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Citation de AudMgt


Au-delà du « régime cellulaire de la nationalité »
Notre drapeau est le drapeau de la République universelle
En écrivant que la Commune de Paris fut importante non par les idéaux qu’elle s’efforça d’atteindre mais par sa propre « existence en acte », Marx soulignait l’absence totale chez les insurgés d’un projet partagé sur la société à venir. La Commune, en ce sens, fut un laboratoire d’inventions politiques, improvisées sur place ou bricolées à partir de scénarios ou d’expressions du passé, repensés selon les besoins du moment, et nourris des désirs nés au cours des réunions populaires de la fin de l’Empire.
Menée sous le drapeau de la République universelle, l’insurrection dans la capitale a toujours résisté, en tant qu’événement et en tant qu’élément de la culture politique, à toute intégration fluide dans le récit national. Comme le dit des années après l’un de ses participants, la Commune fut avant tout « un acte audacieux d’internationalisme ». Sous la Commune, Paris ne voulait pas être la capitale de la France mais une collectivité autonome au sein d’une fédération universelle des peuples. Elle ne souhaitait pas être un État mais un des éléments, une des entités, d’une fédération de communes qui devait se développer à l’échelle internationale. Pourtant, chez les historiens, en dehors de l’allusion de rigueur aux nombreux étrangers, et aux personnalités étrangères notamment, parmi ses participants, l’originalité que constitua le caractère non nationaliste de la Commune n’a pas été reconnue. Et les traces de la manière dont cet aspect de son imaginaire politiquebpropre fut produit et mis en pratique sont difficilement perceptibles dans l’historiographie classique de cet événement, qui s’intéresse principalement aux manœuvres militaires et aux disputes et aux réalisations législatives de l’Hôtel de Ville.
Pour trouver de telles traces, nous devons nous tourner vers un passage comme celui-ci, tiré des mémoires de Louise Michel. Nous sommes en avril 1871. Elle vient de décrire « un nègre d’un noir de jais, avec des dents blanches pointues comme celles des fauves ; il est très bon, très intelligent et très brave ; un ancien zouave pontifical converti à la Commune » :
Une nuit même, je ne sais plus comment, il arriva que nous étions deux seulement dans la tranchée devant la gare ; l’ancien zouave pontifical et moi avec deux fusils chargés, c’était toujours de quoi prévenir. Nous eûmes la chance incroyable que la gare ne fût pas attaquée cette nuit-là. Comme nous allions et venions dans la tranchée, il me dit en me rencontrant :
– Quel effet vous fait la vie que nous menons ?
– Mais, dis-je, l’effet de voir devant nous une rive à laquelle il faut atteindre.
– Moi, reprit-il, ça me fait l’effet de lire un livre avec des images.
Nous continuâmes à parcourir la tranchée dans le silence des Versaillais sur Clamart.
Là, on commence à percevoir tout ce qu’il y avait d’improbable et d’imprévu dans les activités de la Commune, qui pouvaient réunir un garde pontifical africain et l’ancienne institutrice Louise Michel, avec sous sa robe ses vieux godillots militaires, montant la garde ensemble dans la nuit. L’armée pontificale avait combattu au côté des Français pendant la guerre franco-prussienne et s’était dispersée au moment de l’entrée des Prussiens dans Paris ; si cela peut expliquer la présence de l’Africain dans la région à l’époque, cela n’explique pas sa conversion à la Commune. Mais au-delà de la distribution visuelle frappante de ces deux êtres dans un récit et dans une tranchée, il y a aussi le fait qu’on les entende réfléchir à la manière dont ils peuvent appréhender leur propre place dans l’histoire telle qu’elle est en train de se faire. Ces réflexions sont assurément énigmatiques et elliptiques, mais on pourrait les interpréter comme suit : allons-nous vers le nouveau ou sommes-nous en train de lire un vieil album illustré, peut-être un roman d’aventures, ou une histoire de la Révolution française ? Arrivons-nous à un monde nouveau ou sommes-nous des figures qui parlons à partir de la position qu’un récit nous a assignée ? Sommes-nous des hommes nouveaux, des femmes nouvelles, ou des personnages replacés dans l’imagerie bigarrée d’une vieille histoire ? Les expériences qu’expriment les deux communards sont différentes et elles montrent à quel point le rapport de chacun à sa propre subjectivation politique peut se vivre différemment. Mais elles ne se contredisent pas et elles nous donnent une idée de la transformation de l’expérience du temps à laquelle donna lieu la Commune, et de son rapport avec le social, un rapport déterminé par des formes de mémoire historique refigurées et reconfigurées, ou mobilisant des figures et des configurations anciennes dans un nouveau contexte.
La préhistoire de cette scène, il faut la chercher dans le brouhaha, l’enthousiasme, la fièvre...
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