foudre. Mais je me suis rapidement aperçu que ce récit prenait place dans un univers déjà décrit dans une autre oeuvre. Or, je déteste débarquer au milieu d'un spectacle déjà commencé (la même mésaventure m'est arrivée cet été pour la lecture de la mer de la tranquillité d'Emily St. John Mandel). Chacun d'entre nous a ses lubies. Donc, j'ai laissé de côté mes astronautes pour aller vers Borne.

Mais je connaissais la réputation de cet auteur. Et le peu que j'en avais lu, associé aux premières lignes de ce roman proposées par Zoé sur son blog que je suis activement, m'inquiétait un peu. Et je n'ai pas été déçu. On parle de weird science, et ce terme convient tout à fait. Comme chez Jeff Noon (serait-ce une affaire de prénom ? Jeff ?), dans Un homme d'ombres par exemple, tout prend des proportions étranges. Même ce qui pourrait être banal, courant, ne l'est pas. Et là, de toute façon, pas de banalité. Car Jeff Vandermeer met en place un monde hors norme, empli de ses visions. La trame peut en sembler assez classique : scène post-apocalyptique, plusieurs clans s'affrontent, les héros sont au milieu de tout cela et tentent de survivre, un ou deux bons gros secrets pimentent le tout et leur révélation apporte un nouveau regard sur l'histoire. Mais la façon dont l'auteur met tout cela en scène et, surtout, les images qu'il y ajoute ! Je ne suis pas certain que j'aimerais pénétrer l'esprit de M. Vandermeer.

Car tout change de forme. Sortir de son refuge est synonyme de mise en danger. le moindre être vivant semble n'exister que pour faire peur, faire mal, piéger. Même la rivière qui traverse la ville est empoisonnée, repoussoir atroce malgré la soif qui se fait sentir en permanence. En avançant dans les rues, on trouve des « pendus aux lampadaires brisés », des « cadavres mutilés et brûlés ». Car la ville est le terrain d'une guerre. Entre la Compagnie, qui semble avoir créé nombre des horreurs qui tuent encore, malgré sa déchéance, et un groupe dirigé par la Sorcière, dont on ne sait pas grand-chose au début du roman. Et surtout, la ville est sous le pouvoir de Mord, créature créée par cette même Compagnie : un « ours géant » capable, lui, de boire sans dégât dans la rivière empoisonnée ; dont les griffes et les crocs sont capables d'« éviscérer et éliminer en un éclair » n'importe quoi ; qui vole au-dessus de son domaine et tue, sans pitié, sans même s'en apercevoir tout et n'importe quoi. Un monde de folie où survivent, on ne sait comment, plusieurs individus. Dont Rachel.

Rachel, qui forme avec Wick, un couple étrange mais stable. Ce dernier a été lié à la compagnie. On ne sait pas bien comment au début. Juste qu'il semble avoir été un inventeur, un créateur. Et qu'il continue, avec ses faibles moyens. Mais à la Vandermeer. On n'est pas dans un labo design. Non. Wick a une piscine où nagent ses embryons de création. Tout est monstre, de toute façon. Et, la plupart du temps, monstre menaçant de par sa propre nature. Face à cette hostilité permanente, Rachel reste en grande partie humaine. Mais une humaine affûtée, réduite à sa part animale, qui se méfie de tout et est prête à se battre, même contre ses congénères, afin d'obtenir de quoi tenir encore quelques temps. L'arrivée de Borne va tout changer. L'équilibre est rompu : Rachel délaisse un peu Wick, son mentor, son amant, au profit de Borne, son « bébé ». La voilà mère, aux prises avec les affres de l'éducation. Car Borne grandit et veut apprendre. Et cela va tout changer.

