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EAN : 9782072825385
864 pages
Gallimard (06/06/2019)
4.16/5   162 notes
Résumé :
L'Enfant du Danube, c'est Béla, orphelin idéaliste et débrouillard livré à lui-même dans la Hongrie des années 1920. Abandonné par sa mère dès sa naissance, c'est auprès d'une vieille prostituée qu'il ne tarde pas à découvrir la rudesse de la vie et les tourments de la faim. Á quatorze ans, il quitte son village pour Budapest : il n'a rien à perdre et peut-être sa mère l'y attend-t-elle. Garçon d'hôtel exposé aux lumières et aux turpitudes de la capitale, il y fera ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (39) Voir plus Ajouter une critique
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864 pages , moins de trois jours ......Ça, c'est pour moi , un fait bien plus parlant qu'une note .....Alors , oui , le Covid , la pluie , oui, oui , mais pas que , loin de là .Ce roman est pour moi un vrai " gros coup de coeur " , un roman populaire qui va prendre sa place auprès des célébrissimes " Oliver Twist , David Copperfield "de Charles Dickens ou encore de "Cosette ou Gavroche " des inoubliables " Misérables " de Victor Hugo....Oui , mon Panthéon de lecteur vient de s'enrichir d'un invité de marque , un invité d'honneur....
La plongée dans la " cour des miracles " , le " Faubourg des Anges " à Budapest, vous attend....Nous sommes dans les années 30....Dans la chambre où vit Béla trone la " bouteille d'eau de Javel " le dernier recours quand on ne possède rien et que l'expulsion vous guette à la fin de chaque mois ...Bouteille d'eau de Javel.....Qu'est - ce qu'on va en entendre parler.....Heureusement , au coeur de la ville s'écoule le merveilleux Danube , vous savez , ce si beau " Danube bleu " qui charrie ... tant et tant de cadavres , qu'on le fait garder en permanence par des policiers .C'est noir , c'est dur , c'est désespérant et l'on ne trouve que bien peu de motifs d'espoirs pour notre ami Béla .Bela, on va suivre son enfance , et quelle enfance , puis son adolescence auprès de sa mère à Budapest...Les pages se tournent jusqu'à pas d'heure , seules les " paupières " qui se ferment nous obligent à quitter à regret le combat , à demander une trêve, pas à crier " Grâce ! " , non , on ignore ce mot chez " Beaumichel ".....
Cette lutte désespérée entre le monde de ceux qui n'ont rien , qui ne sont rien et ceux à qui on doit tout , qui veulent tout et même plus ,est relatée avec un réalisme cruel et sidérant. Pas étonnant qu'en son temps , ce livre ait été interdit ....une décision qui en dit plus qu'un long discours sur la véracité du " terrible " contexte du récit....
Les personnages ne sont pas trop nombreux si l'on tient compte de la longueur du roman , mais ils semblent tous , les uns et les autres , être un fidèle reflet d'une incroyable réalité, même si le parti pris de l'auteur est évident. On se vautre dans la gadoue , la neige , le froid , la pluie ,la faim , la peur , les humiliations , avec Bela et ses amis, on a froid, faim, on vole mais on reste dignes et si l'injustice , la violence engendrent parfois la haine , c'est la raison ,la soif de vivre et de s'en sortir qui l'emportent.....Pas de désespoir pour qui veut s'en sortir dans ce roman , oh non, mais " la bouteille d'eau de Javel " est toujours à portée de mains , comme une terrible et ultime menace...
Comme il est indiqué à la fin du roman , on ignore qui est le traducteur de ce fabuleux roman...
Même s'il y a quelques redondances , on n'y attache que peu d'importance à mon avis , tant c'est l'histoire , le récit qui occupent tout l'espace....
Voilà. Gros, gros coup de coeur .Je ne sais pas si vous partagerez mon avis mais , franchement , je me dois d'être franc , et je ne peux absolument pas cacher mon sentiment.
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C'aurait pu etre un "bildungsroman", un roman de formation. En fait ca l'est.
C'aurait pu etre une fresque sociale de l'entre-deux guerres mondiales en Hongrie. Et ca l'est.
C'aurait pu etre un conte moral. Ca l'est aussi.
