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4.75/5 (sur 12 notes)

Né(e) à : Paris , 1953
Biographie :

Étudie les lettres et la philosophie en khâgne au lycée Condorcet, puis par lui-même au gré des rencontres et des voyages. Traducteur du latin (Ovide, L'art d'aimer), et de l'italien (Leopardi, Pensées, Petites œuvres morales, etc. ; Pavese, La Trilogie des machines ; Giorgio Agamben, L'Ouvert, État d'exception). Enseigne également les lettres classiques à Paris.
Pour les éditions Corti, il a traduit Mémoires de ma vie de Leopardi, édité Straparola, Les Nuits facétieuses et collaboré à la publication de Madame Alavieh de Hedayat .

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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Dans la caverne de Font de Gaume aux Eyzies est sculptée dans la roche la plus ancienne représentation de la tendresse que nous connaissions. Procédant, comme c’est l’usage dans l’art pariétal, par un jeu sur l’analogie des formes, le graveur du paléolithique a discerné dans les reliefs d’une paroi la forme d’une langue et de deux croupes se faisant face. Son œil pré-dalinien y a vu deux rennes s’embrassant face à face. Sa main a gravé les pattes et prolongé les croupes pour dessiner les têtes, puis a ciselé les cornes. Ce sont elles qui permettent de différencier les sexes, grandes pour le mâle et petites pour la femelle. Celle-ci est représentée agenouillée devant le mâle qui lui lèche le front. À travers ce tableau, l’expression d’un sentiment commun à l’homme et à l’animal a su se perpétuer jusqu’à nous à travers les millénaires ; il naît de cette vision, dans la lueur des torches et le silence insondable de la galerie, une émotion extraordinaire, supérieure à celle qui émane des plus grands chefs d’œuvre de la sculpture censément savante de tous les temps.
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La grande faiblesse de l'enchantement marchand, c'est sa tendance irrépressible à la banalisation accélérée. Ses prodigues ne sont qu'éphémères, ses merveilles sans épaisseur. Il est donc obligé de compenser par un éréthisme continuel et de plus en plus exacerbé des sensations chez les sujets à stupéfier, l'ennui et la déception qui dérivent comme une fatalité de ses produits, ou mieux sont contenus en eux comme leur composante essentielle. C'est en une oscillation perpétuelle entre éréthisme et banalisation que consiste l'instable équilibre du système en son niveau psychologique. La pratique des rave parties en est en quelque manière l'expression la plus idéaliste : la liberté informelle donnée par la musique permet aux tendances ménadiques et dionysiaques les plus refoulées de s'exprimer, mais dans le moment abstrait d'une jachère ménagée sur les franges de la vie quotidienne.
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Que seraient nos yeux sans ce qui les protège – sans
les paupières ?
Elias Canetti, Le Collier de mouches, 27.

Une prochaine mutation de l’espèce humaine pourrait se
traduire par le développement continu du tragus de l’oreille,
ce petit triangle de chair protégeant déjà partiellement notre
conduit auditif, et qui se transformerait au bout de quelques
générations en une véritable paupière auriculaire. Plus épaisse
que celle qui couvre notre œil, cette paupière serait, comme
elle, rétractable à volonté, et nous permettrait de soustraire
notre oreille interne aux volumes sonores excessifs auxquels
nous sommes aujourd’hui toujours plus exposés. Chez les
animaux, de même que chez ceux qu’on appelait encore naguère les primitifs, le bruit joue le rôle d’un signal, d’un
avertisseur, indiquant le plus souvent la présence d’un danger. Voilà pourquoi l’oreille doit être maintenue sans cesse en
éveil, et l’on sait que la finesse de l’ouïe est un facteur important de survie dans la lutte entre les espèces. Ceci explique
l’existence d’un pavillon, parfois mobile et très développé,
comme chez les ânes, susceptible de recueillir les sons les plus
ténus ou lointains et de les guider à travers le conduit auditif
vers le tympan, où ils seront analysés comme autant de mises
en garde potentielles. Or, de nos jours, dans nos sociétés
hautement policées, la fonction protectrice du bruit, sans
totalement disparaître, semble bien passer au second plan.
