Le soir tombe, et c’est l’heure où se fait le miracle,
Transfiguration qui change tout en or ;
Aux yeux charmés tout offre un ravissant spectacle ;
Le modeste fossé brille plus qu’un trésor ...
La Société des Beaux-Arts ouvrait aussi, chaque année, une petite exhibition locale où j'ai pu connaître les produits du crû. Je dois avouer que j'y admirais des toiles qui me sembleraient détestables aujourd'hui.
Qu'elles étaient savoureuses, certaines de ces toiles pour mes yeux naïfs et ignorants! Ce sont les mêmes que je rencontre parfois en voyage, lorsque je traverse des musées de petites villes : elles dorment là, vieillottes, pauvrettes, enfumées, visqueuses, délayées et craquelées en rond comme c'est l'habitude (je ne sais pourquoi) des peintures de province.
Aurore
La glèbe, à son réveil, verte et toute mouillée,
Autour du bourg couvert d’une épaisse feuillée
Où les toits assoupis fument tranquillement ;
Dans la plaine aux replis soyeux que rien ne cerne,
Parmi les lins d’azur, l’oeillette et la luzerne,
Berce les jeunes blés pleins de frissonnement.
Sereine et rafraîchie aux brumes dilatées,
Sous l’humide baiser de leurs traînes lactées,
Elle semble frémir dans l’ivresse des pleurs,
Et, ceinte des trésors dont son flanc large abonde,
Sourire à l’éternel époux qui la féconde,
Au grand soleil qui sort, vibrant, d’un lit de fleurs.
L’astre vermeil ruisselle en sa gerbe éclatante ;
Chaque fleur, alanguie aux langueurs de l’attente,
Voluptueusement, vers le foyer du jour
Tourne sa tige et tend son avide calice,
Et boit ton charme, Aurore, et rougit de délice…
Et le germe tressaille aux chauds rayons d’amour.
Dans le rayonnement immense du soleil,
La prairie, où toujours paissent les vaches brunes,
Ondule comme un lac de gazon jusqu'aux dunes
Qu'un ciel merveilleux baigne au fond de l'air vermeil.
Une exquise rosée irise l'herbe rase,
Broutée incessamment par les nombreux troupeaux,
Et met un nimbe au front des bêtes dont les peaux
Reluisent aux endroits qu'un trait de flamme embrase.
Parmi les beuglements répétés alentour,
L'étalon, redressant son col souple, déploie
Ses larges reins où court un long frisson de joie,
Et, superbe, hennit dans la gloire du jour.
Qui n’aime ces jardins des humbles dont les haies
Sont de neige au printemps, puis s’empourprent de baies (...)
Jeanne, Chant VI
C'est elle. Sur son sein tombent des plis de toile;
Entre les blonds épis rayonne son œil noir;
Aux franges de la nue ainsi brille une étoile;
Phidias eût rêvé le chef-d'œuvre que voile
Cette jupe taillée à grands coups d'ébauchoir.
Laissant à l'air flotter l'humble tissu de laine,
Elle passe, et gaiment brille la glane d'or,
Et le soleil rougit sur sa face hautaine.
Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine,
Et le regard charmé pense la voir encor.
Camille Corot, et ensuite Théodore Rousseau, furent des novateurs modestes, inconscients à leurs débuts. C'est plus récemment qu'est née, dans quelques esprits trop aventureux, l'absurde prétention de créer un art de toutes pièces. Nos deux futurs grands peintres consultèrent d'abord les maîtres anciens dont ils pénétrèrent le sens. Pour voir plus loin, pour découvrir de nouveaux horizons, il faut se placer sur les plateaux déjà conquis. Sans cela, c'est se condamner à errer dans l'obscurité barbare pour ne jamais en sortir.
Le camp des romantiques chercha en vain à ériger en système, à établir en théorie ce qui était insaisissable, pure émanation géniale. On fit grand tapage, on se disputa pour des nuances à peine appréciables. Les plus ardents portèrent des cheveux démesurément longs, des pourpoints, des souliers à la poulaine ; rien n'évoqua l'inspiration féconde ; tout était dit par le maître ; il n'y avait plus rien à trouver dans sa voie et l'on fut réduit à des imitations nulles d'intérêt. Cependant des talents mixtes cherchaient à concilier la couleur de Delacroix avec la forme des dessinateurs.
Eux-mêmes les artistes furent trop pris dans l'action pour avoir le loisir de la peindre. Effarées au centre d'une agitation continuelle, manquant de recul, les âmes créatrices, comme celle de Prud'hon, se réfugièrent dans l'asile que leur offrait l'étude des temps anciens ou dans les allégories ayant quelque similitude avec les préoccupations présentes.
Je n’imagine rien de plus charmant à voir.