Pour chacun ce pourra etre ou l'un, ou l'autre, ou tout a la fois, ou carrement autre chose.
Pour moi c'a ete une lecture inoubliable.


"Nous ne mourrons jamais!" beuglait Mishka, pere de Bela le principal heros, a tout bout de champ, dans la liesse de la beuverie comme dans la morosite de l'abstinence.
Jamais est un grand mot, mais ils ne mourront pas de sitot, ils resteront vivants dans ma memoire jusqu'a ce qu'alzheimer s'ensuive. Tous tant qu'ils sont. Bela. Et sa mere,enceinte apres une seule nuit d'amour. Sa mere qui ne peut l'elever et le confie aux mauvais soins d'une ancienne prostituee reconvertie en gardienne de batards. Et son pere, disparu apres cette nuit, qui reparait une quinzaine d'annees plus tard et fait eclore un peu de joie pour braver le denuement et le desarroi. Et son maitre, l'instituteur du village, qui force sa gardienne a l'inscrire, lui offre des chaussures pour qu'il ne rate pas l'ecole en hiver et lui donne le gout de l'etude. Et Elemer, groom comme lui a l'hotel de Buda, militant socialiste qui se devoue pour les autres jusqu'au sacrifice de sa vie. Et beaucoup d'autres. Mais surtout Bela.


Bela passe son enfance dans un village. Il connait la faim, les mauvais traitements, mais c'est un dur, un debrouillard, qui subit des injustices mais combat fierement les humiliations. Et intelligent. le plus doue de l'ecole.
Chasse du village a 14 ans (il a vole, pousse par la misere), il rejoint sa mere a Budapest. Il habitera avec elle dans le quartier misereux d'Ujpest, loin du centre de la ville. Dans un taudis dont ils auront toujours peur d'etre chasses, se privant de nourriture pour pouvoir payer le maigre loyer. Quand il sera recu comme apprenti groom (sans salaire pendant toutes les annees d'apprentissage) dans un grand hotel, il fera tous les jours trois heures de marche aller et trois heures retour, n'ayant pas de quoi se payer le tramway. Mais au moins ils mangera a sa faim. A sa faim? Pas vraiment. Il se privera de nourriture pour l'apporter a sa mere.


A l'hotel il realise le fosse qui separe les puissants, les riches, de la masse des demunis qui travaillent une journee entiere pour une miche de pain, quand ils travaillent. Il en sera deroute, en un meme temps et degoute et ebloui. Il sera initie au sexe par une "excellentissime dame" qui le jettera evidemment apres l'avoir utilise. Le sentant degourdi, il sera sollicite a la fois par des mouvements revolutionnaires plus ou moins clandestins (les "communisses" ou "camionistes") et par les nationalistes fascisants. Avec qui marchera-t-il? Qu'est-ce qui l'emportera, sa peur ou sa conscience de classe? Quand il se decidera ce sera trop tard: sa mere, desesperee, se suicide en se jetant par une fenetre; il fuit alors sa vie hongroise et embarque clandestinement dans un bateau pour Vienne. La s'arrete le recit. La finit le livre. On peut imaginer une suite d'apres la vie de l'auteur, qui quitta vers le meme age la Hongrie pour l'Allemagne, puis pour l'Amerique, ou il publia ce livre en anglais, sous un faux nom.


Roman d'apprentissage? Roman de revolte, d'apprentissage de la revolte.
Fresque sociale? Relation poignante des conditions de vie du proletariat et du lumpenproletariat hongrois sous la dictature de l'amiral Horthy entre les deux guerres mondiales.
Conte moral? Un conte sur un gavroche qui se laisse des fois impressionner mais ne se laisse jamais abattre. Qui tombe souvent mais sait rebondir. Qui reve. Qui - on le subodore, on le sait - reussira a petrir son reve en realite.

C'a ete une lecture enivrante, emouvante. C'est pour moi un grand livre.


P.S. Mes amis pardonneront mon "absenteisme". Je leur rendrai visite bientot [desirprojetespoir... :-) ].



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314 lecteurs/lectrices sur babelio.... C'est peu, beaucoup trop peu pour ce roman exceptionnel.