Je ne me frotte pas si souvent que cela au genre New Weird, mais j'en sors souvent plutôt satisfait. Et cette plongée, improvisée, dans le monde de Borne ne fait pas exception à la règle. Si je ne sors pas transcendé par cette lecture, j'ai passé un moment très agréable, occupé à mettre des images sur les mots de Jeff Vandermeer, regrettant parfois de l'avoir fait ; à me demander si tout finirait comme je l'avais prévu (en grande partie, malgré quelques surprises qui m'ont étonné) ; à observer l'irruption de ces astronautes morts dont je vais bientôt lire le roman.
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Rachel est récupératrice. Dans les décombres d'une ville ravagée, secouée d'une violence de chaque instant et surplombée par les ruines de la Compagnie, elle cherche tout ce qui se mange, tout ce qui peut être utile. « La ville gisait grande ouverte telle un trésor pour psychopathes. Des gens disparaissaient tout le temps. Des gens mouraient assez fréquemment. » (p. 292) C'est en accomplissant une tournée banale de récupération que Rachel trouve Borne, accroché à la fourrure nauséabonde de Mord, ours haut de trois étages et qui vole. Borne est-il une plante ? Un crustacé ? Ou un assemblage inédit de biotech doué de pensée ? « Rachel, Rachel... qu'est-ce que je suis ? » (p. 130) Être mouvant dont les capacités grandissent chaque jour, Borne est loin d'être inoffensif. Et sans tenir compte de l'amour qu'elle lui porte, Rachel devra accepter la véritable nature de son ami. « Borne m'apprenait continuellement comment le « lire », mais que voulait dire cette forme, à part que j'étais censée accepter l'impossible ? » (p. 137)

Vous qui ouvrez ce roman, ne cherchez pas à tout comprendre ou à comparer avec d'autres textes. Une fois encore, après Annihilation, autorité et Acceptation, Jeff Vandermeer propose une science-fiction qui bouscule tous les codes et refuse toutes les facilités. Tout est étrangement beau dans son monde cruel, et même poétiquement dégoûtant. Il faut sans aucun doute saluer le travail de traduction de Gilles Goulet, car la lecture est fluide en dépit des curieux concepts développés par l'auteur. Magie ou ultra-technologie, à vous de voir par quoi est animé Borne. Moi, j'ai plongé avec délectation dans le récit a posteriori du désastre personnel de Rachel. Jeff Vandermeer excelle dans la construction d'univers où rien n'est certain, où tout est ouvert à l'interprétation. Ainsi, il offre à ses lecteurs la chance d'exercer leur imagination, et c'est un don aussi beau que le texte lui-même.
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Dystopie post-apocalyptique poétique, Borne est un roman atypique, inclassable, qui déstabilisera les repères des lecteurs de SF plus traditionnelle, surtout si ces lecteurs n'ont encore jamais fait d'incursion dans le genre New Weird, dont VanderMeer est l'un des porte-étendard.

Le New Weird est un genre de fiction expérimentale, mettant en scène des mondes étranges, cauchemardesques, bizarroïdes et inquiétants qui ne suivent pas les mêmes règles que notre monde. Les intrigues se concentrent généralement sur l'exploration de ces mondes étranges, les mystères qui les entourent, ainsi que sur les conséquences psychologiques et émotionnelles que cela engendre chez les personnages. Et s'il y a un New Weird, il y a forcément un Old Weird, et celui trouverait ses lettres de noblesse dans les oeuvres démentes de Lovecraft.

Ma première incursion dans ce genre littéraire, elle s'est faite avec un autre roman de VanderMeer, Annihilation. Ça a été un énorme coup de coeur - un coup de foudre dirais-je même. Aussi bien cinématographique que littéraire. Une véritable claque. J'ai été obsédée par le film (disponible sur Netflix), puis par le roman. Des jours durant. L'intrigue était complexe, désincarnée, bizarroïde. Terrifiante dans son étrangeté absurde.

