John Stauber

Qui sont les lobbyistes aux États-Unis ? Comment agissent-ils ? L’Industrie du mensonge, ouvrage hallucinant, répond à ces questions. Le tabac, le nucléaire, le traitement des déchets toxiques des industries, l’agriculture, les produits pharmaceutiques, les guerres… Le lobbying établit son emprise sur l’ensemble des secteurs qui rapportent de l’argent.



Qui sont ceux qui font de la propagande ? Le gouvernement certes, mais, curieusement, ce n’est pas de lui dont on parlera le plus ici : les multinationales font appel aux services des agences de conseil, avec la complicité des pouvoirs publics et des médias, pour dissimuler des pratiques aussi immorales qu’illégales. La manipulation de l’ « opinion publique » (mais celle-ci existe-t-elle ?) vise à améliorer leur image auprès du public, et à maintenir l’ordre social : ceux qui détiennent les pouvoirs décisionnels et qui sont membres de l’élite font en sorte que le peuple – vous et moi derrière l’écran, personnes anonymes et placées au bas de la hiérarchie du pouvoir – continue d’accepter sa soumission à l’ordre du monde. Le lobbying a pour objectif de taire les voix alternatives, de simuler la démocratie en apparence tout en occupant au maximum l’expression publique par divers moyens. Pour les lobbyistes d’aujourd’hui, les dissidents à abattre ne sont plus les communistes de la guerre froide mais les écologistes.



Parmi les instigateurs des méthodes de lobbying, deux noms sont à retenir : Edward Bernays, après la Première Guerre mondiale, qui a transformé les cigarettes Lucky Strike en symbole de libération de la femme et encouragé le tabagisme durant tout le xxe siècle ; et Walter Lippman, qui a développé la théorie de la fabrication du consentement des opprimés.



Cet ouvrage regorge d’exemples, tous plus hallucinants les uns que les autres, des méthodes employées par les agences de conseil et les multinationales. Outre la dissimulation de catastrophes et de faits alarmants, l’usage de la langue de bois et le matraquage par des campagnes publicitaires agressives, débilitantes ou faussement éthiques. Les méthodes insidieuses, malhonnêtes et illégales sont courantes car seul le résultat – le profit – compte.



La suite la critique sur mon blog :

http://www.bibliolingus.fr/l-industrie-du-mensonge-john-stauber-et-sheldon-rampton-a80136686
Lien : http://www.bibliolingus.fr/l..

Voilà un livre utile, drôlement bien troussé. Les auteurs entreprennent de démontrer à quel point l'information mise en accès le plus immédiat du grand public – en tête de gondole – est totalement biaisée, faussée, voire purement mensongère. Les exemples abondent, puisés dans la communication en temps de guerre, dans celle orchestrée par le monde industriel et le monde politique, docilement relayée par des médias qui ne se posent aucune question et exposée ici sous la lumière la plus crue. Ou comment des entreprises de lobbying – de communication comme on dit de par chez nous – surpayées, servent les intérêts des puissants au détriment de tout le reste de la population, de la santé publique, de la juste répartition des richesses, de la nature exploitée et polluée sans vergogne. Un refrain bien connu, mais chanté ici d'une manière intelligente et illustrée avec beaucoup de pertinence. Un livre qui démontre que nous ne sommes absolument pas en démocratie, et que nous l'avons certainement jamais été. Que tous les saloperies sont possibles – et surviennent – du moment que ça ne se voit pas, du moment qu'on puisse même les déguiser en bienfaits ou en actes de justice. Il est vrai que nous ne subissons pas les arrestations et internements arbitraires qui sont le lot des dictatures sanguinaires, mais le fait que le cancer s'est généralisé. Ce n'est pas un complot, non, juste une lente dérive orchestrée partout de la même manière, tant les mêmes recettes fonctionnent à l'identique dans un monde totalement asservi aux possédants, au capitalisme et à la finance. Le tableau est très noir, mais pas totalement désespéré. Car des citoyens veillent, alertent, se mobilisent, fondent des (vraies) associations et parviennent parfois, au prix d'efforts démesurés, à renverser la vapeur.



Les auteurs sont étasuniens ; il faut reconnaître que leur pays est le terrain de prédilection de cette industrie du mensonge qui s'est développée là bas avant de se répandre ailleurs avec la même intensité. Aussi, deux journalistes français ont complété chaque chapitre par un rapide état des lieux de chaque thème abordé, en France et en Europe. Ils prolongent la plupart du temps la critique de leurs confrères américains, sauf dans un cas où on les trouve bizarrement complaisants, après la description des batailles menées par les grandes municipalités et les industriels américains pour faire accepter l'épandage des boues d'épuration (qui contiennent nombre de substance à la toxicité persistante) dans les champs cultivés, en les requalifiant d'engrais. On apprend (p120 à 123) que la pratique est commune en France (sauf pour les cultures bio, encore heureux !), mais que cela ne pose pas de problème majeur pour tout un tas de raisons aussi peu convaincantes les unes que les autres. Par exemple, sachez que les légumes qui poussent dans un sol contaminé aux métaux lourds peuvent ne pas en contenir. Je ne sais pas si comme moi vous goûtez bien ce "peuvent". Par ailleurs, ajoutent nos deux mousquetaires, les toxiques se stockent dans l'enveloppe des graines de blé qui est éliminée lors de la préparation de la farine. Les amateurs de farine complète ou de pain complet apprécieront.



Il faut néanmoins pardonner ces quatre pages de dérapage incompréhensible, car l'ouvrage est par ailleurs de salubrité publique... et même totalement prioritaire !