Parfois un bouquin qui parle des problèmes des autres, ça vous fait oublier les vôtres.
- Elle dit que ce n'était qu'un coup d'un soir, intervient Lena.
- Eh bien, faites ça la journée la prochaine fois !
J’ai su que si je faisais un pas de plus dans cette dure vie dans laquelle j’avais basculé, je m’effondrerais. Il me fallait tout arrêter. Je me suis assise dans mon lit, la respiration sifflante, et tout est devenu noir autour de moi. J’étais dans un tunnel de lumière. Je manquais d’air. Je respirais, mais il n’atteignait plus mes poumons. J’essayais d’inspirer par le nez, et la tête me tournait. J’ai pensé : Je suis en train de mourir, mais je n’avais pas peur.
Je suis carrément sarcastique, au cas où ce ne serait pas limpide. Mais en réalité, je suis fière que tu aies enfin pris des vacances, même si ce ne sont pas vraiment des vacances et qu’en fait tu vas te consacrer non-stop à tes trucs de bibliothécaire et que la seule manière dont nous avons pu t’en convaincre, c’est en sacrifiant notre propre semaine car, soyons clairs : papa n’est pas notre premier choix pour l’instant. Mais c’est comme ça et il joue les Monsieur Joyeux, et il va nous acheter tout ce qu’on veut par culpabilité, et je faillirais à mon devoir envers moi-même et ma patrie si je ne ressortais pas de tout ça avec une nouvelle voiture.
Elle traite d’un problème que j’ai vu surgir alors que je débutais avec une classe contenant un nombre plus élevé que la normale de ce que les enseignants se plaisent à appeler les « lecteurs récalcitrants ». Tous les élèves – pas même les plus brillants – ne sont pas attirés par la lecture tel un chameau assoiffé vers l’oasis. Et de manière générale, les profs de littérature et les bibliothécaires n’ont guère d’expérience personnelle de cette réticence à lire. Si nous n’étions pas des lecteurs voraces, nous enseignerions la sociologie, voire nous aurions un boulot qui paie bien, vous savez.
Certaines personnes doivent s’exercer au pardon, et il ne leur sera jamais naturel. Soit elles y parviendront et y seront même douées, mais il leur faudra toujours travailler sur elles-mêmes, soit elles n’y parviendront jamais, et mourront avec un fardeau de souffrance de la taille d’un éléphant. Je le sais, parce que je cours le risque d’être une de ces personnes-là chaque fois que mon attention se relâche. (Après quoi elle hoche la tête dans ma direction.) D’autres, comme votre mère, pardonnent si naturellement qu’elles ne s’en aperçoivent même pas.
J’ai eu un succès honorable en le soudoyant avec des petits trains, mais la nuit il a porté une couche-culotte un an de plus que de nombreuses mères ne l’auraient toléré. La mienne, en particulier, en était horrifiée, et sa désapprobation me faisait pleurer à chacune de ses visites. Même avec cette tolérance, quand il a enfin mis un « slip de grand » et été complètement propre le jour, dès qu’il était malade, avait un cauchemar ou buvait trop avant de se coucher, il se réveillait mouillé, et ce, quasiment jusqu’à ses cinq ans.
Cori était très colérique tout le temps. Elle me traitait de tous les noms, disait que j’étais moche et que c’était pour ça que son père était parti, qu’elle était moche et que c’était pour ça que son père était parti, et qu’elle souhaitait qu’il meure. À la moindre frustration normale de la vie, comme une chaussure perdue ou un contrôle difficile, elle fulminait encore et encore puis, au bout d’une vingtaine de minutes, me laissait l’enlacer, après quoi elle sanglotait pendant des heures.
Si je lis, maman, c’est… parce que je t’aime et que je veux aller à la fac. Les bouquins que tu m’as donnés sont à quatre-vingt-dix pour cent moins chiants que ceux que j’ai lus pour l’école, mais ils étaient quand même chiants. Sais-tu que la moitié de ceux que tu as choisis ont été adaptés au ciné ? La raison, c’est que les films, c’est mieux, et que les gens qui lisent des bouquins se disent toujours : « Bon sang, ce serait tellement plus cool si c’était autre chose qu’un bouquin ! »
En matière de dépenses, que nous soyons dans le public ou dans le privé, la plupart d’entre nous n’ont de budget que pour un unique droit d’usage actif à la fois pour chaque élève et encore, avec de la chance ! Et c’est le même titre d’une année sur l’autre. Cela ne permet guère la diversité ou l’expansion. Ceci dit, ajouté-je après coup, ce ne serait pas si difficile que ça de mettre n’importe quelle œuvre sous ce format, pour peu qu’on en ait les moyens.