La Technique convertie en système total, c'est à peu près ce que décrit Jacques Ellul dans son premier livre. La Technique, en prenant de l'ampleur, se fait autonome, se justifie et s'explique elle-même. Elle trouve en elle-même les solutions aux problèmes qu'elle a créés : si l'eau potable devient rare, elle inventera un purificateur ; si la personne qui travaille à l'usine souffre de dépression, elle inventera des antidépresseurs ; etc. Les plaisirs et les divertissements seront eux aussi techniquement organisés afin de parvenir plus efficacement aux masses de population désormais contraintes de s'adapter à un environnement totalement modifié.
La discussion soulevée par Landauer en faveur d'un mouvement émancipé des dogmes bien établis du progrès et de la technologie est aujourd'hui entièrement d'actualité. Comme l'est aussi ce problème fondamental qu'est le passage à une société nouvelle à partir d'expériences constructives et autonomes telles que les coopératives agricoles, les écoles libres, les réseaux alternatifs de distribution de biens ou les réseaux d'entraide fondés sur l'échange de services. D'une part, toutes ces expériences offrent la possibilité de vivre dès aujourd'hui, en partie, d'une autre manière. Cela constitue une authentique opportunité d'éducation à des formes d'autonomie. Ces expériences ont une valeur intrinsèque car elles induisent chez ceux qui y participent des attitudes et des comportements préfigurant une société égalitaire, plus équilibrée et en harmonie avec la nature. D'autre part, et de façon plus immédiate, elles peuvent offrir à certains groupes la possibilité de survivre plus dignement et d'échapper en partie à la schizophrénie de la société industrielle, où la plupart des emplois contribuent généralement à soutenir un système et sa dynamique destructrice. Ces expériences sont en tout cas une voie ouverte à la désertion et c'est déjà beaucoup par les temps qui courent...