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Citations de Lauren Kate (326)


Soudain, une clameur s’éleva de l’assistance. Luce avait raté l’instant crucial. Francesca planta la pointe de son épée dans la poitrine de Steven, tout près du coeur, si bien que sa lame se courba. Ils demeurèrent tous deux immobiles, à se regarder dans les yeux. Cela faisait-il aussi partie du spectacle ?

— En plein coeur, déclara Steven.

— Comme si tu en avais un ! railla Francesca.

Ils semblaient avoir oublié que la terrasse était bondée d’élèves.
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— Crevettes à la diable, annonça Molly en soulevant le couvercle de sa cocotte.

Luce huma le fumet épicé et aillé.

— Une recette familiale, précisa Molly, qui reposa le couvercle.

Elle bouscula presque Luce pour entrer dans la maison et faillit heurter Shelby au passage.

— Excuse-toi, dirent-elles en choeur en se toisant d’un air soupçonneux.

— Génial, commenta Gabbe en embrassant Luce. Molly vient de se faire une amie.
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Quand elle émergea de la salle de bains, Shelby était en train de dévorer le petit-déjeuner que les filles avaient apporté. C'était très appétissant : viennoiseries, beignets aux pommes, muffins, roulés à la cannelle et trois sortes de jus de fruit. Jasmine lui tendit un énorme muffin au blé complet et une portion de fromage fondu :

- C'est bon pour le cerveau.

- C'est quoi, tout ça ? s'enquit Miles en passant la tête dans l'entrebâillement de la porte.

Sa casquette de baseball lui masquait les yeux, ses cheveux châtains dépassaient sur les côtés et son sourire creusait ses fossettes. Dawn se mit aussitôt à glousser, uniquement parce que Miles était mignon. Elle était comme ça, Dawn.

Mais Miles ne parut pas s'en rendre compte. Entouré de filles, il était presque plus détendu que Luce elle-même. Peut-être avait-il une ribambelle de sœurs ou quelque chose dans ce goût-là. Il était différent des autres garçons de Shoreline, dont la décontraction semblait n'être qu'une façade. Miles, lui, était authentique.

- T'as pas de potes ? lui demanda Shelby, moins agacée qu'elle ne voulait en donner l'impression.

Maintenant qu'elle connaissait un peu mieux sa camarade, Luce commençait à trouver l'humour corrosif de Shelby presque charmant.

- Bien sûr que si, répondit Miles en entrant dans la chambre. Mais pas du genre à se pointer avec un petit déjeuner.

Il prit un roulé à la cannelle dans le sac en papier et mordit avidement dedans.

- Tu es jolie, Luce, commenta-t-il la bouche pleine.

Luce rougit, Dawn retrouva son sérieux et Shelby se mit à toussoter.

- La honte ! railla-t-elle.
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Luce ouvrit le forum de discussion pour voir si Roland était connecté. Cela devait servir à s'envoyer des questions, mais celle que Luce avait envie de poser à Roland n'entrait pas dans le cadre du cours. [...]

Roland n'était pas en ligne. Seul Miles était connecté. Un cahier portant son nom apparut à l'écran.

"Coucou !"

Il était assis juste à côté d'elle. Luce l'entendait même ricaner. C'était mignon, sa façon de s'éclater avec ses propres vannes débiles. Exactement le genre de complicité potache qu'elle aurait adoré avoir avec Daniel. Dommage qu'il fasse la tête en permanence. Et encore faudrait-il qu'il soit là...

Elle répondit à Miles : "Il fait beau, chez toi ?"

"De plus en plus", tapa-t-il sans perdre le sourire. "Qu'est-ce que tu as fait, hier soir ? Je suis passé chez toi pour te proposer de dîner avec moi."

Luce se tourna vers Miles et le fixa. Ses yeux d'un bleu intense étaient si sincères qu'elle eut envie de lui raconter les événements. Il avait été si merveilleux, l'autre jour, lorsqu'il l'avait écoutée lui parler de Sword & Cross... Mais pas question de lui répondre par écran interposé.
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Elle allait cliquer sur "Répondre" quand une fenêtre orange se mit à clignoter en bas de l'écran. Miles était connecté et voulait chatter avec elle.

Miles (8:08) : Salut, Miss Luce.

Miles (8:09) : Je meurs de faim. Tu es aussi affamée que moi, au réveil ?