Mon challenge : réussir à convaincre une personne à s'intéresser à ce livre !
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Hongrie années 20
Nous suivons Bela, le double de l'auteur, de son enfance à ses 17 ans. Une enfance rude, difficile, scandaleuse.
Mère non mariée, obligée de trouver un emploi à Budapest, laissant son enfant dans une pension tenue par une ex prostituée dont c'est devenu le gagne-pain....
L'enfant va lutter pour avoir droit à l'école. Jusqu'à son départ pour la capitale à 14 ans et la rencontre avec sa mère. Là un monde étrange pour lui : employé comme groom dans un hôtel 4 étoiles (n'ayant que ses pourboires comme revenu), vivant dans un faubourg misérable. le contraste est finement mis en avant par l'auteur.
Bela découvre ceux qui dépensent en une soirée ce qui pourrait nourrir une famille pendant un mois, lui qui attend la moindre piècette pour avoir de quoi manger....
Il découvre également ceux qui se battent pour changer les choses....
Evidemment on pense à Gavroche, à Oliver Twist.... mais on est au XXe siècle et le nazisme et le fascisme arrivent en Hongrie....
C'est une évidence que l'auteur utilise ses souvenirs, voire son expérience, comme base à ce roman. La description des personnages habitant la maison du faubourg misérable de Budapest est précise, passionnante, mais si triste aussi. On ressent un immense gâchis de talents, de sentiments, de vies dans chacune des pages.
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C'est un livre exceptionnel, marquant, révoltant.
Je ne m'attendais pas à dévorer ce pavé en si peu de temps ! Allez-y n'hésitez pas, il mérite de s'y attarder !!!
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János Székely est né en Hongrie en 1901. Il commence à publier très jeune. Il fuit le nazisme et part pour les Etats-Unis. Là-bas, il est vite repéré par Hollywood comme scénariste. Il publie « l'enfant du Danube » en 1946 sous le pseudonyme de John Pen. En 1956 il est obligé de retourner à Berlin, pourchassé par le maccartisme. Il essayera de retourner dans son pays natal mais il sera rattrapé par la maladie à 57 ans et mourra avant d'avoir obtenu son visa.
Béla est « l'enfant du Danube », un gamin abandonné par sa mère dès son plus jeune âge car elle n'a jamais admis de tomber enceinte. Il est recueilli par une vieille dame antipathique, ancienne prostituée reconvertie en garde d'enfants. L'histoire de Béla commence ainsi, dans la pauvreté, le dénuement. Il n'a que le capital de son caractère combatif et l'espoir de s'en sortir par ses propres combines comme seule richesse. La fatalité ne l'épargnera jamais. Sa vie pleine de rebondissements lui offrira bien des aventures dont il n'aurait pas réchappé sans sa curiosité et sa foi dans la légende qu'il s'ait imaginé vivre. La vie de Béla c'est cette lutte permanente pour se nourrir, au milieu de cette société de « prolo » et de « communisses » qui se piétinent pour accéder au minimum vital, cette hargne à s'en sortir par tous les moyens pour parvenir à l'étage du dessus, par tous les moyens ou presque. le jeune Béla apprend vite l'art de la débrouille au milieu de cette nuée de « bêtes humaines ».
Béla est aussi János Székely. L'auteur raconte sa propre vie, ses émotions, ses fuites, à travers les tribulations du gamin.
« L'enfant du Danube » est la fresque d'un moment de l'histoire où l'inimaginable était encore en gestation : l'entre deux guerres, la montée du nazisme et du communisme en Europe centrale, le capitalisme sauvage et l'antisémitisme car il faut toujours des coupables aux malheurs d'une société égoïste et cruelle.
Traduction de Sylvie Viollis.
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Titre : L'enfant du Danube
Auteur : Jànos Székely
Année : 1946
Editeur : Editions des syrtes
Résumé : Béla est un enfant abandonné par sa mère à la naissance. Dans la Hongrie des années 20, les enfants démunis comme lui souffrent du froid et de la faim. Recueilli par une vieille prostituée, l'enfant doit se battre chaque jour pour subsister. À 14 ans il quitte son village pour Budapest et trouve un travail dans un palace où se presse toute la bonne société Hongroise. Béla y fait l'apprentissage de la vie et tente de se faire une place dans une société cruelle et inégalitaire.