Autant dire que j'avais des attentes plutôt importantes pour Borne. Dans ce roman-ci, on retrouve un univers fondamentalement halluciné, qui déstabilise dès les premières pages en évoquant l'hégémonie d'un tyran cauchemardesque sur l'ensemble des habitants d'une ville en ruines, un ours tueur géant aux proportions colossales. Puis, viendront s'ajouter pléthore d'éléments de décorum, étranges et bizarroïdes, à l'instar d'enfants mutants, de bio-tech à forme animale, d'astronautes morts et de Borne, personnage central du roman. Mais est-ce vraiment un personnage, une personne ? N'est-ce pas plutôt un objet, un animal, une technologie, un être vivant, ou bien toute autre chose dérangeante et inconnue ? Est-ce dangereux ou inoffensif ? Est-ce amical ou hostile ?

Il faudra lire le roman pour avoir les réponses... ou pas ? Dans les romans de VanderMeer, il faut accepter que les mystères n'obtiennent pas toujours des résolutions terre-à-terre. L'interprétation et les fins ouvertes ne doivent pas vous faire peur, au risque d'être frustré. Il faut également avoir l'esprit ouvert et suspendre son incrédulité, accepter que l'univers qui s'ouvre à vous - le monde, les personnages, le roman - ne suit pas les règles auxquelles nous sommes habitués. C'est bizarre, et c'est un euphémisme.

Mais, j'ai trouvé ce roman moins hermétique (je n'oserais pas dire plus accessible quand même) que Annihilation, car l'histoire s'incarne dans son trio de personnages et fait la part belle aux sentiments et aux émotions, là où Annihilation est complètement désincarné, les personnages n'ayant même pas de nom. Si dans Annihilation, le véritable protagoniste est la Zone X, environnement qui porte littéralement les trois romans de la trilogie, dans Borne, ce sont les personnages qui investissent la zone, ici la ville. C'est avant tout l'histoire des personnages qui nous est racontée, et à travers eux, celle de cette ville en déliquescence.

J'ai trouvé ce roman plus poétique que cauchemardesque, même si ça reste une histoire angoissante et violente, où la mort rode partout, tout le temps. Je l'ai trouvé beaucoup moins nihiliste qu'Annihilation, avec une bonne dose d'espoir et d'optimisme, comme un rayon de soleil filtrant à travers les nuages noirs d'une tempête. C'est sombre, mais tout n'est pas perdu.

J'ai donc apprécié ma lecture, et je me suis attachée à Rachel, Borne et Wick - une sorte de famille dysfonctionnelle dont la survie de chaque membre dépend de la survie des autres. Je ne m'attendais pas à ce que l'amour soit si présent dans ce roman, et pourtant, à la fin, cela fait beaucoup de sens.

Bientôt, sortira Les astronautes morts, nouveau roman de l'auteur à paraître en France (ils sont si peu nombreux !) Et c'est une séquelle à Borne, prenant place dans le même univers. L'occasion (peut-être) d'avoir d'autres réponses aux questions qui sont restées en suspens. Je le lirai sans aucune hésitation.
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Au milieu des ruines hantées par l'ours géant génétiquement modifié, il faut bien survivre, tant bien que mal. Et comprendre peut-être ce qu'est Borne, l'étrange petite créature trouvée un jour comme par hasard. Jeff VanderMeer au sommet de son art et de sa création, maître comme jamais des ruses du langage et des représentations.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/14/note-de-lecture-borne-jeff-vandermeer/

Jadis florissante cité scientifique dédiée principalement à la biotech, autour de l'imposant siège social et des nombreux laboratoires souterrains de la Compagnie, la Ville s'est effondrée, comme le reste de la civilisation. Ours géant survitaminé intellectuellement et manipulé génétiquement, ayant depuis longtemps échappé à ses créateurs corporate, Mord, avec ses centaines d'adeptes et d'auxiliaires, règne sur ses ruines cernées par le désert – qui menace chaque année de progresser. Une forme d'opposition au pouvoir de Mord semble exister, plus ou moins souterrainement, incarnée par la Magicienne et ses troupes discrètes d'enfants ensauvagés et quelque peu modifiés. Dans les interstices, une économie charognarde subsiste, friande de pièces détachées et d'artefacts biotech plus ou moins bien identifiés : on y trouve notamment Wick, bio-ingénieur renégat de la Compagnie, chassé en son temps dans des circonstances mal élucidées, et son associée et compagne, Rachel – qui est aussi la narratrice de ce roman, et bien davantage que ce qu'elle semble initialement laisser voir.