Miles (8:15) : On prend un petit-déj ? Je passe te chercher dans ta chambre dans 5 mn ?

Luce consulta son réveil : 8h21. Quelqu'un frappa à la porte avec vigueur. Elle était encore en pyjama et avait une mine effroyable, mais elle ouvrit quand même. [...]

Miles ne portait pas sa casquette des Dodgers, de sorte que, pour une fois, elle vit ses yeux. Ils étaient d'un bleu très intense de ciel d'été. Ses cheveux mouillés dégoulinaient sur son T-shirt blanc. La gorge nouée, Luce ne put s'empêcher de l'imaginer sous la douche. Il lui adressa un large sourire étincelant, qui lui creusa une fossette dans la joue. Le Californien dans toute sa splendeur. À sa grande surprise, Luce trouva le spectacle fort plaisant.

- Salut, dit-elle en cachant maladroitement son pyjama. Je viens juste de lire tes messages. C'est d'accord pour le petit-déj, mais je ne suis pas encore habillée.

- Pas de problème, je t'attends.

Miles s'adossa au mur du couloir. Son estomac se mit à gargouiller furieusement. Il croisa les bras dans l'espoir que Luce n'entende rien.

- Je me dépêche ! promit-elle en riant, avant de refermer la porte.
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Lilith jeta son épée à terre, arracha son masque et foudroya Luce du regard avant de se précipiter vers les vestiaires. Les autres s'étaient levés et entouraient Luce. Dawn et Jasmine l'étreignirent avec affection. Shelby lui donna une tape dans la main. Miles attendait patiemment en retrait, mais, quand vint son tour, à sa grande surprise, il la souleva de terre et l'enlaça longuement.

Elle le serra contre elle, se rappelant sa gêne, un peu plus tôt, lorsqu'elle s'était approchée de lui, après son combat, et que Dawn l'avait précédée. Pourtant, à cet instant-là Luce était simplement heureuse d'être contre lui, à savourer son soutien sincère.

- Il faudra que tu me donnes des leçons d'escrime ! dit-il en riant.
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- Écoutez, les filles, déclara Miles, vous ne voulez quand même pas que je déboule dans des toilettes pour femmes ?

Luce balaya de nouveau le toit du regard. Il n'y avait pas d'autre moyen d'entrer dans le bâtiment.

- Si quelqu'un te voit, tu n'auras qu'à faire comme si tu t'étais trompé de porte.

- Ou bien comme si vous étiez tous les deux en train de fricoter dans une cabine, suggéra Shelby. Quoi ? On est à Vegas, non ?

- Allons-y.

Un peu gêné, Miles passa par la lucarne, les jambes en avant, et descendit jusqu'à ce que ses pieds frôlent le marbre de la coiffeuse.

- Donne un coup de main à Luce ! lui cria Shelby.

Miles alla d'abord verrouiller la porte, puis tendit les bras pour attraper Luce. La jeune fille tenta d'imiter son mouvement souple, mais ses bras se mirent à trembler tandis qu'elle franchissait l'ouverture. Elle ne voyait pas grand-chose, mais les mains puissantes de Miles se posèrent sur sa taille plus vite qu'elle ne s'y attendait.

- Tu peux lâcher, dit-il.

Elle s'exécuta, puis il la déposa avec grâce, les doigts écartés sur sa cage thoracique. Seul un fin T-shirt noir les séparait de sa peau. Il la tenait toujours enlacée quand elle toucha le sol. Elle voulut le remercier, mais elle se ravisa.

Elle se dégagea trop vite de son emprise en s'excusant vaguement de lui avoir marché sur les pieds. Un peu nerveux, ils s'approchèrent de la coiffeuse et fixèrent le mur pour ne pas se regarder dans les yeux.

Cela n'aurait pas dû se produire. Miles n'était qu'un ami.

- Hé ! Personne n'a l'intention de m'aider ?

Les pieds de Shelby gigotaient dans le vide. Miles l'attrapa par la ceinture pour la faire descendre. Il la relâcha bien plus vite que Luce, détail qui n'échappa pas à cette dernière.
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Miles avait troqué sa casquette des Dodgers et son sweat-shirt contre un pantalon en tweed marron et une chemise orange vif. Un choix quelque peu audacieux, mais il avait de l'allure.