Mon humble avis : L'enfant du Danube est considéré par beaucoup comme un monument de la littérature européenne. Roman autobiographique, il narre l'enfance miséreuse et les déboires de Székely, enfant livré à lui-même dans un pays en pleine mutation. Souvent comparé aux Misérables ou à l'illustre Oliver Twist, ce roman fleuve dresse un constat implacable de la situation des pauvres en Europe au début du vingtième siècle. Roman d'apprentissage mais aussi de révolte, l'auteur, qui immigra en Amérique, le publia sous un faux nom pour lui permettre de remettre les pieds dans son pays natal sans s'attirer les foudres du pouvoir en place. Székely y décrit admirablement bien les affres de la faim, les injustices, les drames qu'il a dû subir pour tenter de survivre dans un pays qui redoute et réprime l'émergence des ''communisses", comme le dit si bien la mère de Béla. Car oui, le petit enfant abandonné retrouvera finalement sa mère et même son père, personnage haut en couleur et fort en gueule. Tous trois combattront la faim ensemble, dans des conditions à peine croyables à notre époque. Malgré les affres d'une vie précaire Béla ne perd jamais espoir, sa vie est tumultueuse, il se lie d'amitié avec des groupuscules révolutionnaires, séduit une riche aristocrate et se prive de repas pour nourrir sa famille. Un personnage forcément marquant, et c'est là où la comparaison avec le Gavroche de Hugo ou le Oliver Twist de Dickens prend tout son sens. le texte de Székely est divisé en deux parties distinctes, la première sur l'enfance de Béla et la seconde qui couvre son adolescence dans la grande ville. Point commun de ces deux parties : la volonté farouche du gamin, son combat pour ne jamais abandonner sa famille et ses rêves. Dans un style qui n'a pas pris une ride, l'auteur relate ce combat quotidien, les privations, les humiliations subies par le petit peuple, les injustices et la cruauté des nantis. L'enfant du Danube est un roman poignant, intense, un roman qui touche au coeur. Sans jamais être larmoyant, Székely dresse de superbes portraits, avec une mention particulière pour le père de Béla, un homme brûlant, pathétique par moment, mais tellement attachant qu'il aurait mérité que l'auteur hongrois lui consacre un roman. C'est à la fois magnifique et hideux, triste et d'une gaieté folle, traversé d'un puissant souffle slave. C'est L'enfant du Danube, de Jànos Székely.
J'achète ? : Nous ne mourrons jamais ! C'est le cri de ralliement du père de Béla. Celui qu'il hurle à pleine voix lors de ses beuveries homériques ou lorsqu'il se met dans des colères noires. Ce leitmotiv résume parfaitement l'état d'esprit de cette famille, une façon de ne jamais mettre un genoux à terre, de faire face à l'adversité, la tête haute. Superbe, encore une fois.
Lien : https://francksbooks.wordpre..
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
C’est la dernière fois que je vis mon maître. Six mois plus tard, sa sœur mourut et il devint de plus en plus impossible. En fin de compte, il y eut une enquête, on le reconnut coupable de menées politiques, il fut révoqué avec suppression immédiate de toute pension. Quand je revins au village, bien peu de gens se souvenaient de lui. On contait encore ses escapades, comme l’aventure de la comtesse ; mais ses propres élèves avaient perdu la mémoire de sa science étonnante et de ses dons exceptionnels d’éducateur. Il devint un héros des histoires de bonnes femmes ; mais sa vraie personnalité était tombée dans l’oubli.
