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Bibliographie de Jérôme Rebotier   (1)Voir plus

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On m'avait tué à l'instant. L'enfant en moi était mort, enfoui quelque part loin de la raison. La naïveté laissait place à l'ignorance et à la peur. Je m'évanouissais presque, je ne savais plus qui j'étais. Mon esprit se réfugiait là-bas, très loin. Je savais que ma mère m'observait et je voulais la rejoindre. Le volcan bouillonnait de plus en plus. Fort. Je ne sais plus si je me mis à pleurer, je ne crois pas. J'étais devant le fait. Je n'avais pas vraiment le choix. Non, je ne pleurais pas, je devais être fort. Je deviendrais le capitaine de mon vaisseau et je mènerais ma vie tout seul. Je m’imaginais portant un casque et une cape de super-héros, délivrant tous ceux que j'aimais. Je rêvais que mon père s’écroulait et roulait dans la pente d’un jardin, je peinais à le rattraper, mais je le sauvais. Avec de la volonté et de l'imagination, j'y arrivais.
Les mois passent et je regarde le ciel par la fenêtre, plusieurs années de suite réunies en un instant. J’ai perdu la notion du temps. Je suis devenu adulte immature dans un corps trop petit. Je ne dois pas en parler, on ne doit pas savoir, il paraît que ce n’est pas bien d’être différent. On m'a appris que l’on n’aime pas les gens différents, on les rejette. Alors c’est mon secret. Je grandis presque comme ces autres, en me sentant quelquefois gênant, un peu de trop, et autour de moi, ceux qui savent font presque comme si de rien n’était, ceux qui l’apprennent me prennent en pitié. Je déteste la pitié! Ceux qui ont pitié vous rabaissent sans le savoir, ceux qui ont pitié vous regardent d’en haut avec cet œil ou cet air attendri qui leur donne de l’importance. Piédestal. Podium. Je préfère qu’on m’écoute. Rien qu’un peu. Raconter, partager, et qu’on observe et adopte mon étrangeté. p. 57-58
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(Les premières pages du livre)
Les cerises et le goudron
Première partie

Une petite maison.
Des cerises.
Je suis en train de déjeuner.
Une toute petite pièce et, sous l'assiette de cerises, une table.
Dans le mur une petite brèche d'où suinte une coulée de goudron.

Je suis soudainement assis dans l’autre sens. Je mange mes cerises comme si de rien n’était.
Le goudron coule lentement sur le sol et le niveau commence à monter.
Je m'observe de très près.

Je mange mes cerises comme si de rien n'était.
Le goudron coule lentement, sur le sol, et le niveau commence à monter.
Je m'observe de très près.

Je recule en me laissant là, affairé à mes cerises.
Je recule encore, je passe la porte et je m’éloigne.

Je recule toujours, longtemps, très longtemps, laissant la maison, moi, mes cerises et le goudron rapetisser jusqu’à n'être plus qu’une petite étoile dans la nuit sombre.

D'ici je ne vois plus le goudron.
Là-bas, je mange mes cerises comme si de rien n’était, je le sais.

…Noir...