Lorsqu'un beau jour, peut-être par hasard, Rachel met la main sur une bien étrange créature qu'elle décide d'appeler Borne (il y a là un jeu de mots largement intraduisible en français autour de born et borne, naturellement), créature dont le développement imprévisible bouleversera peut-être bien ce petit monde en apparence si figé dans sa déliquescence presque terminale.

Au moins depuis « Veniss Underground » (2003, non traduit en français) et « La Cité des Saints et des Fous » (2001), Jeff VanderMeer nous a amplement démontré, bien au-delà de cette étiquette littéraire du « new weird » qu'il a tant contribué à façonner, aux côtés de son épouse Ann, de Neil Gaiman ou de China Miéville, qu'il compte aujourd'hui parmi les plus grands créateurs artistiques contemporains. Son audace perpétuelle a trouvé une juste consécration avec la trilogie du Rempart Sud en 2014(« Annihilation », « autorité » et « Acceptation »), dont le premier tome a fourni la carburant conceptuel du magnifique film éponyme d'Alex Garland, en 2018, avec Natalie Portman et Jennifer Jason Leigh.

Publié en 2017, traduit en 2020 par Gilles Goullet chez Au Diable Vauvert, « Borne » nous introduit avec ruse et flamboyance à un nouvel univers. Au milieu de ces gravats minés de pièges biologiques et technologiques, rebuts précieux et souvenirs délétères, ruines en perpétuel mouvement sous l'effet de la danse de l'ours, il se joue quelque chose comme une tragédie à huis clos, toute de chants et de contre-chants, de manigances innocentes et de non-dits menaçants. Il y a beaucoup de mensonges, de dissimulations, de travestissements et d'omissions dans ce magnifique roman de récupération, où affirmer toute forme de destin semble relever de la gageure absolue pour ses protagonistes, tous claudiquants à divers degrés.