Le nouvel instituteur avait eu du succès. Les notables l’appréciaient avec enthousiasme ; les paysans n’en étaient pas fous, mais ils lui tiraient leur chapeau et admettaient que c’était un brave homme. Il s’acquittait de sa tâche de façon exemplaire ; il ne buvait pas, ne jouait pas ; et si, d’aventure, ses yeux s’égaraient, c’était à la grande joie de toutes les mères de filles à marier. « Il serait de bonne prise. », disaient-elles, non sans raison. C’était un jeune homme travailleur, bien élevé, sans prétention, il venait d’une famille connue de tous. Il était parent d’un conseiller municipal de Budapest, homme de droite, et, comme lui, un de ces hongrois cent pour cent d’origine allemande. C’est ce cousin qui l’ avait fait nommer au village ; et, par un accord tacite, il était convenu que le jeune homme ne resterait pas longtemps dans ce hameau perdu, mais serait transféré à Budapest dès que l’ambitieux conseiller municipal serait devenu ministre de L’Education.
Le nouvel instituteur supprima tout de suite les « causeries de l’après-midi » et ne s’inquiéta guère de savoir si les petits pauvres possédaient des souliers pour venir en classe. Pareille sensiblerie lui était inconnue. Sa mentalité et ses opinions étaient la copie exacte de celle du ministre royal de la Religion et de l’Education publique de Hongrie. Fidèle à sa race, il remplissait ses devoirs à l’allemande, avec précision, discipline et exactitude. En accord avec les lois, édits et règlements en vigueur, il enseignait avec conscience les matières prescrites ; et avec la même conscience, il fermait les yeux sur ce qui était en dehors du programme. Il était le genre d’homme que sa notice nécrologique décrirait comme « un pédagogue exemplaire et d’une moralité de bonne aloi ». C’est grâce à ses « pédagogues exemplaires » que se perpétuait l’ordre social en dépit des millions de petits paysans sans souliers.
Les villageois pensèrent, tout d’abord, que mon maître d’école avait accepté sa révocation d’un cœur léger. Il avait reçu l’ordre de quitter son logement le 1er septembre 1930 ; dans la nuit du 31 août, il fit une fête à tout casser. Le lendemain, le nouvel instituteur arriva pour prendre sa succession ; mais c’est en vain qu’il sonna à la porte. Il dut appeler les gendarmes qui firent ouvrir par un serrurier. On trouva mon maître sur son divan, au milieu de flaques de vin, de verres brisés et de bouteilles vides ; un filet de sang coulait de sa poitrine. Le médecin de la région, qui avait bu en sa compagnie jusqu’à cinq heures du matin, ne pouvait plus rien pour lui. Mon maître était un tireur excellent, il avait visé en plein cœur.
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Le majordome ne jurait que par l’armée ; aussi jouait-il aux petits soldats avec nous. Chaque matin, il nous faisait aligner pour nous passer en revue. Les boutons de cuivre de nos uniformes rouges devaient briller comme des miroirs, et malheur au mécréant dont le pantalon n’avait pas un pli impeccable. Notre chevelure devait obéir au « règlement» : nous portions la raie de côté et les cheveux collés avec de l’eau ou de la pommade. Au commandement, nous présentions nos mains pour l’inspection des ongles ». Le majordome examinait aussi nos oreilles et notre cou ; il allait même jusqu’à nous renifler comme un chien avec la farouche détermination de dépister l’odeur de sueur.
Un jour, en arrivant à moi, il se mit tout à coup à hurler :
– Qu’est-ce que c’est que ces souliers là ?
Je ne savais que répondre. Pouvais-je lui dire que c’étaient les souliers du maître d’école et que j’avais traversé l’enfer pour les acquérir ? Qu’à cause d’eux, j’avais été jeté en prison, frappé à coups de crosse et chassé de mon village ? Que j’avais dû quitter l’école par la faute de ces maudits godillots ?
Il y eut un silence terrifiant. Le majordome me fusillait du regard, attendant ma réponse. J’avais l’impression que le monde allait s’écrouler.
[…]
– Maman, lui dis-je, j’ai bien peur de perdre ma place.
– Et pourquoi donc ?
– Le majordome n’aime pas mes souliers.
– Qu’est-ce qu’il leur reproche ?
– Je ne sais pas. Ils étaient assez bons pour le maître d’école ; et Dieu sait qu’il vaut mieux, dans son petit doigt, que le majordome dans toute sa personne, monocle et tout.
Cette nouvelle ne parut guère émouvoir ma mère.
– Eh bien, s’il le faut absolument, dit-elle, nous t’achèterons une paire de souliers.
Je n’en croyais pas mes oreilles.
