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Citation de VALENTYNE


Le majordome ne jurait que par l’armée ; aussi jouait-il aux petits soldats avec nous. Chaque matin, il nous faisait aligner pour nous passer en revue. Les boutons de cuivre de nos uniformes rouges devaient briller comme des miroirs, et malheur au mécréant dont le pantalon n’avait pas un pli impeccable. Notre chevelure devait obéir au « règlement» : nous portions la raie de côté et les cheveux collés avec de l’eau ou de la pommade. Au commandement, nous présentions nos mains pour l’inspection des ongles ». Le majordome examinait aussi nos oreilles et notre cou ; il allait même jusqu’à nous renifler comme un chien avec la farouche détermination de dépister l’odeur de sueur.
Un jour, en arrivant à moi, il se mit tout à coup à hurler :
– Qu’est-ce que c’est que ces souliers là ?
Je ne savais que répondre. Pouvais-je lui dire que c’étaient les souliers du maître d’école et que j’avais traversé l’enfer pour les acquérir ? Qu’à cause d’eux, j’avais été jeté en prison, frappé à coups de crosse et chassé de mon village ? Que j’avais dû quitter l’école par la faute de ces maudits godillots ?
Il y eut un silence terrifiant. Le majordome me fusillait du regard, attendant ma réponse. J’avais l’impression que le monde allait s’écrouler.
[…]
– Maman, lui dis-je, j’ai bien peur de perdre ma place.
– Et pourquoi donc ?
– Le majordome n’aime pas mes souliers.
– Qu’est-ce qu’il leur reproche ?
– Je ne sais pas. Ils étaient assez bons pour le maître d’école ; et Dieu sait qu’il vaut mieux, dans son petit doigt, que le majordome dans toute sa personne, monocle et tout.
Cette nouvelle ne parut guère émouvoir ma mère.
– Eh bien, s’il le faut absolument, dit-elle, nous t’achèterons une paire de souliers.
Je n’en croyais pas mes oreilles.
– Et le loyer ?
– Si le portier dit vrai, tu rattraperas le prix des souliers en deux ou trois jours.
–Tu as raison, ma foi. Je n’y pensais pas. J’étais fort soulagé.
Le lendemain, je coupai à l’école d’apprentissage et accompagnai ma mère pour acheter une paire de chaussures. Ce fut une grande date dans ma vie. J’ai sous les yeux mon petit calepin. J’y avais inscrit, dans la colonne du « Doit » : « 18 février 1928 : dû à ma mère, une paire de souliers : 7 pengoe 20. » Et au-dessus : «Pas de chaussures d’occasion. De vrais souliers neufs. »
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