En tant qu’admirateur de la politique nationaliste arabe et des idées révolutionnaires du général Nasser, au pouvoir chez le voisin égyptien, Mouammar Kadhafi vit mal les défaites de la cause arabe. Pour lui, en 1961, l’échec et la dislocation de la République arabe unie (RAU), dus au retrait des Syriens, sont un véritable camouflet. Lui et ses amis descendant dans la rue de Sebha pour manifester leur soutien à la révolution arabe initiée par Nasser.
Souvent, le lieu préféré des protestations est devant le consulat de France. Surtout, après l’explosion de la bombe atomique française au Sahara. Pour les autorités, le jeune homme de 18 ans est vite considéré comme le meneur de ces troubles. Il est renvoyé de toutes les écoles du Fezzan et il se réfugie à Misurata, sur la côté tripolitaine. Même sa famille doit quitter le Fezzan et retourner dans la région de Syrte. Cet épisode démontre déjà son aptitude à prendre le commandement des opérations.
Renvoyé de Sebha, Mouammar Kadhafi se retrouve à poursuive ses études secondaires au lycée de Misurata (Musorata). Il est recueilli par les El-Mehichi, une prestigieuse famille libyenne d’origine circassienne, dont le fils Omar sera le numéro 3 des Douze officiers libres qui renverseront la Monarchie. Son frère, Tahar el-Mehichi, qui se charge de la formation idéologique du futur Guide, est une figure emblématique du mouvement nationaliste arabe soutenu par Georges Habache. Il lui conseille de s’inscrire à la bibliothèque de la ville et de s’intéresser aux utopistes socialistes, à Destutt de Trace, à Charles Fourier, à Pierre-Joseph Proudhon, à Jean-Jacques Rousseau, à Karl Marx « qu’il assimilait au diable à cause de son manque de religion », à Clausewitz et à Bismarck, aux nationalistes italiens et enfin à Ibn Khaldoun.
Le jeune Bédouin médite longuement sur une des sentences d’Ibn Khaldoun : « Si tu n’es pas pourri, ils diront que tu es fou. Si tu es pourri, ils cracheront dans ton dos. Mais si tu es fou, il sauront peur de toi, ils ne te pardonneront pas de ne pas leur ressembler et te combattront jusqu’au moment où tu montreras ta force. Alors, ils s’inclineront et c’est pourquoi, jusqu’à ce jour-là, tu dois attendre patiemment et leur présente un visage impénétrable ». Et le futur Frère Guide de la Révolution n’oubliera jamais ces pensées d’Ibn Khaldoun. (pp. 26-28)