La souffrance qui m'enserre va bien au-delà du physique ; c'est une tourmente qui ébranle mon âme, un gouffre de désespoir si abyssal qu'il se tord en moi, se manifestant par une tension implacable dans mon ventre et une brûlure intense dans ma gorge. Mon esprit, autrefois vif et alerte, paraît aujourd'hui englouti sous un déluge de pensées sombres, de souvenirs obsédants. Les yeux clos, je m'abandonne au vent, laissant ses murmures emplis des effluves marins de l'océan et de la senteur piquannte du bitume humide, me traverser, me rappelant à la réalité amère du monde qui m'entoure.
Étrangement, la peur a fui mon être, même face à l'idée vertigineuse de plonger dans le vide.
Pour moi, la lecture s'était transformée en quelque chose de bien plus profond qu'un simple passe-temps ; elle était devenue une nécessité vitale, un antidote contre le spectre incessant des regrets, du chagrin et de la dépression. Elle était mon grappin dans la tempête, me maintenant à flot dans un océan tumultueux de violence et de crainte. La brutalité constante et accablante qui m'entourait prenait l'allure d'une vague déchaînée, implacable et cruelle. À dix-huit ans, je me sentais en décallage total avec le monde des jeunes de mon âge, étranger à leurs aspirations et à leurs normes. Inlassablement, je me réfugiais dans des histoires captivantes, plongeant dans des univers de fiction qui m'offraient, ne serait-ce qu'un instant, une échappatoire à la grisaille et à l'angoisse de mon existence quotidienne.
Je saisis un toast avec de la tomate dessus que je mis en entier dans ma bouche dans le but de ne pas en faire tomber. Ce n'était pas seulement de la tomate, mais aussi du piment. Une chaleur intense embrasa mon palais, ma langue sembla doubler de volume, mes yeux se mirent à larmoyer et ma gorge s'enflamma douloureusement.
Julie rit. Elle leva la main et le serveur vint immédiatement.
_ Pourrions nous avoir du pain et un verre de lait, s'il vous plaît ? dit-elle.
_ Bien sûr, je vous apporte cela tout de suite, lui répondit-il en souriant.
Se moquait-il de moi ? Julie aussi ?
Nous atteignimes finalement Greenwich Village où avait lieu la parade avec des milliers de bêtes déambulant dans la joie et l'ivresse. Des sorciers, des zombies, des vampires, et tant d'autres démons fantasques se dévoilaient dans les rues. Nous avançames dans la foule, mon cœur se mit à battre à tout rompre. L'angoisse se réveillait en moi tel un animal fantastique.