Lars Vasa Johansson

Les vieux autour de la table attendaient que la reine de la forêt s'exprime sur la rumeur
Inquiétante qui circulait ces derniers temps.
Nous sommes trop faibles, pensait-elle. Nous sommes trop peu nombreux. Nous sommes trop avancés en âge. Un esprit téméraire, voila ce qu'il nous faut.

Quand on se produit devant des personnes âgées, il peut être assez risqué de se lancer dans des tours où un membre du public est invité à se souvenir d’une carte. Ça se corse vite. J’exécutai à la place le tour que j’ai réalisé des milliers de fois depuis mon adolescence, devant toutes sortes de publics, vieux, jeunes, sobres ou saouls. Un violoniste peut jouer le même morceau de musique classique toute sa vie sans qu’on lui fasse la critique de stagner, et c’est ainsi que je vois mes tours de prestidigitation.

Les femmes réagissaient de manières diverses quand elles apprenaient que j’étais magicien professionnel. Certaines se montraient curieuses, voulaient voir un tour, puis faisaient tout pour que je leur explique comment j’avais fait. Mais un magicien ne révèle jamais ses trucs. C’est une règle tacite, que tous appliquent. D’autres ne manifestaient aucune curiosité et me regardaient un peu de travers, comme si j’avais dit que j’étais clown. Il arrivait même qu’on me demande si je pouvais réellement en vivre.

Parfois, un tour se déroule plus vite ou plus lentement que la veille ou le lendemain, comme un morceau de musique. Certains magiciens se qualifient d’illusionnistes, leurs numéros sont des shows haut de gamme mis en scène à grand renfort de lumière, de fumée et de danseurs, d’une bonne dose d’humour, de monologues « suscitant la réflexion », et autres foutaises destinées à en mettre plein la vue à un public prêt à dépenser beaucoup d’argent pour voir ça.

Il y a bien des années de cela, nous croyions que la Terre était plate ; cette histoire de fantôme se déroulait, elle, à l’époque moderne, à Sundbyberg. Des gens refusaient un trois pièces, une location en bonne et due forme, à cause d’une rumeur de fantômes. J’en éprouvais presque de la peine pour les imbéciles superstitieux qui se détournaient de l’appartement, même si, en un sens, je n’étais pas mécontent de ne pas avoir de nouveau voisin.

Un violoniste peut jouer le même morceau de musique classique toute sa vie sans qu’on lui fasse la critique de stagner.

Un bon magicien n’a pas besoin de murs en miroirs qui pivotent, de rampes hydrauliques dans le plancher de la scène, ni d’une assistante envoûtante pour distraire le public.