C'était le même rêve. Pendant toutes ces années, toujours le même rêve. Il faisait froid, il neigeait, et elle ne portait qu'un léger cardigan par-dessus une robe en coton. A ses pieds, de mauvaises tennis en toile. Le ciel était blanc, la campagne vidée de toute couleur; tout était monochrome. Les chaussures s’enfonçaient dans le sol boueux, fangeux, qui menaçait de les engloutir pour ne jamais les rendre. Autour d'elle, la maison - ne restait plus que la moitié des murs, qui lui arrivait à hauteur de la taille, ou des épaules au maximum. Le toit avait disparu, les portes et les fenêtres avaient été arrachées de leurs gonds, ce n'étaient partout que décombres. Les tristes vestiges d'une vie autrefois heureuse.
Cela ne faisait que trois mois qu’elle avait quitté Stuart. Et vu ce qu’il lui avait fait subir, il aurait été compréhensible qu’elle ait du mal à faire confiance à un autre homme. Pourtant, elle avait confiance en Tom. Instinctivement. Elle savait qu’elle pouvait se fier à lui. Peut-être parce qu’ils avaient passé beaucoup de temps ensemble cette semaine, parce qu’ils s’étaient liés en grimpant une montagne, parce qu’il était resté à ses côtés à l’hôpital et la soutenait. Elle l’observa en douce tout en buvant son café. La ligne forte de son menton, ses yeux clairs, ses cheveux en bataille et ses épaules musclées. Il était droit, drôle et réconfortant. Ils aimaient tous les deux la montagne. Elle réalisa qu’elle ne désirait rien d’autre chez un homme. Dommage qu’il ne veuille pas de relation.
Isaac était veuf depuis longtemps, et en vieillissant il était devenu de plus en plus bougon. Quoi que les gens fassent pour lui, ce n’était jamais assez.
Les pires moments, c’était quand elle arrivait chez un patient qu’elle découvrait malade et qu’elle devait appeler une ambulance pour l’envoyer à l’hôpital, en sachant qu’elle avait de fortes chances de ne plus le revoir. Pendant sa formation, on lui avait appris qu’il ne fallait pas trop s’attacher aux patients, mais c’était au-dessus de ses forces.
Si on ne peut pas pleurer en annonçant à son père la mort de son grand-père, quand a-t-on le droit ?
L’avenir serait dur, il ne savait pas comment il se débrouillerait. Sa seule consolation était sa certitude que son amour pour ses filles les sortirait de toutes les épreuves.
Cette histoire de généalogie finissait par l’intéresser. En savoir plus sur ses ancêtres lui donnait l’impression d’avoir des fondations plus solides.