1986
La rentrée
Ils sont déjà tous réunis dans la cour au moment où je passe la grande porte du lycée. Teints bronzés et langues déliées. Les restes de l'été sur leurs visages. Émile, Antoine et ses yeux bleus, Jean-Albert, Hercule et puis les autres. En demi-cercle. Les anecdotes fusent. Cette complicité immédiate, l'humour renouvelé par les vacances.
Émile a pris une demi-tête, plus une demi-tête de cheveux dressés dans toutes les directions, et s’est enveloppé d’un imperméable noir qui lui tombe au ras du mi-mollet, une vieille paire de Doc aux pieds joints comme un cornet de glace.
— T'as mis les doigts dans la prise ce matin? lui lance Jean-Albert en plissant la bouche et les yeux d’un air approbateur.
— Poss poss, lui répond Émile en l'imitant.
Antoine acquiesce en souriant et Hercule enchaîne :
— Tu n'aurais pas croisé Vladimir par hasard?
Si, si, il est avec Marcelo.
Un rire aux éclats. Nous sommes les seuls à pouvoir comprendre.
Je les regarde avec le plaisir des retrouvailles tout en leur tapant dans la main. Jean-Albert porte un pantalon beige taille soixante-six qui laisse apparaître la moitié de son caleçon à motif papier peint, Hercule ne manque pas son « Mon Barnabé ça me fait tellement plaisir de te revoir vivant! » en me prenant les épaules dans ses mains, et Émile me glisse un «Alors comme ça t'as changé de nom pendant les vacances?» suivi du petit plissement œil bouche qui demande mon approbation. Je lui réponds:
— C’est quoi ce délire encore ? tout en me faisant la réflexion que quelques minutes seulement de remarques entre copains suffisent à réinventer nos vies.
— Va voir sur le tableau! me répond Antoine souriant.
— Qui est avec qui ? je lui demande.
— J'te dis d’aller voir sur le tableau, il répète.
Je me dirige vers le parloir et je cherche mon nom. D'abord je ne me trouve pas et puis si, en relisant plusieurs fois les listes des classes, je comprends enfin la blague... Bernard Moisin (2de 4), ils m'ont appelé Bernard Moisin au lieu de Barnabé Voisin, les salauds! La voix d’Émile s'approche de moi avec son petit rire moqueur :
— Ça va Bernard? T'as pas un peu moisi en vacances ? Je me retourne:
— Et toi tu t'es déguisé en Robert Smith?
La sonnerie retentit à quelques mètres de nous. Nos tympans claquent et s’envolent. Nous reprenons nos marques. Les élèves se rassemblent par classes devant les numéros notés à la craie blanche sur le sol de la cour. Moi je passe la porte du bureau du conseiller d'éducation et je lance à la secrétaire, qui, tête baissée, attentive, remplit ses formulaires, et sans attendre qu’elle me fasse signe :
— Bonjour madame, je suis pas sur la liste, je vais où ? Elle lève les yeux et pousse un soupir en m’apercevant.
— Ah non! Vous! vous n'allez pas commencer dès le premier jour ! Débrouillez-vous!
— Bah d'accord! Je vais dans la classe de mon choix alors ?
— Ne dites pas n’importe quoi, Voisin! Laissez-moi travailler! Par pitié!
Je me dis un instant que je ne pensais pas qu’à son âge elle ait besoin que je ressente de la pitié pour elle. Bref! Je m'imagine en cardinal, abaissant la main sur ses épaules avec un air condescendant et je l’absous de ses péchés. Je souris pour moi.
— Qu’avez-vous à sourire comme ça? On dirait un nigaud! Allez! filez rejoindre votre classe!
Je sors dans la cour qui s'est vidée entre-temps et bien évidemment je ne sais pas où sont passés les copains de 2de 4. J'en profite pour faire une petite dizaine de pompes sous l’arcade, je fais ça dès que j'ai deux minutes, il paraît que ça maintient en forme, les pompes. De toute façon je suis en retard. Puis je sens la présence de ce type, certainement nouveau pion qui s'approche de moi pour me dire que ce n'est pas le moment de faire le mariole tout seul. Je lui dis: «OK». Je me relève et je prends l'escalier central, J'arpente les couloirs en regardant à travers les portes vitrées des classes. J'en profite pour faire deux ou trois clins d'œil aux copains puis j'aperçois enfin Jean-Albert et Antoine assis au fond d’une salle dans laquelle une vieille prof, complètement babos et portant fièrement une chemise en cuir bordeaux, agite les bras dans toutes les directions. Je toque trois coups bien francs suivis d’un léger silence, puis j'ouvre la porte, je passe la tête, et je dis d’une petite voix: «Bonjour madame, je suis Bernard, Bernard Moisin.» Éclats de rires... je connais une bonne partie des élèves, et Voisin est un nom qu’on n'oublie pas. La vieille babos semble désemparée, vérifie sa liste sur un vieux carnet puis se redresse en reprenant confiance et s'adresse à la classe: «S'il vous plaît ne vous moquez pas de votre camarade, il a peut-être une bonne raison d’être en retard.» Elle me regarde par-dessus ses lunettes :
— Quelle est la raison de votre retard, jeune homme ?
— J'étais dans le bureau du CPE car ils ont fait une faute à mon nom, ils ont écrit Bernard sans h alors que moi c’est Bernhard avec un h, car je viens d’Alsace. Du coup, je me suis mis à faire quelques pompes et j'ai pas entendu la sonnerie.
Rires.
— (À la classe) Arrêtez de rire stupidement comme ça! Je ne comprends rien à vos histoires de pompes, asseyez-vous je suis madame Dubien, votre professeur de français et comme vous vous en doutez votre professeur principal. D'abord on dit «Je n'ai pas» et pas «J'ai pas»! Tenez! Voici quelques fiches à remplir. Je vous préviens, nous allons passer toute l’année ensemble alors mieux vaut bien nous entendre. Et si vous avez des doutes, demandez à votre voisin ! (Rires)
— Merci beaucoup madame!
Je prends les fiches et je vais m’asseoir derrière Jean-Albert et Antoine. On se met à se raconter nos vacances pendant que la babos nous distribue un polycopié avec le nom des autres profs. Je commence à remplir mes fiches et comme d'habitude je note machinalement «décédés» à la case Parents.
«On a Ramirez en espagnol, ça va être encore une bonne rigolade!» je dis à Jean-Albert.
Dubien nous distribue l'emploi du temps, nous demande d'ouvrir nos livres page 40 et le cours se déroule tranquillement jusqu’à la prochaine sonnerie.
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