"Anorexie" était un terme d'une laideur desséchante. Il signifiait "absence d'appétit" – une erreur, puisque les personnes qui en souffraient avaient toujours faim. Dans une étude, je trouvai le terme allemand : die Magersucht. Je l'adoptai, et il devint mon terme privé pour désigner ce dérèglement. Je le préférai à l'autre, non seulement parce qu'il était plus précis – il signifiait "désir d'être maigre" – mais aussi parce qu'il était teinté de poésie et proposait une fusion sonore entre la beauté et la mort. Il donnait aussi à la maladie une intonation vaguement nazie, sinistre. Il me semblait que Ruth, qui tenait un journal à l'image d'Anne Franck, l'héroïne de son enfance, aurait préféré être persécutée par l'ombre de die Magersucht plutôt que par les empiètements laids du banal appétit.