- Hé !

Il lui fit signe de la main, tenant de l'autre une pile d'assiettes sales. Il ne semblait guère se formaliser de sa tâche. Il souriait, très à l'aise, et bavardait avec les convives en débarrassant leurs couverts.

En voyant Luce approcher, il posa ses assiettes et l'étreignit longuement.

- Ça va ? s'enquit-il en penchant la tête de côté, de sorte que ses cheveux châtains lui tombèrent sur les yeux.

- Tu as une sale tête, reprit-il. Enfin, je veux dire, tu es super, vraiment, j'adore ta robe, et ta coiffure aussi. Mais tu sembles un peu... - il fronça les sourcils - démoralisée.

- C'est bizarre, répondit la jeune fille en martelant la pelouse de la pointe de sa chaussure à haut talon, parce que je ne me suis jamais sentie aussi bien.

- Vraiment ? fit Miles.

Son visage s'illumina face à ce qu'il prenait pour un compliment, mais sa joie fut de courte durée :

- Ça doit être pénible d'être consignée. Francesca et Steven exagèrent de te garder sous la main toute la soirée...

- Je sais.

- Ne te retourne pas tout de suite, je suis sûr qu'ils nous épient. Génial, ma grand-tante Ginger...

- Je viens d'avoir le plaisir de la rencontrer, dit Luce en riant. Elle veut te voir.

- Tu m'étonnes. Ne va pas croire que tous les membres de ma famille sont comme elle. Quand tu feras la connaissance du reste du clan, pour Thanksgiving...

Thanksgiving avec Miles, Luce avait complètement oublié.

- Oh, fit-il en voyant sa mine déconfite. Tu ne crois quand même pas que Frankie et Steven vont t'obliger à rester ici ?

- Ils ont dit "jusqu'à nouvel ordre", non ? répondit la jeune fille, désabusée.

- C'est donc ça qui te mine...

Il posa une main sur son épaule nue. La jeune fille avait regretté d'avoir choisi cette robe sans manches, mais le contact des doigts de Miles sur sa peau... - rien à voir avec les caresses de Daniel, qui étaient électrisantes, magiques - lui apporta un certain réconfort.

Miles s'approcha et se pencha vers elle :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Elle plongea son regard dans ses yeux bleu foncé. Il n'avait pas ôté la main de son épaule. Luce entrouvrit les lèvres, pour dire la vérité, du moins ce qu'elle en savait, prête à tout avouer.
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Ils s'installèrent côte à côte sur le lit de Luce. Elle ne savait où poser les mains. Aurait-elle l'air naturel si elle les gardait sur ses genoux ? Si elle les disposait sur les côtés, effleureraient-elles le bout des doigts de Miles ? Du coin de l’œil, elle voyait la poitrine du garçon se soulever au rythme de sa respiration. Elle l'entendit se gratter la nuque. Et, quand il enleva sa casquette, elle sentit le parfum d'un shampoing aux agrumes.
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A Thunderbolt, en franchissant le seuil de la maison de ses parents, elle constata que rien n'avait changé. Le porte-manteau de l'entré ployait toujours sous le poids des vêtements. Il flottait un parfum de lingettes et de dépoussiérant aussi fort que de coutumes. Dans le salon, le canapé fleuri était jauni par les rayons du soleil qui filtraient à travers les volets. Des magazines de déco tachés de thé jonchaient la table basse. Certaines pages étaient marquées par des tiquets de supermarché, pour l'avenir encore lointain où ses parents auraient remboursé leur crédit et pourraient dépenser un peu d'argent pour faire des travaux. Andrew, le caniche hystérique de sa mère, vint renifler les invités et mordiller la cheville de Luce, comme à son habitude.
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Et il y aurait d’autres personnes comme Mlle Sophia. Luce le savait. Hélas, nul ne lui avait appris à les reconnaître. La bibliothécaire avait une apparence normale… jusqu’à la fin. Les autres auraient-ils le même air innocent que ce garçon aux cheveux châtains assis à côté d’elle, par exemple ? La gorge nouée, Luce croisa les mains sur ses genoux et pensa à Daniel. Daniel la conduirait en lieu sûr.
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Ses yeux scintillaient d'une lueur violette, non pas de colère, mais d'un désir intense. Un regard qui vous fait aimer une personne si fort qu'elle vous manque même quand elle est là.
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Fermant les yeux, elle se laissa soulever de terre. Lorsqu'il l'embrassa, elle pencha la tête en arrière pour mieux savourer son baiser. Les ténèbres et le froid firent place au bonheur d'être inondée de cette lumière violette. Même le grondement de l'océan

était couvert par le doux bourdonnement de l'énergie que le corps de Daniel dégageait.

