Kabire Fidaali : Amadou (le fils de Barkié, n.d.l) est désormais mon élève : j'ai pour mission de lui apprendre le Bangré (!!!)
(...) Barkié nous ayant laissés, j'ai eu une longue discussion avec le fils qui m'a fait comprendre qu'il n'a jamais été l'apprenti de son père, contrairement à ce que j'avais imaginé. (...) J'assaile Amadou de questions :
"Tu m'avais bien dit que ton père te montrait tout ce qu'il faisait ?"
- (...) [Mon père] affirme que s'il essayait de m'apprendre, étant ce que je suis aujourd'hui, alors je mourrais sûrement ; car le Bangré est une chose trop dangereuse, et je ne suis pas actuellement capable de survivre à une telle connaissance. Mais il dit aussi que j'apprendrai un jour à être comme lui.
(...) Le vieux a prédit il y a longtemps que quelqu'un viendrait pour commencer à m'apprendre. Il a beaucoup travaillé pour que la personne parvienne sans encombre jusqu'ici. Il me demande d'être content que ce soit toi, car tu as beaucoup de Bangré et tu es comme lui."
Barkié explique qu'il existe deux types de connaissances, celle du Bangré où apparaît la "vision" comme acte de perception fondamental, et une autre qui permet de "travailler le fer et de fabriquer des avions". La vision représente le seul intérêt du Bangré, par ailleurs totalement inutile, voire dangereux pour les nécessités courantes de la vie des "êtres humains". Barkié distingue également les praticiens du Bangré, les Bangdba, du reste de l'humanité, en expliquant que le Bangré est la connaissance du "non-être humain". Enfin, il trace entre le Bangré et la "connaissance des êtres humains" une frontière qu'il désigne par "séparation". (p. 169)
Barkié : Le seul intérêt [du Bangré] est de permettre la vision. Celui qui a du Bangré ne s'appartient plus, il appartient à la nature. C'est pourquoi les autres entendent et ne comprennent pas, car le Bangré qui est en eux est endormi. Le peu qu'ils en voient est modifié, c'est pourquoi je dis qu'il ne faut pas croire au Bangré : ceux qui croient à la connaissance se trompent, ceux qui n'y croient pas se trompent aussi : ce sont leurs habitudes [= leurs conditionnements ; ndt] qui les trompent, ils manquent de sincérité. C'est pourquoi je dis d'eux qu'ils sont des êtres humains et que le Bangré qui est en eux est modifié.
Barkié : Quand on parle, il faut faire très attention car les mots disent la même chose que les habitudes des gens : ce qui n'est pas dans tes habitudes ne peut pas exister dans les mots que tu prononces. Quand tu écoutes quelqu'un, si ce qui est dans ses mots n'est pas présent en toi, tu ne peux pas comprendre.
Barkié : Ce que je vois n'est pas quelque chose de compliqué qui existe dans le passé ou le futur ; c'est quelque chose qui n'existe que quand je le vois. Dans le Bangré, il n'existe ni présent ni futur ; quand tu vois, tu embrasses le temps. Pourtant, le Bangré permet de deviner le passé et de prévoir le futur.
Barkié : Notre corps sait des choses que nous ignorons. Ceux qui ont du Bangré savent écouter ce que leur corps leur apprend. Les êtres humains ne savent plus faire cela, ils ont perdu ce pouvoir.
Barkié : Personne ne peut expliquer le Bangré aux êtres humains, car il n'existe pas dans leurs habitudes... et il est absent des mots qu'ils utilisent.