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Citation de GabySensei


Je vais bientôt partir pour Copenhague, annonce-t-elle les yeux baissés, l'espace d'un instant. Ses longs sourcils sont deux ailes légères qui reposent sur ses yeux. [...]

Et voilà.
Elle va s'en aller.
Très bien.
Et loin.
Au-delà de la mer.
Incroyablement loin d'ici.
Ce qui est une bonne chose, alors bon voyage! En quoi cela le concerne-t-il? Il ne s'intéresse pas à elle, il ne la connaît pas, pas du tout même, elle est d'un autre monde, à mille lieues du sien, il y a tout un océan entre elle et lui qu'elle soit à Copenhague ou bien ici.
Mais tout de même. Elle part. Avec ses yeux! Et ses épaules! Elle part.
En laissant derrière elle les montagnes.
Et moi au-dessous.
Et voilà pourquoi la tristesse s'avance vers moi, quelque part dans le soir, avec son fusil chargé, pour m'abattre comme un chien, se dit-il, persuadé que le cynisme de l'existence aura le dernier mot. Pourquoi ne dis-tu rien? lui demande-t-elle sèchement, à nouveau sur le point de piaffer d'impatience. Et arrête de regarder mes épaules! Ce que tu peux avoir l'air benêt!
Celui qui se retrouve abandonné sous les montagnes aux pentes vertigineuses peut en réalité dire n'importe quoi, tout bonnement parce qu'il n'a rien à perdre ni, évidemment, à gagner.

Je ne dis rien car la tristesse est tapie quelque part dans le soir et qu'elle est en route avec un fusil chargé, et si je regarde ainsi tes épaules, c'est parce qu'elles sont plus belles que le clair de lune et que je serais incapables de les décrire, même si je vivais dix siècles, et je...le gamin s'interrompt, les mots viennent brusquement de l'abandonner, une langue entière a été engloutie, ne laissant derrière elle que le silence. Il n'y a maintenant presque plus d'espace entre eux. Il y en a si peu qu'ils respirent le même oxygène, qu'ils se l'échangent et elle a ces épaules, elle le regarde et respire, c'est lui qu'elle respire et tous les mots du monde ont disparu, alors le gamin fait la seule chose qu'il ait à faire: il obéit à ce que lui commande le cœur.

Ses lèvres tourbillonnent un long moment dans les airs. Elles tournoient dans l'atmosphère dont elles traversent les couches et mettent très longtemps à parcourir l'univers avant d'atterrir finalement en douceur sur des épaules aussi blanches que le clair de lune. Ensuite, il les fait remonter lentement sur la peau et jusqu'au lobe de ses oreilles qui est blanc, rigide et doux, il l'entend qui respire, il sent qu'elle pose sa paume sur son ventre, elle prend sa tête entre ses mains, l'incline un peu vers elle et l'embrasse: ses lèvres sont chaudes et elles sont humides et elles sont, elles sont, elles sont.

Ensuite, elle retire ses mains de son visage, fait volte-face, retourne d'un pas pressé vers la salle de restaurant, ouvre, quelques bribes s'échappent par la porte; elle entre, referme derrière elle et les mots viennent mourir par terre aux pieds du gamin.
(P120-122)
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