VERS LE MIDI
à Paul Beawlry
Frileuses et frileux, vous fuyez nos hivers,
Vous craignez les frimas et suspectez la neige,
Vous faites tous les ans le précieux manège
D'emprunter du soleil aux tropiques divers;
Et vous dédaignez voir, aux sapins toujours verts,
Un peu de blanc duvet sur la ramille beige.
Votre oreille se crispe, en écoutant l'arpège
Des grelots, quand les toits sont d'hermine couverts.
Vous êtes délicats, et la moindre froidure
Recèle une rigueur évidemment trop dure,
Pour le débile sang qui gèle en votre corps.
Partez. Et si jamais un ciel de feu vous navre,
Souvenez-vous, en abordant l'ultime havre,
Que le froid de chez nous ressuscite les morts.
IA CATALOGNE
à Joseph-A. Lapointe
Vous foulez, délicats, les beaux tapis persans,
La carpette moelleuse à la frange légère,
Les dessins tapageurs, les coloris perçants,
Et tout ce que fournit l'industrie étrangère.
Vous aimez l'aubusson aux plis amortissants,
La natte de velours qu'on met sous la bergère,
Les smyrnes, les jaspés, les lices en croissants,
Ln rose, en arabesque, en iris, en fougère.
Mais dans tout ce fouillis d'écarlate ou de chrome,
Dont la maison du riche un jour s'accommoda
Et qu'on voulut singer sous l'humble toit de chaume,
Je cherche, pauvre gueux sans bourse et sans dada,
Un modeste tissé que la lessive embaume :
La Catalogne aux fils tordus du Canada.
Ce recueil de poésies, que M. Jules Tremblay présente au public, est un livre canadien puisque l'auteur est né au Canada, qu'il écrit une des deux langues du pays, et que le livre est publié à Montréal. Que le lecteur cependant ne se méprenne pas entre la signification littérale des mots et leur sens généralement adopté, et qu'il ne cherche pas, dans ce volume, de la littérature nationale; car l'auteur considère— opinion que je laisse à sa responsabilité — que nous, Canadiens-français, n'avons pas de littérature nationale parce qu'il nous manque une langue propre: nous importons notre dictionnaire de France comme les Canadiens-anglais importent le leur d'Angleterre.