Citations de Laetitia Colombani (1667)
"Amazone : vient du grec "mazos" : mamelle, précédé du "a" : privé de. Ces femmes de l'Antiquité se coupaient le sein droit, pour mieux tirer à l'arc. Elles formaient un peuple de guerrières, de combattantes à la fois craintes et respectées, qui s'unissaient aux mâles des peuplades voisines pour se reproduire, mais élevaient leurs enfants seules. Elles employaient des hommes pour assurer les tâches domestiques. Elles menaient de nombreuses guerres, dont elles sortaient souvent vainqueurs."
p190
Elle sait qu'ici, dans son pays, les victimes de viol sont considérées comme les coupables. Il n'y a pas de respect pour les femmes, encore moins si elles sont Intouchables. Ces êtres qu'on ne doit pas toucher, pas même regarder, on les viole pourtant sans vergogne. On punit l'homme qui a des dettes en violant sa femme. On punit celui qui fraye avec une femme mariée en violant ses sœurs. Le viol est une arme puissante, une arme de destruction massive. Certains parlent d'épidémie.[...]
Smita a déjà entendu ce chiffre, qui l'a fait frissonner : deux millions de femmes, assassinées dans le pays, chaque année. Deux millions, victimes de la barbarie des hommes, tuées dans l'indifférence générale. Le monde entier s'en fiche. Le monde les a abandonnées.
p91-92
Sarah se souvient de cette femme, dans l'ancien cabinet où elle exerçait, qui venait d'être promue associée et qui, à l'annonce de sa grossesse, s'était vue destituée, renvoyée au statut de collaboratrice. C'était une violence sourde, invisible, une violence ordinaire que personne ne dénonçait.
p37
Elle évoque cette femme Dalit parvenue au sommet de l'Etat, Kumari Mayawati, aujourd'hui la plus riche femme du pays. Une Intouchable devenue gouverneur ! On dit qu'elle se déplace en hélicoptère. Elle n'a pas courbé l'échine, elle, n'a pas entendu que la mort les délivre de cette vie, elle s'est battue, pour elle-même, pour eux tous. [...] cette femme qui s'est élevée en prêchant la cause des Dalits n'en a plus rien à faire d'eux. Elle les a abandonnés.Elle vole dans les airs et eux rampent dans la merde, voilà la vérité !
p94
Au médecin, elle ne demande pas ses chances, elle refuse de réduire son avenir à une statistique. Certains veulent savoir, elle pas. Elle ne laissera pas les chiffres s'immiscer en elle, dans sa conscience, dans son imaginaire, ils seraient capables de proliférer, comme la tumeur elle-même, de saper son moral, sa confiance, sa guérison.
p85
Epilogue
Mon ouvrage est terminé.
La perruque est là, devant moi.
Le sentiment qui m'envahit est unique.
Nul n'en est le témoin.
C'est une joie qui m'appartient,
le plaisir de la tâche accomplie,
la fierté du travail bien fait.
Tel un enfant devant son dessin, je souris. (...)
Je dédie mon travail à ces femmes,
Liées par leurs cheveux,
Comme un grand filet d'âmes.
A celles qui aiment, enfantent, espèrent,
Tombent et se relèvent, mille fois,
Qui ploient mais ne succombent pas.
Je connais leurs combats,
Je partage leurs larmes et leurs joies.
Chacune d'elles est un peu moi. (...)
[p. 221-222]
"Une femme libre est exactement le contraire d'une femme légère"
Simone de Beauvoir
Pour être crédible, il faut avoir l'air occupé, tout le monde le sait.
Smita sent son coeur se serrer. Elle a aimé cet homme, s'est habituée à sa présence rassurante auprès d'elle. Elle lui en veut de son manque de courage, de ce fatalisme amer dont il a recouvert leur vie. Elle aurait tant voulu partir avec lui. Elle a cessé de l'aimer à l'instant où il a refusé de se battre.
Les médias l'évoquent rarement, le viol des femmes sans-abri n'est pas un sujet présentable. Pas assez chic pour passer au journal de 20 heures, lorsque la France est à table. Les gens n'ont pas envie de savoir ce qui se passe en bas de chez eux lorsqu'ils ont fini de dîner et vont se coucher. Ils préfèrent fermer les yeux.
Du temps, voilà ce que demandent les associations. sans doute ce qu'il y a de plus difficile à donner dans une société où chaque seconde est comptée. Offrir son temps, c'est s'engager vraiment.
Il est des lettres qu'on écrit à la main. Et qu'on dicte avec le cœur.
C'est sans doute la tâche la plus difficile qui lui ait été confiée. Elle n'avait pas saisi jusqu'alors le sens profond de sa mission : écrivain public. Elle le comprend seulement maintenant. Prêter sa plume, prêter sa main, prêter ses mots à ceux qui en ont besoin, tel un passeur qui transmet sans juger.
"Les mots sont des papillons, fragiles et volatils. Il faut le bon filet pour les attraper."
Pour l'instant, tout va bien.
Tant qu'on n'en parle pas, ça n'existe pas.
Sa révolte est silencieuse, inaudible, presque invisible. Mais elle est là.
Smita
Elles traversent, et tout d'un coup, c'est là, maintenant, le moment de lâcher la main de sa fille de l'autre côté de la route. Smita voudrait tant dire: réjouis-toi, tu n'auras pas ma vie, tu seras en bonne santé, tu ne tousseras pas comme moi, tu vivras mieux, et plus longtemps, tu seras respectée. Tu n'auras pas sur toi cette odeur infâme, ce parfum indélébile et maudit, tu seras digne. Personne ne te jettera des restes comme à un chien. Tu ne baisseras plus jamais la tête, ni les yeux. Smita aimerait tant lui dire tout ça. Mais elle ne sait comment s'exprimer, comment dire à sa fille ses espoirs, ses rêves un peu fous, ce papillon qui bat son ventre.
Alors elle se penche vers elle, et lui dit simplement: -Va.- (p. 47)
"L'estime de soi, c'est ce qu'il y a de plus difficile à regagner."
Un problème subsiste, cependant : en jupe, Blanche aura du mal à pédaler. Le port du pantalon serait plus adapté, mais ce vêtement est interdit aux femmes. La loi prohibe ce que la société considère comme un travestissement.Toute demande doit faire l'objet d'une dérogation auprès de la préfecture de police. En cette fin d'année 1888, Albin ignore qu'une circulaire est sur le point d'être votée pour lever partiellement l'interdiction - à la condition que la femme tienne par le main un guidon de bicyclette ou les rênes d'un cheval.
Fuir, c'est la promesse de représailles terribles pour les Dalits... Ils les violeront toutes les deux, et les pendront à un arbre... Deux millions de femmes assassinées dans le pays chaque année. Deux millions, victimes de la barbarie des hommes, tuées dans l'indifférence générale. Le monde entier s'en fiche. Le monde les a abandonnées.
NDL : barbarie contemporaine due à des us et coutumes dépassés. Où est l'empathie du reste du monde ? L'égoïsme est roi.
C'est sans doute la tâche la plus difficile qui lui ait été confiée. Elle n'avait pas saisi jusqu'alors le sens profond de sa mission : écrivain public. Elle le comprend seulement maintenant. Prêter sa plume, prêter sa main, prêter ses mots à ceux qui en ont besoin, tel un passeur qui transmet sans juger.