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Citation de enkidu_


Benjamin Pelz, petit homme trapu aux doux yeux bleus et froids, aux joues tombantes et à la bouche épaisse, cruellement sensuelle, déclarait dans les conversations entre intimes qu’il adorait le national-socialisme parce que celui-ci anéantirait complètement une civilisation dont l’ordre mécanique lui était devenu insupportable, parce que le national-socialisme entraînait vers l’abîme, avait déjà une odeur de mort, et répandrait des souffrances incommensurables sur le continent qui avait été en passe de dégénérer pour devenir en partie une usine impeccablement organisée, en partie un sanatorium pour gens débiles.

« La vie dans les démocraties avait cessé d’être dangereuse, dit sévèrement le poète Pelz. L’héroïsme pathétique faisait de plus en plus défaut à notre vie. Le spectacle auquel il nous est donné d’assister aujourd’hui, est celui de la naissance d’un type humain nouveau – ou plutôt la renaissance d’un type très ancien, archaïque – magique – belliqueux. Quel spectacle, beau à vous couper le souffle ! quel émouvant processus ! Soyez fier, mon cher Höfgen, qu’il vous soit donné d’y participer, sous une forme aussi active ! »

Ce disant, il considéra Hendrik avec tendresse, de ses yeux doux et glacés. « La vie reprend son rythme et son charme, elle s’éveille de sa pétrification, bientôt elle retrouvera, comme aux belles époques ensevelies, la violente mobilité de la danse. Pour des gens incapables de rire, d’entendre et de rien voir, ce rythme nouveau pourrait sembler la cadence étudiée d’une marche militaire. Les imbéciles se laissent tromper par la raideur apparente du style militant archaïque. Quelle grossière erreur. En réalité, on ne marche pas au pas militaire, on avance en titubant. Notre Führer bien-aimé nous entraîne dans les ténèbres et le néant. Comment nous autres poètes, qui entretenons des rapports particuliers avec les ténèbres et l’abîme, ne l’en admirerions-nous pas ? Il n’est vraiment pas exagéré de qualifier notre Führers de divin. Il est la divinité du monde souterrain, qui fut la plus sacrée de toutes pour tous les peuples initiés à la magie. Mon admiration pour lui est sans bornes, car je hais sans limites la vaine tyrannie de la raison et la notion fétichiste et petite-bourgeoise du progrès. Tous les poètes dignes de ce nom sont les ennemis-nés et jurés du progrès. La poésie même est d’ailleurs une retombée à l’état sacré primitif de l’humanité, antérieur à la civilisation. Faire de la poésie et tuer, le sang et le chant, le meurtre et l’hymne, tout cela s’accorde bien. S’accorde aussi, tout ce qui va au-delà et au-dessous de la civilisation pour plonger dans la strate secrète et dangereux. Oui, j’aime la catastrophe », dit Pelz, et il pencha en avant sa figure mélancolique aux joues tombantes en souriant, comme si ses lèvres épaisses savouraient une friandise ou des baisers. (pp. 316-317)
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