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Citation de Woland


Extrait de "La Vie Secrète du Seigneur de Musashi" :

[...] ... [Les femmes] étaient au nombre de cinq. Trois d'entre elles avaient posé chacune une tête devant elles, aidées des deux autres. L'une des trois versa de l'eau chaude dans un baquet et lava [l'une des têtes], secondée par une assistante, après quoi elle posa la tête sur un plateau, qu'elle passa à sa voisine. La deuxième se mit à peigner la tête ; la troisième accrocha une étiquette à son tour. C'était dans cet ordre que leur travail se déroulait. A la fin, les têtes étaient alignées sur une longue planche de bois, derrière les trois femmes. Pour les empêcher de tomber, des clous dépassaient, sur lesquels les têtes étaient fichées.

Entre les trois femmes, deux lampes avaient été posées, qui éclairaient assez bien la pièce : comme il s'agissait d'une mansarde dont on touchait le plafond de la tête, Hôshimaru [nom porté par Terukatsu avant son entrée dans l'âge d'homme] pouvait englober d'un seul regard le spectacle. Il n'était pas choqué outre mesure par les têtes elles-mêmes, mais il éprouvait un mystérieux intérêt pour le contraste qui opposait les têtes et les trois femmes, car les doigts des mains qui manipulaient les têtes paraissaient étonnamment vifs, blancs, séduisants, par rapport à la couleur morte de la peau des têtes. Pour déplacer les têtes, elles formaient un chignon des cheveux qu'elles tiraient à plusieurs reprises : une tête d'homme était relativement lourde pour des mains de femmes et elles devaient enrouler les cheveux en plusieurs cercles autour de leurs poignets. Cela donnait à leurs mains une beauté singulière et un pouvoir de fascination envoûtant à leur visage qui, dans leur activité mécanique, était privé d'expression, froid comme une pierre, et laissait croire qu'elles n'éprouvaient rien, mais qui, par rapport à l'absence réelle de sensation des têtes, créait une impression tout autre. Pour les têtes de morts, l'impassibilité avait quelque chose de grotesque, alors que les visages étaient rendus sublimes par leur impassibilité même. Ces femmes, pour ne pas manquer de respect à des morts, ne traitaient jamais les têtes avec violence. Elles se comportaient avec les gestes les plus courtois, désuets, gracieux.

Pendant un moment, Hôshimaru s'abandonna à une imprévisible extase. Il ne devait se rendre compte que bien plus tard de quel type d'émotion il s'agissait là car, pour l'heure, il ne s'en doutait pas. Pour le jeune garçon qu'il était, il s'agissait d'un sentiment inouï, d'une excitation indéfinissable. En fait, lorsque la vieille lui avait adressé la parole pour la première fois, deux ou trois soirs plus tôt, ces trois femmes étaient déjà présentes et il se rappelait leurs visages, mais il n'avait alors rien éprouvé de particulier à leur égard. Et maintenant que ces mêmes "visages" se trouvaient face à ces têtes dans une même mansarde, ils le séduisaient singulièrement. Il observait les activités de ces trois femmes tour à tour. Celle qui était située le plus à droite accrochait une ficelle à une plaquette de bois et le nouait au chignon de la tête, mais si, par hasard, elle recevait une tête chauve, surnommée "tête de moine", elle perçait une oreille avec un poinçon et enfilait une ficelle dans le trou. L'aspect de la femme en train de percer l'oreille lui plaisait particulièrement. Mais la femme qui l'enivrait le plus était celle qui, assise au milieu, était chargée de laver les cheveux. C'était la plus jeune des trois, elle devait avoir seize ou dix-sept ans. Elle avait un visage rond et, malgré son inexpressivité, un grand naturel et du charme. Ce qui, en elle, attirait le plus le jeune garçon, c'était son léger sourire, qui se dessinait sur ses lèvres, de manière inconsciente, quand il lui arrivait de fixer la tête. A ce moment-là, une sorte de cruauté ingénue se lisait sur le visage de cette jeune fille. Les gestes de ses mains qui peignaient les cheveux étaient plus souples, plus gracieux que chez ses compagnes. De temps à autre, elle pressait sur une table un encensoir avec lequel elle parfumait les cheveux. Puis, après les avoir rassemblés, elle les nouait avec un fil de papier et elle tapotait le sommet de la tête avec l'arête du peigne, ce qui semblait obéir à un rite. Hôshimaru trouvait que son geste lui donnait une irrésistible beauté. ... [...]
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