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Critiques de Julien Boutreux (2)
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J'entends des voix

Écrit en vers libres, ce petit opuscule est en fait constitué de deux parties, de deux livres en un seul. Dans le premier, Julien Boutreux évoque son métier "vachement cool" ou plutôt de ses "différents jobs", au pluriel, puisque tantôt il s’agit de "garder les yeux ouverts la nuit", soit d’être insomniaque, "un vrai boulot de merde" (p. 31) ; tantôt il s’agit d’"apprendre à déglutir aux gens" (p.32). Dans la deuxième partie, le second chapitre, J. Boutreux évoque cette fois les voix qu’il serait supposé entendre, soit les mots de personnalités historiques célèbres, d’auteurs ou d’intellectuels, qu’il s’agisse de "Vercingétorix" (p. 57) ou de poètes contemporains, tels Ghérasim Luca, Christophe Tarkos (1964-2004), ou encore Jude Stéfan. Schizophrène par choix, J. Boutreux tutoie directement les sommités, n’hésitant pas à déclarer Dieu à la fois "mongolien, hydrocéphale et un peu neuneu" (p. 48), ou encore à moquer "Platon et ses aristocrates épris de spéculation intellectuelle" qui, somme toute, "ne font que ça/glander sous le soleil de l’Attique" (p. 81). Une forme de relâchement volontaire, sur le fond comme sur la forme, domine l’ensemble. Le fond, c’est cette liberté de ton, cette manière irrévérencieuse de tutoyer les grands, le Tout-Puissant ou son fils Jésus, de mélanger anachroniquement l’actualité et le passé. La forme, c’est ce verbe délibérément familier, voire trivial, ce langage quotidien, anglicisé, cet art consommé de briser l’esprit de sérieux, ce rejet du classicisme, de la pompe, des termes savants : "Alors j’ai parlé à Pierre de Ronsard (…)/il voyait comme un fossé/un précipice/entre nos arts poétiques (…)/il y a du beau quand même/quand on ne cherche pas le beau" (p. 59).



Pareille esthétique s’inscrit dans la logique du Citron Gare, animé par Patrice Maltaverne, auteur, blogueur, critique et créateur du fanzine "Traction-Brabant". Illustré par Dominique Spiessert, tout en noir, à l’instar des "Chats de Mars", "J’entends des voix" procède du même nihilisme que les "Poésies incomplètes" de Régis Belloeil. Rajoutons-y une forme de drôlerie, de provocation. La mélancolie pointe souvent, au détour d’une phrase, d’une expression, notamment lorsque l’auteur s’adresse à Gérard de Nerval, le fou, le suicidé : "pendu/dans ta ruelle crasseuse/la mort/t’a emporté vers des rivages moins désolés" (p. 61). Sauf que l’humour nous sauve. Ne croyant ni dans le Christ, "sorte de grand yogi raté" (p. 77), ni dans Platon, ni même dans Jeanne d’Arc, pure fiction du grand roman national, Julien Boutreux s’en sort par un rire amer, en provoquant des situations décalées, incongrues, en exerçant des tâches bizarres, ou en ridiculisant les puissants. Et si l’Histoire semble vaine, si nous ne pouvons nous tourner vers la "psychanalyse de Freud" (p. 72) vers la spiritualité, les mystiques comme Hildegarde de Bingen (p. 75), si "même la mort c’est bidon" (p. 73), alors nous reste, outre la raillerie, ce lyrisme asséché, accidentel mais réel, baume ou pansement : "la folie t’habitait peut-être/la poésie te possédait/son autre nom aux lèvres de feu/ce rêve incompatible/avec tout le reste" (p. 63).



Article paru dans "Diérèse" 78. Etienne Ruhaud
Lien : https://pagepaysage.wordpres..
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Vous qui rampez sous ma peau

« L’œil de l’œil des choses »



Le bestiaire est un genre à part qui, quand il est associé à l'imaginaire du poète prend une dimension toute autre : pourtant il n'est pas tant, ici, question de métaphore, mais plutôt d'une sorte d'évocation enfiévrée de la Nature. Une ode sans périphrase.

Même si l'auteur ne les catégorise pas (préférant l'ordre alphabétique), nous dénombrons plusieurs styles d'entités peuplant ce recueil. Parmi celles-ci les insectes, les reptiles, végétaux, et d'autres encore qui n'en sont pas (des bestioles) comme les pierres ou les flammes. Mais cela reste en grande partie du vivant négligé, dirais-je... Si les blattes « dures et pleines » et les chenilles « velues et urticantes » n’échappent pas au courroux du poète, d'autres espèces se voient peu ou prou sauvées, et c'est avec une étrange tendresse, matinée de crainte, pour ces animaux que l'on aime le moins que le poète vient caresser de ses mots le fourmillant biotope qui l'habite. Une manière de se faire pardonner, en tant qu'humain, de la manière dont nous les traitons ? Pas exactement.

Nous découvrons donc un homme recouvert de vivant grouillant, de « purs crapauds gras accroupis » ou encore de larves qu'il accepte dans son bain, et même si leur contact le révulse. Un narrateur assez résigné qui se laisse envahir, qui a arrêté de lutter. Il a perdu le contrôle. Bientôt, ce sont les méduses qui lui inondent l'estomac et qu'il ne digère pas. Les scolopendres : « créatures grouillantes qui rêvez dans l'ombre, mandibules patientes en embuscade » et dont la morsure comme une épée de Damoclès pend au dessus de la tête de notre poète aux abois. Une altérité totale, prise comme elle vient et respectée pour ce qu'elle est, mais qui n'en reste pas moins effroyable.

Bêtes qui colonisent l'esprit, l’assujettissent ? C'est par exemple le cas des araignées du soir dont le poète demande l'intrusion fatale dans son corps à demi-mort : « soyez mignonnes, je vous aime bien, infiltrez-vous, quand j'inspire entrez, quand j'expire restez (...) ». Nous voici possédés : les mains, « petites choses vivantes à coté de nous », les spasmes « logent dans les muscles, s'agitent parfois ». Nous ne sommes plus qu'un habitacle, un prétexte pour nos membres remuer et tout ce qui nous traverse comme force, amalgamé à la créature-reine qui enclenche l'anima de tout ce qui se meut à la surface du globe.

C'est, pour Julien Boutreux, l'occasion d'exposer la beauté dans l’ineffable et de s’atteler à l'établissement d'une métaphysique singulière du monde. Ainsi le vol des oiseaux, « l'infime signe indéchiffrable à l'horizon lointain », idéal inatteignable pour un homme pesant ; au fond de la mer, des « poulpes qui saignez pour nous vous êtes autant de christs venus pour notre salut mais personne ne vous a entendus, vous prêchez dans un désert océanique », éternels mais ignorés octopodes à l'intelligence rare et qui s'offrent à la rédemption dans le monde du silence ; enfin les scarabées sur lesquels « Des hiéroglyphes oraculaires sont paraît-il gravés sur l'abdomen, pour qui saura les déchiffrer ». Une cosmogonie animale, pour le dire autrement, postulant une organisation dans les méandres, et pour finir « l'univers lui-même a la forme d'un œuf, macérant en son sein le sens d'un monde ultérieur »

Au terme de ce voyage sinueux, plus abattus qu'ébahis, nous effleurons quelques mystères. Le livre se ferme sur « l’œil de l’œil des choses » lui-même fermé ou ouvert, essence terminale qui dit ou qui se tait, qui englobe et qui écrase, et qui élève jusqu'au cieux cathartiques pour libérer, par le simple fait d'avoir lu.
Lien : http://p-andrean.blogspot.com/
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