Des islamistes au pouvoir ! Vous y auriez cru, vous ? (...) Il nous en a fait baver ce printemps arabe de malheur ! Fort heureusement, nos islamistes sont modérés, eux. A notre main (...) Et quand ils auront assez tapé dans la caisse de compensation et que les finances seront à plat, on sifflera la fin de la récréation.
Les autorités religieuses avaient pourtant organisé une grande prière nationale destinée à conjurer la malédiction de l'eau. Mais rien n'y fit. Les cieux demeurèrent obstinément sourds à des prières sans doute trop intéressées pour être tout à fait sincères.
Croire ou ne pas croire en Allah n’était donc pas son problème. Malheureusement pour lui, il ne pouvait ignorer que, lorsque l’on naît marocain, ces choses ne se pensent pas, ne se disent pas et ne s’affirment en aucun cas. Au Maroc la religion est un déterminant de l’ADN patriotique de tout individu normalement constitué. Saint et valide. Un fait de naissance. Inné. Irréfutable. Dragan savait donc très bien que, mis devant un tribunal, ou une instance chargée d’évaluer l’état de son patriotisme religieux, il n’eut jamais pu espérer s’en tirer à bon compte en invoquant, par exemple, une hypothétique clause d’irresponsabilité du type « je ne savais pas » ou encore « personne ne m’avait jamais rien dit ». C’est pourquoi, même si son instinct de conservation était au plus bas, Dragan parvenait tout de même à maintenir un fil de discernement, le minimum du minimum grâce auquel il pouvait éconduire ceux qui cherchaient à expertiser la fluidité de ses voies d’accès au paradis et à bloquer ceux qui, plus inquisiteurs encore, voulaient tirer au clair si oui ou non il fallait qu’on le condamna à un dépeçage anticipé, en guise d’avance sur salaire de tous les châtiments qu’il allait devoir subir dans les géhennes de l’enfer. Pour Dragan, la méthode était très simple. Il avait appris à reconnaître et maîtrisait à la perfection les rituels langagiers bordant les relations sociales marocaines. Il connaissait toutes les arabesques, les virgules, les pommades et les enluminures de la phraséologie quotidienne et savait qu’à chaque situation sociale, chaque événement, sacré ou profane, correspondait une formule prête à l’emploi qu’il suffisait de dire au bon moment, avec la bonne intonation et le bon rythme, pour émettre les signaux d’une religiosité de surface, le minimum syndical, à même de lui garantir qu’on lui ficha la paix. Son stratagème n’était cependant pas infaillible. Car des regards et des oreilles avisés eurent très vite fait de démasquer la duplicité de sa couverture religieuse. Ainsi pour pouvoir survire au Maroc, Dragan devait réduire au strict nécessaire son immersion dans la vie sociale : éviter les grandes manifestations ; les mariages, les enterrements, les baptêmes, les matchs de football, les grandes soirées caritatives, les réunions syndicales et politiques, et par-dessus tout, il devait éviter, à tout prix, de se retrouver pris dans le carré resserré d’une mosquée à une heure de grande affluence, au milieu d’une foule de fidèles en pleine ascension céleste.
La ligne de notre journal, c'est d'être à la pointe de l'actualité.Mais nous ne devons pas oublier notre devoir d'allégeance envers nos institutions millénaires et sacrées. Institutions dont la légitimité, je vous le rappelle, est historique mais aussi populaire. Le peuple n'a-t-il pas plébiscité notre nouvelle constitution à quatre-vingt-dix-huit virgule cinq pour cent ?