Rien ne pouvait plus maintenant détourner de son cours l’intolérance engendrée par le nationalisme triomphant : il lui fallait non seulement un Dieu unique et une seule monarchie, mais aussi une seule race. Les persécutions auraient sans doute pu être contenues, sans la menace ottomane qui pesait sur la chrétienté, et si, après la conquête, les Maures ne s’étaient pas retirés nombreux au Maroc pour exciter les pirates barbaresques. Mais il ne devait pas en être ainsi. Les raids de plus en plus fréquents des Algériens pour se procurer des esclaves et du butin nourrissaient l’intolérance. Les Maures d’Espagne, conquis ou non, demeuraient un danger permanent, comme le fait remarquer Louis Bertrand. S’ils étaient restés, écrit-il, "la péninsule, avec ses Maures et ses juifs inassimilables, n’aurait été qu’un territoire de transit, comme les pays du Levant le sont encore aujourd’hui ; un pays hybride, sans unité, sans personnalité. L’Europe aurait eu ses "Levantins" comme l’Asie. L’Espagne serait devenue l’un de ces pays bâtards qui ne subsistent qu’en se laissant partager et exploiter par des étrangers, et n’ont ni art, ni pensée, ni civilisation qui leur soit propre." Quelque cruelle qu’ait été finalement l’expulsion des Maures, elle était inévitable : c’était un cri du sang, de la race, un besoin impérieux.
Cette confiance aveugle dans les intentions de la Russie ne peut s’expliquer que par le fait que Roosevelt et Churchill ignoraient tout de son histoire, ou par l’état de transe dans lequel les avait mis leur propagande prosoviétique. Depuis deux cents ans, la Russie frappait à la porte de l’Europe, et depuis plus d’un siècle, des hommes d’État et des historiens de renom avaient mis en garde les peuples d’Europe contre ses desseins. Il est très intéressant de se reporter à ce qu’ils disaient, non seulement parce que les suites de la guerre montrent à quel point ils avaient raison, mais aussi parce que l’avenir prend sa source dans le présent.
Ce qu’ils reconnaissaient, c’est que la Russie n’a jamais appartenu à l’Europe ; sa civilisation ne doit rien à la culture latine ; elle n’a jamais participé aux Croisades, ni à la Renaissance, à la Réforme et à la guerre de Trente Ans, et elle n’a pas été touchée par la découverte du Nouveau Monde et la Révolution française. Depuis la bataille de Poltava, les Moscovites ont été pour les Européens les "Turcs du Nord" – le fer de lance de la menace asiatique en Europe.