J’étais celle qui devait être énervée. J’avais le droit d’être troublée, pas ce crétin de détective privé au téléphone. Je venais d’avoir un terrible cauchemar et je ne pouvais m’en défaire.
Les lumières vacillèrent. Des fleurs rouges flottaient au milieu de la pièce, tourbillonnant en formant un nuage en entonnoir qui essayait de me dévorer. Ça n’avait rien de plaisant, contrairement à d’autres visions.
Un thérapeute m’avait déjà expliqué que c’était des hallucinoses, car je savais qu’elle n’était pas réelle. Je portais ma schizophrénie comme une insigne au début et il avait essayé de me mettre à terre, le connard, pour me rendre moins fière de mes différences. D’accord, je n’avais rien de particulier pour me différencier des autres à part mes visions et mes voix. J’avais appris à me battre pour moi-même, mais à ce moment, je croyais en les médecins et même en les avocats qui m’avaient déclaré que je n’avais rien d’unique.
Ma mère avait commencé à s’intéresser à moi. Elle était venue me voir tous les jours dans l’unité psychiatrique verrouillée. Ils n’étaient pas certains que c’était de la schizophrénie. Je n’arrivais même pas à l’épeler, alors en être atteinte... On m’avait administré des opiacés pour mon mal de ventre ; la douleur était tellement forte que je me pliais en deux et pleurais.
Ils ne savaient pas que la douleur n’était pas réelle, ha ! Mais il y avait cette chose qui me faisait voir le soleil se lever à l’ouest au lieu de l’est et des animaux colorés courir à travers les couloirs. Voilà ce qui intéressait les psychiatres.
Je n’ai rien vu ici se rapprochant de ce que j’ai vu au Soudan, Annie. Des enfants avec des fusils tuant dans la jungle, de jeunes hommes enlevés de Khartoum puis forcés à servir dans l’armée du sud, des hommes tués ou enlevés pour une rançon, des garçons avec des mitraillettes éliminant des chrétiens dans la rue de l’arrière de camions. La plupart étaient musulmans, quelques-uns chrétiens, se détestant tous comme Allah l’ordonne ou comme si Dieu était de chaque côté. Comment Dieu pouvait-il être avec tout le monde, Annie ? Ça n’a aucun sens.
Vous devez probablement vous demander quel était mon travail au ministère de la Justice. Je ne nettoyais pas et je ne travaillais pas non plus dans une cuisine. J’avais un emploi à temps partiel mais c’était une bonne place. Après tout, j’étais diplômée grâce au programme d’équivalences secondaires. J’avais survécu à l’école secondaire Central High de Vancouver à la dure, on pourrait dire que j’étais allée à l’école de la vie.
Qui pourrait bénéficier de la mort du maire ? Peut-être une personne qui voudrait se présenter aux prochaines élections et qui aurait peur de perdre. Le maire recevait une tonne d’argent de plus qu’un détective privé, il avait bien plus de prestige qu’un détective privé armé d’un pistolet semi-automatique SIG Pro, un mobile tordu et qui pensait avoir assez de connaissances pour s’en sortir.
Ce n’était pas un métier pour les âmes sensibles, mais c’était mieux quand les suspects étaient des étrangers ou des connaissances que des amis. Mes émotions n’interféraient jamais dans mon travail, mais j’étais une amazone humaine après tout.
N’importe lequel des mecs vivant dans la rue, cherchant leur prochaine dose, ayant besoin d’argent et tombant sur un médecin décidé à ne pas leur donner plus de méthadone, pourrait l’avoir frappé sur la tête avec... quoi donc ?
Dr Hubert avait toutes sortes d’instruments qui auraient pu servir à l’assommer. Il était âgé, gras comme une tranche de bacon d’un magasin à un dollar et il était une proie aussi facile qu’un taureau sans cornes.
À mon avis, Samir n’était pas handicapé. Il était d’une certaine façon invalide, comme moi, mais ce n’était pas un handicap, à moins de le laisser le devenir.
Il était âgé, gras comme une tranche de bacon d’un magasin à un dollar et il était une proie aussi facile qu’un taureau sans cornes.