C’est le bruit lui-même qui est devenu un danger et une menace pour la survie de l’individu. Son exposition constante,
volontaire ou subie, à des flots de musique enregistrée, au
vacarme de la vie urbaine, aux sonneries de téléphone qui
ne cessent de le harceler depuis l’enfance, provoque un éréthisme de l’ouïe qui rend inquiétante, presque douloureuse, l’apparition inopinée du silence lui-même. Du reste, tout semble indiquer que ce silence, on ne le supporte plus: on n’a de cesse de le chasser en s’incarcérant le crâne entre les
mâchoires d’un casque, en s’enfonçant des écouteurs dans les
oreilles, ou en passant chez soi une musique d’ambiance à
tous les moments de la journée; il en résulte qu’on ne trouve
plus jamais réunies les conditions indispensables à la simple
méditation, au recueillement banal et allant de soi, qui ne
manquait pas de ponctuer la journée d’un homme ordinaire
lorsqu’il avait fini de travailler, il n’y a guère plus d’un demi-siècle.
Pourtant, retrouver l’usage du silence est une condition
essentielle à la reconstruction des forces de l’individu harassé
par le rythme infernal de la vie actuelle. Plus que jamais le
silence est d’or, et cet or qui ne coûtait rien est devenu une
denrée rare, donc de plus en plus chère. Le silence est un luxe
que ne peuvent se permettre qu’une rare et discrète catégorie
d’oisifs, ceux qui se sont mis en vacances de la consommation. Ils sont encore moins nombreux que tous ceux qui sont
en vacances de la production, les rentiers, les héritiers ou ces
infortunés qu’un accident de la vie sociale ou biologique a
définitivement écartés de la sphère du travail et qui – fût ce avec une maigre pension – ont la possibilité, au moins
théorique, de jouir de tout leur temps. Leur petit nombre
provient du fait qu’ils doivent avoir pris une décision: celle
de ne pas consommer le brouhaha dispensé si généreusement
à tous et de s’y soustraire délibérément. Une telle décision revient à ne pas allumer le poste de télévision, donc à n’en
pas même posséder un; à ne pas tolérer le harcèlement téléphonique, et à ce titre ne pas user, sauf à en éteindre le plus
souvent la sonnerie, de portable, ce mouchard de nos faits et
gestes qui s’arroge le droit de rappeler le salarié au travail au
cœur même de ses jours de congé; à ne pas consommer de
musique préenregistrée dans les transports avec un baladeur
numérique, ni chez soi en tant que simple musique d’ambiance, mais prendre plaisir à l’écouter vraiment. Car cette
soif de musique, en tant que fond sonore ou simple scansion
rythmique, ne correspond à aucun besoin vital. Banalisée
comme ambiance indifférente ou comme cadence incitant
à la consommation tout en en scandant la frénésie, la musique perd toute valeur esthétique. Elle n’est belle que si elle
s’accompagne d’une écoute véritable, solitaire ou non; pour
les uns, c’est à plusieurs que le plaisir musical prend tout son
sens, à la faveur d’une manifestation collective comme dans
une salle de concert ou en plein air dans quelque festival;
pour les autres, c’est dans l’intimité du foyer, avec de bons
enregistrements; mais, dans tous les cas, il faut que soient
réunies les conditions d’une attention effective. Le son, musique ou paroles – et ici l’on ne peut qu’en appeler aux délices
de la vraie conversation – doit redevenir un élément essentiel
et précieux de la journée humaine. Autrement, si l’impérialisme du bruit finit par s’imposer, la nature risque fort de garnir les oreilles de nos descendants de petits clapets de chair.
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134
Dans le rêve certains mots prennent une telle densité qu'ils accèdent à une sorte d'existence d'objet ; on croirait qu'ils ont un corps. C'est là sans doute l'origine de cette puissance matérielle du mot, commune à tant de mythes, ou des comportements magiques rituels ou quotidiens qui font de l'inscription le vecteur privilégié de nos désirs : mots tracés en lettre de feu sur un mur ou apparaissant dans le ciel ; mots lus dans la cendre ou dans le marc ; mots gravés par les bâtisseurs dans la pierre des ponts ou par les amoureux dans l'écorce des arbres.
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Si jamais je deviens aveugle, ce qui, étant donné ma vue très défectueuse, n’est pas du tout exclu un jour ou l’autre, je ne supporterai absolument pas d’être classé parmi les malvoyants ou les non voyants. Je revendiquerai hautement mon titre d’aveugle, à la belle consonance pathétique et poétique à la fois. « Aveugle », ce mot épicène, s’appliquant aussi bien à la jeune fille privée de lumière depuis la naissance qu’au vieillard atteint tardivement de cécité, porte indissolublement en lui la dimension mythique de la divination. Dans l’imaginaire humain, et pas seulement occidental, l’aveugle est toujours celui qui, privé de la vue du monde sensible, est doué de vue intérieure, qui permet de voir le fond des choses et de pénétrer l’avenir. L’aveugle est le voyant suprême, et en retour tout visionnaire est aveugle à la trivialité du monde, à ses petitesses, à sa prose. Appeler l’aveugle non voyant, c’est le condamner à une double cécité en le privant de la vision divinatoire en surcroît de la vision sensible; l’euphémisme, analogue en cela à toute manifestation de pitié, trahit ici la part de mesquine cruauté qui le fonde.