Elle enroula les bras autour de son cou et caressa ses épaules, la lisière douce de ses ailes puissantes et chatoyantes, telles de grandes voiles qui se déployaient de part et d'autre de son dos, lisses et parfaites en tous points.

Il effleura ses lèvres, puis remonta vers l'arête de son nez avant d'embrasser tendrement ses paupières.
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Il l'enlaça et la serra contre lui.

Luce n'avait pas peur. Elle se sentait détaché de ce qui l'entravaitsur terre. Libre de tout danger ou souffrance, de tout sens de la gravité. Et tellement amoureuse...

-Cela valait la peine d'endurer tout ce que nous avons traversé pour vivre de tels moments, déclara Daniel.

Il l'embrassa comme jamais auparavant. Son long baiser parut ne jamais devoir s'arrêter. Les mains de Daniel errèrent sur tout son corps, de plus en plus curieuses et pressées d'explorer ses courbes. Elle se fondit contre lui tandis su'il caressait les cuisses, les hanches, les épaules pour mieux la faire sienne.

Luce palpa ses muscles saillants sous sa chemise en coton, ses bras fermes, son cou, le creux de ses reins...

Elle l'embrassa fébrilement sur la joue, les lèvres. Dans les nuages, les yeux de Daniel étaient plus pétillants que la plus belle des étoiles. Enfin, Luce se sentait à sa place.
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- Miles, dit-elle en le repoussant, tu ne devrais pas faire ça.

M'embrasser est... - elle déglutit - dangereux.

Il se mit à rire. Naturellement. Il ne savait rien de Trevor.

-Je veux bien prendre le risque.

Elle voulut reculer, mais il avait le don de la mettre à l'aise en toutes circonstances. Même celles-ci. Quand les lèvres de Miles se posèrent sur les siennes, elle retint son souffle, s'attendant au pire. Mais rien ne se produisit.

Miles avait les lèvres douces comme du duvet. Il l'embrassa assez légèrement pour demeurer son ami, mais avec suffisamment de passion pour lui prouver qu'elle pouvait aller plus loin, si elle le voulait.

Il n'y eut pas de flammes, de peau brûlée, ni de mort ni de destruction. Pourquoi? Ce baiser était censé être mal. Depuis si longtemps, les lèvres de Daniel étaient les seules qu'elle désirait.

Elle rêvait de ses baisers, de son sourire, de ses superbes yeux violets, de son corps serré contre le sien.

Il ne devait pas y avoir d'autre garçon.
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- C'est quoi, cette histoire de grille-pain? Tu veux un grille-pain? murmura-t-il à son oreille.

- Je ne sais pas ce que je veux...

- Moi si, lui assura-t-il en soutenant son regard. Je te veux.

- Je sais, mais...

- Rien ne pourra me dissuader, quoi qu’on te dise, quoi qu'il arrive.

- Mais je veux plus que du désir. J'ai besoin qu'on soit ensemble, vraiment ensemble.

- On le sera bientôt, c'est promis. Cette situation n'est que temporaire.

- Tu me l'as déjà dit...
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-Ne pars pas, l'implora-t-elle, les yeux fermés.

Tout se passait trop vite. Elle refusait de renoncer à lui. Pas encore.

Elle n'en serait sans doute jamais capable...
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Elle lui ordonnait d'aller chercher Luce, elle se chargerait de ses parents.

Elle couvrirait les arrières de Daniel afin qu'il puisse s'occuper de ce qui comptait vraiment.

-Nous te retrouverons et t'aiderons dès que possible, semblait-elle dire.

La lune surgit de derrière un nuage. L'ombre de Daniel s'étira dans l'herbe, à ses pieds. Il la regarda enfler légèrement, puis appela un Annonciateur en son centre. Les ténèbres fraîches et humides le frôlèrent.

Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas voyagé dans le temps. Il n'avait pas coutume de regarder en arrière. Les gestes étaient inscrits dans ses ailes, son âme ou son coeur. Il agit rapidement et détacha l'Annonciateur de sa propre ombre en le soulevant de terre. Puis il le lança comme une boule en argile, juste devant lui et il forma un portail impeccable. Il était présent dans toutes les vies antérieures de Luce.

Pourquoi ne la retrouverait-il pas?

Il ouvrit la porte. Il n'avait pas de temps à perdre. Son coeur le guiderait. Il sentait au plus profond de lui qu'un danger le guettait mais il avait aussi l'espoir que quelque chose d'incroyable surviendrait.

Il le fallait.

Son amour brûlant le submergeait à tel point qu'il redouta un instant de ne pas pouvoir franchir le portail. Il serra ses ailes contre son corps et sauta dans l'Annonciateur. Derrière lui, dans le jardin, il entendit une certaine agitation, des murmures, des bruissements et des cris.

Il s'en moquait. Plus rien n'avait d'importance. Seule Luce comptait.

En traversant l'ombre, il poussa un cri de joie.

-Daniel.

Des voix, derrière lui, s'approchaient. Elles l'appelaient, tendis qu'il s'enfonçait dans le passé.

Allait-il la retrouver?

Cela ne faisait aucun doute.

Allait-il la sauver?

Oui, toujours.
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-Mais qu'est-ce que je vais faire ici, moi? demanda-t-elle.

-Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer ta sécurité. cet endroit est le meilleur refuge, pour l'instant. je t'aime Luce. Plus que tout. je reviendrai te chercher dés que possible.

Elle se retint de protester. Daniel avait renoncé à tout pour elle.

Lorsqu'il la libéra de son étreinte, il ouvrit la main. Une petite forme rouge se mit a gonfler dans sa paume. Son sac de voyage! A l'insu de la jeune fille, il l'avait sorti du coffre de la voiture et gardé dans le creux de sa main. En quelques secondes, le bagage retrouva sa taille normale. Si elle n'avait pas été aussi bouleversée par ce que ce geste signifiait, Luce aurait adoré ce tour de force.

À l’intérieur du bâtiment, une lumière s'alluma. Puis une silhouette apparut sur le seuil.
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En eaux neutres

Les yeux aussi gris que le brouillard qui enveloppait la côte de Sausalito, tandis que la mer agitée venait mourir sur les galets, Daniel observait la baie. En cet instant, il n’y avait pas la moindre touche de violet dans son regard. Luce était trop loin de lui…

Il affronta la tempête, mais il avait beau resserrer les pans de son caban, c’était inutile : il avait toujours froid, après la chasse.

Une seule personne pouvait le réchauffer, ce jour-là, et elle était inaccessible. Il aurait tant voulu poser les lèvres sur le sommet de son crâne, comme il en avait coutume. Il se voyait l’enlacer, puis se pencher pour l’embrasser dans le cou. Cependant, il valait mieux que Luce ne soit pas là, car elle serait horrifiée par la scène qui se déroulait.

Derrière lui, les plaintes des otaries qui affluaient le long du littoral sud d’Angel Island exprimaient son sentiment de solitude absolue, sans personne aux alentours.

À part Cam.

Accroupi devant Daniel, celui-ci nouait une ancre rouillée autour de la silhouette trempée gisant à leurs pieds. Même dans cette sombre mission, Cam avait fière allure, avec ses yeux verts pétillants et ses cheveux noirs coupés courts. Pendant une trêve, les anges étaient toujours plus radieux. Ils avaient les joues plus roses, les cheveux plus soyeux… Même leur corps déjà parfaitement musclé était plus affûté. Les jours de trêve leur faisaient autant de bien que des vacances au bord de la mer pour les humains.

Ainsi, même si Daniel souffrait chaque fois qu’il était contraint de mettre fin à une vie humaine, il semblait rentrer d’une semaine à Hawaii : il était détendu, reposé, bronzé…

Cam effectua un nœud sophistiqué dont il avait le secret et déclara :

- Ça ne m’étonne pas de toi, ça, Daniel ! Il faut toujours que tu te défiles pour me laisser le sale boulot.

- Qu’est-ce que tu racontes ? C’est moi qui l’ai achevé, non ?