En parfaite filiation avec son travail au sein de la trilogie du Rempart Sud, Jeff VanderMeer déploie ici toute sa puissance dans la création d'êtres et de lieux, mais oriente qui plus est son inventivité foisonnante du côté des frontières poreuses entre naturel et artificiel (« Par-delà nature et culture » dirait-on en une virevolte avec Philippe Descola), du côté de la mise en forme discrète d'une diplomatie apprenante (et Baptiste Morizot ne serait alors peut-être pas si loin) et du côté, en matière d'éducation et d'apprentissage « humains », de l'identité et de ses manifestations, éventuellement conflictuelles. Aussi insaisissable et protéiforme que le « Palafox » d'Éric Chevillard, Borne est comme lui un extraordinaire révélateur de contradictions et d'attentes à déjouer, par la création d'une langue et d'une écriture conçues bien à dessein – et c'est ainsi que la science-fiction, l'imaginaire, le new weird, comme toute littérature, se recréent toujours poésie efficace, perpétuellement hors d'atteinte des modèles de langage dont la statistique portée à échelle inimaginable se voudrait éventuellement souveraine.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Autrefois, c’était différent. Autrefois, les gens avaient des foyers et des parents et ils allaient à l’école. Les villes faisaient partie de pays et ces pays avaient des dirigeants. On voyageait par loisir ou en quête d’aventures, pas pour survivre. Mais à mon arrivée à l’âge adulte, la situation générale était une plaisanterie de mauvais goût. C’est incroyable comme un faux pas a pu se transformer en chute libre et une chute libre en un enfer au sein duquel nous avons continué à vivre tels des fantômes dans un monde hanté.
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« Je sais ce que ce n’est pas, a-t-il dit, redevenu sérieux. Ce n’est pas fait par Mord. À mon avis, Mord ne savait pas qu’il l’avait sur lui. Mais ça ne vient pas non plus forcément de la Compagnie. »
Mord pouvait être retors, et sa relation à la Compagnie changeait en permanence. Nous nous demandions parfois si une guerre civile faisait rage, dans les restes du bâtiment de la Compagnie, entre ceux qui soutenaient Mord et ceux qui regrettaient de l’avoir créé.
« D’où Mord le tiendrait-il, sinon de la Compagnie ? »
Ses lèvres ont frémi, ce qui a rendu plus frappante et plus intense la pureté de ses traits. « Des rumeurs me parviennent. Sur des choses qui errent en ville sans aucune allégeance à Mord, à la Compagnie ou à la Magicienne. Je vois ces choses à la périphérie, dans le désert la nuit, et je m’interroge… »
Des renards et autres petits mammifères m’avaient suivie, ce matin-là. Était-ce ce que Wick voulait dire ? Leur prolifération représentait un mystère… la Compagnie les fabriquait-elle, ou bien cela signifiait-il que le désert gagnait du terrain sur la ville ?
Je ne lui ai pas parlé de ces animaux, car je voulais qu’il m’en dise plus, ce à quoi je l’ai incité : « Des choses ? »
Mais il a changé de sujet sans répondre à ma question. « Eh bien, en apprendre davantage n’est pas difficile. » Il a passé la main au-dessus de Borne. Les vers écarlates qui vivaient dans son poignet en ont surgi pour analyser pendant quelques instants Borne, puis se sont rétractés sous la peau.
« Surprenant. Ça vient de la Compagnie. Du moins, ça a été créé dans la Compagnie. » Il avait travaillé pour elle durant son âge d’or, une décennie plus tôt, avant d’être « chassé, jeté », comme il l’avait formulé au cours d’un des rares moments où il ne faisait pas preuve de circonspection.
« Mais pas par la Compagnie ?
– Il a été conçu avec une économie de moyens à laquelle ne parviennent en général que les comités d’un seul membre. »
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Impossible de le dire autrement : Wick, mon associé et amant, était un dealer, et la drogue qu’il vendait était aussi effroyable, superbe, triste et douce que la vie elle-même. Les scarabées que Wick modifiait, ou fabriquait avec des matériaux volés à la Compagnie, ne se contentaient pas de vous instruire quand vous vous les mettiez dans l’oreille : ils pouvaient aussi vous débarrasser de souvenirs, ou vous en ajouter. Les gens incapables de supporter le présent se les fourraient dans les oreilles pour revivre les souvenirs heureux que quelqu’un d’autre avait conservés d’un temps révolu et de lieux qui n’existaient plus.
La drogue est la première chose que Wick m’a offerte quand on s’est rencontrés, et la première que j’ai refusée, flairant un piège même si cela ressemblait à une évasion. Dans l’explosion de menthe ou de citron vert provoquée par l’insertion du scarabée dans le conduit auditif se formaient de merveilleuses visions d’endroits que j’espérais imaginaires. Ce serait trop cruel, de penser que ce sanctuaire puisse vraiment exister. Y penser pouvait rendre idiot, négligent.