– Et le loyer ?
– Si le portier dit vrai, tu rattraperas le prix des souliers en deux ou trois jours.
–Tu as raison, ma foi. Je n’y pensais pas. J’étais fort soulagé.
Le lendemain, je coupai à l’école d’apprentissage et accompagnai ma mère pour acheter une paire de chaussures. Ce fut une grande date dans ma vie. J’ai sous les yeux mon petit calepin. J’y avais inscrit, dans la colonne du « Doit » : « 18 février 1928 : dû à ma mère, une paire de souliers : 7 pengoe 20. » Et au-dessus : «Pas de chaussures d’occasion. De vrais souliers neufs. »
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Il y avait une petite taverne au rez-de-chaussée, dont l’entrée était surmontée d’une ampoule électrique ; je constatai qu’en effet la porte était toujours ouverte. Nous nous mîmes à courir de nouveau. Juste avant d’arriver, ma mère me prit par le bras et nous nous glissâmes furtivement dans la maison, tels deux voleurs. Elle monta les escaliers au galop, ne faisant une pause qu’un instant au deuxième étage pour reprendre haleine. Plus on habite haut, moins le loyer est cher ; nous habitions au quatrième, parce qu’il n’y avait pas de cinquième.
Ma mère s’arrêta en haut des escaliers.
– Je vais faire mes affaires tout de suite, dit-elle. Attends-moi, puis tu feras les tiennes.
Les seuls cabinets de ce palier servaient à toute famille. Je n’avais pas été gâté sous ce rapport chez la tante Rosika, mais il n’y avait pourtant pas de comparaison avec ici. Au village, la planche était récurée au moins une fois par semaine, par la servante ou par moi ; mais ici, aucune main n’avait jamais touché à cette épaisse litière d’ordures amoncelées. Les cabinets donnaient sur la cour, l’eau était gelée, il n’y avait ni papier ni lumière.
Pendant ce temps, ma mère était entrée dans notre logement. Il y en avait douze sur ce palier ; en sortant des lieux d’aisances, je ne pus retrouver le nôtre dans le noir. La maison avait l’air encore plus bizarre vue de l’intérieur. On aurait dit que l’immense brique était creuse. Les logements donnaient tous sur l’espace libre dans le milieu. Ils étaient minuscules : une porte et une fenêtre ; ou, pour les prodigues, une porte et deux fenêtres. Le bâtiment était cinq fois plus profond que large ; aussi, deux des logements sur douze s’ouvraient-ils sur la rue, tandis que les deux autres dominaient une courette étroite et lugubre. À l’extérieur de ceux-ci, passait une galerie à ciel ouvert où s’entassait une épaisse couche de neige; je glissais sans cesse et je ne savais pas où j’étais. Je finis par rappeler ma mère.
Elle parut à l’une des portes.
– Assez braillé ! hurla-t-elle, tu veux déranger Monsieur le gardien ?
Sa voix était indignée, mais lorsque je m’approchais, elle cligna de l’œil pour me montrer que ses reproches était destinés aux oreilles du concierge. Elle ajouta en un murmure étrange et embarrassé :
– Entre, mon fils. Soit le bienvenu et que Dieu te bénisse.
Ceci se passait le 31 décembre 1927 ; au couvre-feu de dix heures, trois mois et demi avant mon quinzième anniversaire. Pour la première fois de ma vie, je me trouvais au « foyer familial », ainsi que certains se plaisent à le nommer.
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Un véritable gentilhomme ne considérait les ouvriers et les paysans que comme une espèce supérieure d'animaux domestiques, créés par Dieu pour le servir. Les jours de la Commune n'avaient pas plus de signification pour lui que le jour où son cheval s'était emballé ; jamais son cerveau si distingué ne songeait à se demander : est-ce par hasard que le communisme a choisi ce pays-ci entre tous les autres ? Il ne prêtait aucune attention aux soucis des pauvres bougres, et les siens ne lui apprenaient rien. Même alors, après que la haute finance eut ruiné sa classe sociale, il continuait à l'appuyer en politique et il ne votait que pour les ennemis jurés du monde de travail. Il avait toujours été le plus ferme soutien de la réaction et, maintenant, il se tournait encore plus vers la droite. Il voyait son salut dans quelque fascisme hongrois pour gens du monde ; pendant quelque temps, il se défia de Hitler uniquement parce que son parti s'appelait Arbeiterpartei ou parti ouvrier. Plus tard, lorsque le parti nazi hongrois fut créé, ce mot détestable se trouva omis du titre officiel ; il y a une limite à tout, pense le gentilhomme hongrois. Les temps peuvent changer, mais les lois divines sont éternelles : un ouvrier est un chien, même sous Hitler : et un homme du monde est un homme du monde, même en enfer.