Daniel baissa les yeux vers le cadavre d’un homme dont les cheveux gris étaient plaqués sur un front cireux. Il avait les mains noueuses et portait des bottes en caoutchouc bon marché. Son torse était lacéré d’une plaie rouge. Daniel frissonna de plus belle. Si ce meurtre n’était pas indispensable à la sécurité de Luce, Daniel n’utiliserait plus la moindre arme, il ne se battrait plus jamais.

La mort de cet homme laissait Daniel en proie à un certain malaise. Quelque chose clochait. En fait, il avait l’intime conviction que ça n’allait pas du tout.

- C’est le coup de grâce, le moment le plus agréable, commenta Cam en enroulant la corde autour du torse de l’homme avant de la serrer sous ses bras. Le pire, c’est de le jeter à la mer.

Daniel tenait encore la branche ensanglantée. Cam l’avait raillé d’avoir choisi cette arme, mais Daniel n’en avait que faire. Il était capable de tuer avec n’importe quoi.

- Dépêche-toi, grommela-t-il, dégoûté par le plaisir manifeste que Cam prenait à assassiner des êtres humains. Tu perds du temps ! La marée baisse.

- Et à moins qu’on ne procède à ma manière, la marée haute ramènera la cadavre ici même dès demain. Tu es trop impulsif, Daniel. Comme toujours. Tu ne réfléchis donc jamais à long terme ?

Daniel croisa les bras et observa de nouveau les vagues ourlées d’écume. Un catamaran venant du port de San Francisco filait dans leur direction. Naguère, ce spectacle aurait ravivé une foule de souvenirs de promenades avec Luce, sur toutes les mers du monde, au cours d’un millier de vies successives. Mais à présent… Maintenant qu’elle risquait de mourir et de ne jamais revenir, dans cette vie où tout était différent, et où il n’y aurait plus de réincarnations, Daniel n’était que trop conscience que Luce ne possédait aucun souvenir. C’était la dernière fois pour tous les deux. Pour tout le monde, en réalité. C’était donc la mémoire de Luce qui comptait, et non la sienne. Il fallait que des vérités cruelles remontent à la surface, si la jeune fille devait survivre. À la seule pensée de ce qu’elle avait à découvrir, Daniel se crispa.

Si Cam croyait qu’il ne pensait pas à l’étape suivante, il se trompait.

- Tu sais bien que je ne suis encore là que pour une seule raison, déclara Daniel. Il faut que nous parlions d’elle.

- C’est ce que je faisais, répondit Cam.

Avec un grommellement, il hissa le corps inerte par-dessus son épaule. Le costume bleu marine de la victime se froissa sous la corde. La lourde ancre reposait sur son torse ensanglanté.

- Il est un peu pénible, celui-là, commenta Cam. Je trouve ça presque insultant que les Aînés n’aient pas envoyé un homme de main plus à la hauteur.

Puis, tel un lanceur de marteau aux jeux olympiques, Cam fléchit les jambes et tourna trois fois sur lui-même pour prendre son élan avant de projeter le cadavre à une trentaine de mètres dans les airs, vers la mer.

L’espace de quelques secondes, la dépouille survola la baie, puis le poids de l’ancre le fit chuter inexorablement. Il tomba dans les eaux turquoise dans un grand éclaboussement et sombra aussitôt.

Cam s’essuya les mains.

- Je crois que je viens de battre un record, dit-il.

Ils se ressemblaient à bien des égards, mais Cam était pire. En tant que démon, il était capable des actes les plus vils sans l’ombre d’un scrupule. Daniel, lui, était rongé par les remords. Et pour l’heure, il était transi d’amour.

- Tu prends la mort humaine bien à la légère, dit Daniel.

- Ce type méritait son sort, répliqua Cam. Tu ne saisis donc pas le plaisir qu’il y a dans tout cela ?

- Pour moi, Luce n’est pas une proie ! rétorqua Daniel.

- Et c’est la raison pour laquelle tu vas perdre.

Daniel empoigna Cam par le col de son trench-coat gris acier. Il avait envie de le jeter à l’eau comme il venait de le faire avec le prédateur.

Un nuage passa devant le soleil et assombrit leurs visages.

- Doucement, fit Cam en se dégageant. Tu as un tas d’ennemis, mais, pour l’heure, je n’en fais pas partie. N’oublie pas la trêve.