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Pour les Iroquois le monde est né d’un rêve, et c’est à préserver ce rêve afin que le monde ne se défasse pas que l’art
est consacré. Or l’art majeur, chez eux, est celui du perlage.
Peut-être le lointain voyant qui a inventé cet art avait-il eu,
comme les Abdéritains, la profonde intuition que la matière
n’est pas une étendue continue, mais est formée d’atomes,
dont il a fait des perles le symbole. Et, bien entendu, cette
structure atomique, c’est en rêve qu’il l’aura conçue.
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Nul ne se révolte jamais trop. C'est du trop peu en cela que naît la déception. Il en est de la révolte comme de l'amour : l'excès les fait vivre.
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C’est à Étienne Eggis, un poète excentrique et bohème
aujourd’hui bien oublié, petit-neveu de Senancour, que nous
devons l’un des plus jolis mots de la langue française, l’adjectif «ensoleillé». Étant donné la faible audience des recueils
d’Eggis, ce mot ne serait peut-être jamais entré dans le vocabulaire de tous les jours si Théophile Gautier ne l’avait repris
et définitivement imposé. Cet exemple me semble lever un
coin du voile sur la formation collective des mots ou des expressions dans la langue parlée: il y a d’abord une trouvaille,
due à un poète, fût-il le plus illettré des paysans, puisque
toute trouvaille en matière de langage a quelque chose de
poétique; ensuite, il faut que cette trouvaille rencontre au
moins une oreille, qui soit elle-même sensible à la poésie
qu’elle recèle; et enfin, un transmetteur – qui peut, comme
dans le cas de Gautier, être le possesseur de cette même
oreille – apte à reprendre avec suffisamment de conviction
et d’autorité le nouveau mot ou la nouvelle expression pour
parvenir à les populariser.
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La dénomination courante des végétaux traduit souvent
leur apparence sous forme d’une image aux résonances
lyriques ou mythologiques, et leur nom savant, qu’il soit
d’origine latine, grecque ou orientale, est presque toujours
poétique par sa sonorité même. Si nous prenons notre dictionnaire par la fin, et cueillons dans la dernière page le très
méconnu zorumbeth, nous y apprendrons que cette plante
commune du nord-est de l’Inde est proche du gingembre, faisant ainsi partie de la famille des zingibéracées; et qu’à ce titre, elle est classée comme l’amome ou le curcuma dans le genre des Zédoaires. Ne sommes-nous pas déjà en partance pour l’Orient des mythes et des contes, rien qu’à entendre la musique au timbre plutôt baroque et savant des six termes de botanique énoncés dans la phrase précédente ? Mais le zorumbeth a plus d’une manière de s’annoncer: en médecine, où sa racine fleurant le camphre et le laurier a de puissantes vertus sudorifiques, on lui donne le nom aux
sonorités délicieusement spleenétiques de longose; et, dans la langue populaire, il dispose de toute une panoplie d’expressions imagées – fleur de mon âme, larmes de la vierge, fleur du paradis ou gingembre coquille – qui vont comme un gant à une plante portant des grappes de fleurs semblables à celles de la glycine, mais au calice blanc nacré couronnant un cœur
strié d’incarnat.
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Si, comme l'estime Binswanger, le rêve est une fonction de la vie et si l'état de veille représente la possibilité de ‹‹ l'histoire de la vie ››, il faut en conclure que ce n'est qu'en prêtant l'oreille à ses rêves que l'on a quelque chance de bien réussir l'histoire de sa vie. Une histoire qui se coupe des rêves, les récuse, les ‹‹ refoule ›› et ne tient aucun compte de leurs ‹‹ avertissement ›› est une histoire mutilée, une histoire mal vécue. Les Grecs, pour rationnels qu'ils aient été, ou qu'ils passent à nos yeux, ont accordé une importance capitale à leurs rêves, y ont constamment fait référence, dans les poèmes homérique comme dans les dialogues de Platon, et ont poursuivi la pratique populaire de l'incubation dans le temple d'Asclépios à Épidaure jusqu'au début du Vème siècle, en dépit de l'interdiction des cultes païens promulguée par l'édit de Théodose. Car c'est le Christianisme, par la sacralisation de la conscience en tant que conscience morale, qui a dévalorisé le rôle des rêves et les relégués dans l'infra-monde trouble et satanique des représentations corporelles.
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