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L'ivresse était à bon marché, en Hongrie ; les maîtres du peuple, tels les charlatants, utilisaient l'alcool au lieu de remèdes, pour apaiser les angoisses de la misère. Le peuple était abreuvé de vin et de haine, de crainte qu'un beau jour, il ne s'éveille à la réalité. L'ivrogne en haillons battait sa femme, l'ivrogne en uniforme battait l'"ennemi", et tous deux réalisèrent trop tard que leurs véritables ennemis étaient indemnes. "Nous ne mourrons jamais !" avaient-ils hurlé des siècles durant ; pendant ce temps, le pays dépérissait, et bien rarement par la faute de l'"ennemi". Pour nous, la paix a toujours été plus dangereuse que la guerre, car personne n'a inventé de bombe plus meurtrière que la pauvreté.
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Vidéo de János Szekely
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COFFRETS JEUNESSE ALBUM (45,70€) : - Jules et le renard, Joe Todd-Stanton, Ecole des loisirs - Maman noel, Ryan T. Higgins, Albin-Michel jeunesse - Il était une fois la corne des licornes, Béatrice Blue, Little Urban https://www.lagriffenoire.com/100772-coffret-coffret-histoire-poche.html
COFFRET ADO (50,70€): - Cogito, Victor Dixen, R. Laffont - Les pluies, Vincent Villeminot, le Livre de Poche jeunesse - La maison des oiseaux, Allan Stratton, Milan https://www.lagriffenoire.com/100773-coffret-coffret-litterature.html
COFFRET SCIENCE FICTION (55,90€): - Métaquine indications, François Rouiller, Atalante - Chiens de guerre, Adrian Tchaikovsky, Denoel - Chevauche-brumes, Thibaud Latil-Nicolas, Mnémos https://www.lagriffenoire.com/100776-coffret-coffret-detente.html
COFFRET MANGAS (37,80€) : - L'atelier des sorciers 1, Kamome Shirahama, Pika - Bip-Bip Boy 1, Rensuke Oshikiri, Omaké - Dr Stone 1, Riichiro Inagaki et Boichi, Glénat - Heart Gear 1, Tsuyochi Takaki, Kioon https://www.lagriffenoire.com/100777-coffret-coffret-polar.html
COFFRET BD SCIENCE FICTION (57,85€) : - le château des animaux : Miss Bengalore, Delep & Dorison, Castermann - Nathanaelle, Charles Berberian & Fred Beltran, Glénat - The kong crew : Manhattan jungle, Eric Hérenguel, Ankama
COFFRET BD ADULTE (53,85€) : - Monsieur Jules, Aurélien Ducoudray & Arno Monin, Bamboo - Bruno Brazil : Black Program, Aymond & Bollée, Lombard - Lecio Patria Nostra : le tambour, Yerles & Boidin, Glénat
COFFRET BD JEUNESSE (54,95€) : - le royaume de Blanche fleur, Benoit Feroumont, Dupuis - Les quatre de BakerStreet : Les maitres de Limehouse, Dijian & Etien & Legrand, Vents d'Ouest - Raowl : La belle et l'Affreux, Tebo, Dupuis
COFFRET LITTERATURE FRANÇAISE (71,30€) : - Murène, Valentine Goby, Actes Sud - Les simples, Yannick Grennec, Anne Carrière - Rien n'est noir, Claire Berest, Stock https://www.lagriffenoire.com/100783-coffret-coffret-detente-poche.html
COFFRET LITTERATURE ETRANGERE (73,40€) : - Dévorer le ciel, Paolo Giord
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