- Tu parles d’une trêve ! maugréa Daniel. Dix-huit jours pendant lesquels d’autres vont tenter de la tuer…

- Dix-huit jours pendant lesquels on les repousse ensemble, corrigea Cam.

Par tradition, une trêve durait dix-huit jours, chez les anges. Au Paradis, dix-huit était le nombre le plus favorable, le plus propice : deux fois sept (les archanges et les vertus cardinales) que venait contrebalancer l’avertissement des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Dans certaines langues mortelles, le nombre dix-huit avait fini par représenter la vie elle-même. En l’occurrence, pour Luce, il aurait tout aussi bien pu signifier la mort.

Cam avait raison. Tandis que la nouvelle de la mortalité de Luce dégoulinait le long des couches célestes, les rangs de ses ennemis allaient doubler et redoubler chaque jour. Melle Sophia et sa clique, les vingt-quatre Aînés Zhsmaelin, étaient toujours aux trousses de Luce. Daniel les avait aperçus dans les ombres projetées par les Annonciateurs, le matin même. Il avait entrevu autre chose, aussi, d’autres ténèbres, une fourberie plus profonde, qu’il n’avait pas identifiée tout de suite.

Un rai de lumière transperça les nuages et, du coin de l’œil, Daniel décela une lueur. En se tournant, il s’agenouilla pour trouver une flèche plantée dans le sable humide. Elle était plus fine qu’une flèche ordinaire, d’un ton argenté terne, ornée de volutes, et chaude au toucher.

Daniel sentit sa gorge se nouer. Cela faisait une éternité qu’il n’avait pas vu une étoile filante. Les doigts tremblants, il arracha la flèche en prenant soin d’éviter sa pointe acérée et mortelle.

Il savait désormais d’où provenaient ces autres ténèbres, chez les Annonciateurs du matin. La nouvelle était encore plus grave qu’il le redoutait. Il se tourna vers Cam, tenant la flèche légère comme une plume entre ses mains.

- Il n’a pas agi seul.

En voyant la flèche, Cam se crispa. Il s’en approcha presque respectueusement et tendit la main vers elle, comme Daniel l’avait fait.

- Une arme si précieuse, et il faut l’abandonner. Les Bannis devaient être très pressés de s’en aller.

Les Bannis étaient une secte d’ange lâches et bavards exilés à la fois du Paradis et de l’enfer. Leur atout majeur était Azazel, ange reclus, le dernier qui connaisse encore l’art de créer des étoiles filantes. Lorsqu’il était décoché par la flèche argentée, le tir ne risquait guère de provoquer plus qu’une ecchymose chez un humain. Mais pour les anges et les démons, c’était la plus mortelle des armes.

Tout le monde la voulait, mais personne n’était disposé à s’associer avec les Bannis. Ainsi, les échanges de tirs d’étoiles se déroulaient toujours de façon clandestine, par le biais d’un messager. Ce qui signifiait que le type que Daniel avait tué n’était pas un homme de main envoyé par les Aînés. Ce n’était qu’un intermédiaire. Les Bannis, le véritable ennemi, avaient disparu comme par enchantement, sans doute dès l’instant où ils avaient aperçu Daniel et Cam. Daniel frémit : ce n’était pas de bon augure.

- Nous n’avons pas tué l’homme qu’il fallait.

- Comment ça ? répondit Cam, désinvolte. Cela fait toujours un prédateur en moins. Le monde ne s’en portera que mieux. Et Luce aussi, non ? (Il fixa Daniel, puis la mer.) Le seul problème, c’est…

- Les Bannis.

Cam opina.

- Donc ils la veulent aussi, désormais.

Sous son pull en cachemire et son épais manteau, Daniel sentait frémir les extrémités de ses ailes, telle une démangeaison brûlante qui le troublait. Il demeura immobile, les yeux fermés, les bras ballants. Il avait peine à se retenir de déployer ses ailes avec la puissance des voiles d’un bateau, de peur qu’elles ne l’emportent loin de cette île, au-dessus de la baie. Droit vers Luce.

Il ferma les yeux et tenta d’imaginer la jeune fille. Il avait eu toutes les peines du monde à s’arracher de la cabane où elle dormait paisiblement, sur l’île minuscule de Tybee. Ce devait être le soir, là-bas. Était-elle réveillée ? Avait-elle faim ?

La batail
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