Citations de Laure Morali (27)
Il y a deux mondes, le monde des rêves et le monde où nous vivons.
La ligne entre les deux est mince.
J’ai reconnu mon enfance en ôtant mes souliers.
La fragilité n’est pas un handicap, c’est un don
Crépitements
au creux de la main
je ferme mes doigts
sur un fruit invisible
sa pelure d’air
son jus de désir
vidé jusqu’aux pépins
lune à demi-pleine
fluidité des lettres de rêve
fluidité des lettres de rêve
une fleur flotte à l’envers
unis par le cœur
ses pétales portent
chacun ses propres veinures
aux motifs variés de volutes
par combien d’univers
jumeaux sommes-nous
●
à l’étoile le vide
rassemble
nos lumières
calme le cœur
nous sommes le voyage
●
« Ne regarde pas tes pieds, fixe la cime des sapins au loin, là où le ciel touche la terre, c’est là qu’on trouve le courage. »
(Boréal, p.81)
Les aurores boréales épongeaient
les fièvres de mes fugues
dans la Voie
lactée de l'enfance
J’attrape du sel au creux de la main
J’en avale une cuillère
Et le reste, je l’étale
Sur la poitrine, là où ça bat
Plus fort quand je pars
Et je te porte, mer lourde, ta chair pèse des tonnes à soulever, cisaillant le paysage, j’en crie l’étouffement du soleil, ta peau tendue dans l’énormité du mouvement connaît si bien les distorsions de l’univers que lorsqu’on a grandi dans tes plis, on ne sort jamais de cette étendue va-et-vient qui fend les barques et fait grincer les pierres, sans pitié pour les sabots des chevaux en cercle activant la vieille corne de brume, ni pour ceux des moutons pas même blancs sous le moulin à orge, attachés au troell. An douar hogar merhed, comme si ça allait de soi d’unir la terre aux femmes par la courbe d’une houe…
Comme le vent a forgé ses caresses sur les montagnes, le sol et le ciel, ces deux forces finalement lointaines, ont fini par s'entendre.Les montagnes ont approché le ciel, aimantées par une douce origine. Les étoiles ont imprimé la nuit.Le silence est devenu matière. Il y avait seulement ce son, le frémissement d'une onde au parcours instinctif. La pierre a compris le secret; elle a pardonné à l'âme de se mouvoir dans l'infini et à chargé le sol d'épouser sa vie pour que le murmure des étoiles s'écoule dans sa peau. Depuis la transparence du ciel en brûle.
Viens
marchons
il fait beau
les goélands volent
un pigeon prend son bain dans la fontaine
regarde derrière la montagne
ta poitrine se gonfle
le bord du ciel tremble sur nos jambes
J'ai pensé voir plus loin ce qui
dure mais c'était là, fluctuant
mon corps paysage
livré à la marée
ne jamais appartenir
à une seule
terre
Nous marchions au pas du goéland qui nageait, pattes repliées, les yeux sur les côtés, les mains dans les poches et le nez un peu en l’air, comme font les goélands quand ils nous regardent mine de rien ; seule comptait cette vague d’amour invisible sur laquelle nous surfions avec l’oiseau grand-père. Nous ne pensions même plus à cet hôtel vue sur mer, près de la poissonnerie de la rue Arnaud, nous ne pensions qu’à éponger nos cœurs de leur allégresse contre des bois flottés, à rire par saccades entre deux grandes bouffées d’embruns, gorgés d’une tristesse dont les bulles avaient toutes éclatées pour se changer en joie, même nos chaussures trop fines pour le mois d’octobre de la Côte-Nord nous paraissaient adaptées au flottement de nos pas.
Je n’ai connu ce confort mental nulle part ailleurs, être accepté sans avoir à justifier sa présence par ce que l’on a fait, fera, ne fera pas. C’est peut-être ça, l’amour inconditionnel, une attitude de survie…Les Innus ont hérité de leurs parents un art d’hospitalité qui leur était nécessaire en temps de famine. Lorsqu’un hiver rude poussait les animaux à se blottir loin de leur vue, ils continuaient à réserver le meilleur de leurs provisions pour les enfants, les aînés et l’étranger, celui qui avait moins de chance à la chasse et qu’il ne fallait pas juger, simplement nourrir. Ce sens de l’accueil leur a coûté cher…
un astre s’érode
ses lettres essaiment
aux soupirs du jour
et de la nuit
poudrerie sur le piano
des matins mornes
La douleur fraîche d’être vivant ce matin. Se lever, les yeux froissés de rêves. Et vouloir crier tout l’amour que te fait porter la terre avec sa beauté périlleuse.
(Boréal, p.75)
OR
lettres perdues
Armorique et Aurès
touchent l’Amérique
à Ouessant
la terre entière
au bout des amarres
dans le sémaphore
face à l’ouest
je lis Le Rituel
breton et Genèse
le Créac’h et ses lampes
renversées dans la lande
réunissent mes maisons
en une seule
vigie »
Extrait de
"Ne vivent haut que ceux qui rêvent", avec Xavier Grall
éditions Calligrammes, Rennes, novembre 2021
https://www.calligrammes-editions.fr
La légèreté comme une vague nous poursuit pour nous ramener dans les lieux peu nombreux de cette terre où, au moins une fois, nous avons été heureux. J’ai rêvé qu’il neigeait dans Nutshimit. Le vieux nom des rêves, écrit par derrière la vie, continue d’exiger sa part d’existence, que je l’entende ou pas, il souffle ses lettres anciennes dans mes yeux, dans ma bouche.
Je m’étends sur la mer en étoile,
avec un souhait profond, embrasser l’univers,
le boire. Mes souvenirs me font trembler.
Attachée au vent comme à un feu,
je glisse dans la marée, insoumise,
pour toucher la mémoire des hommes.
La matière du monde s’ouvre avec le désir.
Je suis cette nuit de fête sur la plage mouillée.
Je ne sais plus si l’ivresse me provient de la couleur
des flammes, de sa salive au goût de cassis
ou du mouvement des étincelles du plancton
sous nos brasses, mais il me faut sa chair
pour réveiller le pouvoir de la nuit.
La corne de brume n’a pas faibli. Les faisceaux des phares caressent la lande fatiguée. Je tente de m’endormir, les nerfs à vif à force d’entendre le hululement des rocs, ces vieux hiboux, avertir les navires de leur douloureuse présence. Et je plains les gardiens de phare, en paradis comme en enfer, d’avoir à subir le son pénible de la corne des semaines durant.