2.1 Balzac contre Balzac ?
* C’est le caractère systématique de l’architecture de La Comédie humaine qui apparaît le plus fragile ou le plus artificiel. Albert Béguin, pourtant partisan d’une unité de la vision balzacienne, le considère comme une solution compensatoire : « Le génie de Balzac était plus qu’un autre envahi par ce qu’il produisait et inapte à imposer un cadre fixe à ce foisonnement de vie. Les catégories rigides du classement par scènes (de la vie parisienne, de province, militaire, etc.) constituent une solution désespérée et dont le caractère systématique, et il faut le dire un pe enfantin, ne s’explique que par le besoin de compenser le désordre congénital d’une création non gouvernée. »
* L’inachèvement du projet tel que présenté dans le « Catalogue de 1845 » dont cinquante-deux titres ne seront jamais des romans, l’instabilité du classement de certains romans jusque dans l’édition Fume corrigée par Balzac contribuent fortement à faire de ce cadre rigide et définitif le produit du hasard. Et si Balzac avait vécu aussi longtemps qu’Hugo ? Les pratiques d’écriture propres à Balzac, qui considère tout imprimé comme brouillon, et ses propres Œuvres complètes comme un manuscrit à corriger, accentuent l’inachèvement de ce monument, en font un mouvement arbitrairement figé.
* Le modèle balzacien, trop simpliste, se voit bousculer par des approches multiples, historiques, érudites, sémiotiques, génétiques :
« Que Balzac ait donné plusieurs versions différentes de ses propres textes, cela peut s’interpréter de deux façons opposées. Celle qui a prévalu jusqu’à présent correspond à l’image, d’ailleurs réelle d’un écrivain perfectionniste remettant inlassablement son travail sur le métier pour l’améliorer. Mais y a-t-il progrès ou seulement changement de point de vue ? Car une autre conception est possible, qui voit dans cette mobilité le caractère fondamental du texte balzacien. Non pas une défaillance que seules l’importance de l’œuvre et la puissance de l’imagination rendent excusable, mais sa force et sa modernité. L’ensemble des romans de Balzac, si on ne les réduit pas à l’étape : « Comédie humaine », constitue un étonnant texte protéiforme, perpétuellement en mouvement. » N. Mozet, Balzac au pluriel (op. cil, p. 290).