Si je suis restée parler à Wick, c’est uniquement parce que j’ai vu qu’il était blessé que son offre me révulse. J’aurais aimé avoir su l’origine de sa gêne à ce moment-là, au lieu de l’apprendre si longtemps après.
J’ai posé l’anémone de mer sur une table branlante entre nos sièges. Nous étions installés sur un des balcons délabrés accrochés à une falaise rocheuse qui m’avaient poussée à baptiser notre refuge les Falaises à Balcons. Le nom d’origine, sur la pancarte rouillée à l’intérieur du hall souterrain, était illisible.
Nous avions derrière nous le dédale dans lequel nous vivions, et devant nous, en contrebas et voilés par un écheveau protecteur fabriqué par Wick pour nous masquer aux yeux indésirables, les méandres de la rivière toxique qui bordait la majeure partie de la ville. Y mijotaient métaux lourds, huiles et déchets, générateurs d’une brume nocive qui nous rappelait que nous mourrions probablement d’un cancer, au mieux. Derrière la rivière, une lande de broussailles. Sans rien de bon ni de sain, même si, en de rares occasions, des gens continuaient à apparaître sur cet horizon.
J’étais sortie de cet horizon.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? » ai-je demandé à Wick tandis qu’il examinait longuement ce que j’avais apporté. La chose pulsait, aussi inoffensive et fonctionnelle qu’une lampe. Pourtant, une des horreurs infligées autrefois à la ville par la Compagnie avait été de tester sa biotech dans les rues. Transformée en immense laboratoire, la ville, tout comme la Compagnie, était désormais à moitié détruite.
Wick a eu ce sourire mince d’homme mince qui ressemblait davantage à une grimace. Un bras sur la table, jambe gauche croisée sur la droite, vêtu d’un pantalon large en lin trouvé la semaine précédente et d’une chemise blanche presque jaunie par un long usage, il semblait à peu près détendu. Mais je savais que c’était une façade, tant au profit de la ville qu’au mien. Des coupures dans le pantalon. Des trous dans la chemise. Les détails qu’on essayait d’ignorer et qui racontaient une histoire plus véridique.
« Qu’est-ce que ce n’est pas ? Voilà la première question, a-t-il répondu.
– Qu’est-ce que ce n’est pas, alors ? »
Il a haussé les épaules, peu disposé à s’avancer. Un mur s’élevait parfois entre nous quand nous discutions de trouvailles, une circonspection que je ne trouvais guère à mon goût.
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J’ai trouvé Borne quand l’ours géant Mord est venu rôder près de chez nous par une belle journée couleur bronze. pour moi, au début, Borne n’était qu’un objet de récupération. J’ignorais quelle importance il aurait pour nous. Je ne pouvais pas savoir qu’il changerait tout. Y compris moi.
Il ne payait pas de mine, ce jour-là : violet foncé, à peu près de la grosseur de mon poing, cramponné à la fourrure de Mord comme une anémone de mer à demi fermée ayant échoué là. Je ne l’aurais jamais trouvé si, à la manière d’une balise, sa couleur violette n’était parcourue d’une lueur émeraude toutes les trentaines de secondes.
Arrivée à proximité, j’ai senti une odeur de saumure monter telle une vague, et un instant, je n’ai plus été dans une ville en ruine, je n’ai plus été en quête d’eau et de nourriture, il n’y a plus eu de bandes nomades ni d’êtres modifiés en fuite dont les origines et les intentions restaient obscures. Il n’y a plus eu, pendus aux lampadaires brisés, de cadavres mutilés et brûlés.
Au lieu de cela, pendant un moment dangereux, cette chose que j’avais trouvée provenait des flaques de marée de ma jeunesse, d’avant mon arrivée en ville. Je sentais l’odeur de fleurs séchées du sel, le souffle du vent, la fraîcheur de l’eau qui venait clapoter sur mes pieds. La longue pêche aux coquillages, la voix bourrue de mon père, celle plus modulée et plus aiguë de ma mère. La chaleur mielleuse du sable autour de mes pieds tandis que je levais le regard vers l’horizon et les voiles blanches annonciatrices de visiteurs extérieurs à notre île. Si j’ai vécu un jour sur une île. Si cela a été vrai un jour.
Le soleil au-dessus du jaune carié d’un des yeux de Mord.
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Vient un moment, quand on assiste à des événements des plus spectaculaires, où on ne sait ni quelle place leur donner dans le cosmos ni comment les relier au fonctionnement normal d'une journée. C'est pire quand ils se reproduisent, à plus grande ampleur encore, dans un effet domino de ce que vous n'avez encore jamais vu et ne savez pas dans quelle catégorie ranger. C'est perturbant parce que chaque fois que vous en prenez l'habitude, vous poursuivez votre chemin et, à force, il y a une certaine grandeur ordinaire à l'échelle qui place certains événements hors de portée de la réprimande ou du jugement, de l'horreur ou de l'émerveillement, ou même de l'emprise de l'histoire.
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