La révolution cubaine est née d'une dictature et a débouché sur une autre. La lutte révolutionnaire fut dure ; les diverses organisations et factions qui y participèrent ne s'épargnèrent ni les coups bas internes ni les luttes intestines. Comme toute révolution sociale , celle de Cuba n'a pu se faire qu'avec la participation de toutes les couches de la société (pas de tous les Cubains évidemment, mais de Cubains issus de toutes les classes sociales et des mouvements politiques les plus divers). Y participèrent des communistes,des libéraux, des démocrates-chrétiens, des ouvriers, des étudiants, des paysans, des intellectuels, des professionnels de tous les secteurs d'activité, des délinquants, et de nombreux membres de la bourgeoisie nationale, sans l'appui (y compris financier) desquels cet événement n'aurait pas pu se produire. Cette unité ne fut possible que parce qu'elle était sous-entendue par une exigence commune : le rétablissement de la Constitution de 1940 violée par Batista(1952-1953); cette exigence fut le dénominateur commun, le pivot et le fil conducteur de la lutte.
Le Che fut l'un des premiers à combattre les attitudes rebelles et les comportements "asociaux" de la jeunesse cubaine. Celle, insoumise, qui refusait de se couler dans le moule, portait des cheveux longs, affichait des airs désinvoltes ou se tournait vers la musique rock, la peinture et l'art, "décadents". Le Che préconisait contre ceux qu'il considérait comme des parasites aussi bien l'usage de la force que le châtiment et l'enfermement.
Canek Sanchez Guevara.
Derrière les slogans de l'entreprise de mythification des services de propagande, on découvre chemin faisant l'homophobie du Che et de Cuba la socialiste, la dureté implacable des chefs révolutionnaires, les duperies d'une caste de privilégiés et les arcanes d'un monde policier omniprésent.Les auteurs dépeignent un tableau saisissant de cette société cubaine empreinte de superstitions religieuses, d'esprit de caste et de préjugés racistes.
Ils chroniquent un Cuba et une révolution méconnus, alimentant les guérillas du monde entier avec cynisme et hypocrisie, une société figée dans un apartheid social, et révèlent même l'existence d'un étonnant "underground" où les jeunes rebelles s'identifient davantage à la culture rock, punk ou hippy, à la peinture surréaliste stigmatisée par le pouvoir qu'à la martyrologie officielle et aux codes de la bourgeoisie révolutionnaire. Une jeunesse bien plus séduite par les chansons d'un John Lennon, longtemps interdites à la Havane,ou celles des Sex Pistols, que par la geste guévariste promotionnée et exploitée par l'oligarchie cubaine à son profit exclusif.
Canek Sanchez Guevara.
On y trouve la confluence de deux traits essentiels de la culture cubaine. Le premier est cette propension à la divination héritée de la culture yoruba importée dans l'île par les esclaves, à laquelle vient s'ajouter le "futurisme " socialiste qui se résume en une formule disant en substance qu'"en suivant cette voie (socialiste), nous construirons une société plus libre". En réalité, cette expression dialectico-marxiste se nourrit du christianisme le plus rance : si on se conduit bien, un monde meilleur nous attend après la mort. Le second trait, contenu dans l'expression"si le Che était vivant", c'est le fatalisme: on constate que tout va mal, mais que la seule personne capable d'arranger ça est déjà morte. Ce fatalisme ne fait qu'accentuer et perpétuer l'immobilisme social mais, aussi étonnant que cela puisse paraître , le fidélisme s'en nourrit.
Canek Sanchez Guevarra.
C'est qu'après trente ans de révolution , le racisme restait aussi vivace à Cuba qu'aux premiers jours de l'esclavage africain. Un racisme qui éclatait dans la vie quotidienne au détour de chaque phrase, dans l'usage d'expressions si communes que personne n'y prêtait plus attention, bien que leur sens soit resté le même....
Malgré les discours pompeux en faveur de l'égalité raciale, les prisons étaient templis de noirs, et les ghettos ne cessaient de s'étendre...Bien sûr, cela s'était beaucoup amélioré par rapport à l'ancien régime, mais on n'avait pas atteint l'égalité sociale, parce que qu'il y a des choses que l'on ne peut pas arrêter à coups de décret, et qu'aucun gouvernement ne peut résoudre les problèmes profonds d'une société si elle n'est pas elle même disposée à le faire.
Canek Sanchez Guevara
Ce qui est sûr, c'est que la lutte contre l'exploitation reste d'actualité dans le monde entier, mais ce qui est clair aussi , c'est que la la solution ne se trouve pas à Cuba...
L'avenir n'est pas là-bas ou, plus exactement, l'île est restée ancrée dans un passé resté non résolu: celui d'une révolution qui a fini par se saborder à force de mépriser la dynamique de la société et d'abondonner le pouvoir aux mains d'un seul homme. Ce n'est pas le communisme en tant que force libératrice qui a échoué à Cuba(et en URRS), mais cette conception très spécifique de communisme autoritaire, vertical, policier et "antisocial"dans lequel le sommet du système s'est de plus en plus éloigné et coupé du peuple en interposant entre eux un mur de bureaucrates et de policiers.
Canek Sanchez Guevara
L'idée qu'un barbu du haut de son Olympe étatique nous dicte ce que devaient être nos aspirations, nos comportements, nos intérêts et nos priorités pour l'avenir nous semblait totalement ridicule. Il voulait même régenter nos goûts en matière culturelle ; on se demandait comment une telle arrogance . Comment ce pauvre vieux pouvait se croire capable de connaître et de comprendre la jeunesse, si différente de lui. Mais surtout, et je pense que tous mes amis en conviendraient maintenant avec moi: le nationalisme nous horripilait.
Jorge Masetti.
Comme à Cuba en 1959, une grande partie de la population avait participé à la lutte contre Somoza. Bourgeoisie progressiste, marxistes et sociaux démocrates du Front Sandiniste. Mais comme disa it le Che: "Ou Révolution socialiste ou carricature de révolution". Les sandinistes s'empressèrent d'oublier les promesses qu'ils avaient faites, notamment celle qui annonçait le rétablissement de la démocratie.
Canek Sanchez Guevarra.
A Cuba, être "révolutionnaire" signifiait soutenir le régime et le pouvoir, obéir au Chef(et à tous les chefaillons médiocres qui végétaient dans son ombre),ne jamais remettre en question les décisions du gouvernement, ni se montrer rebelle, ne jamais être en désaccord avec les vérités officielles ni mettre en doute la Parole véritable : c'était ça être "révolutionnaire".
Ainsi le nom du Che , dans les jeunes générations notamment, se traduit-il souvent par un homme révolté alors qu'il est plus qu'incertain qu'il en ait été réellement un. Derrière la face d'ange se cachait plutôt un idéologue sévère et rigide , à la dureté insoupçonnable, allant jusqu'à faire , dans une lettre, l'éloge du camarade Staline.