Je grelotte. Adossé au mur glacé de notre cachot, je lève la tête en direction du soupirail de notre cellule. La vitre, cassée depuis des lustres, laisse l'air froid s'engouffrer dans la minuscule pièce. je m'en moque. Bientôt, tout sera terminé. Plus de souffrance, plus de peur. Plus rien. Saoulé de coups, mon corps n'est plus que douleur.
- Mon grand-père m'en avait parlé, poursuivit notre hôte, plus imperturbable qu'une aiguille avançant sur le cadran d'une montre. Il avait travaillé ici jusqu'à la mort de Staline et en conservait d'excellents souvenirs. Le camp a été abandonné peu de temps après. J'ai toujours pensé qu'un endroit comme celui-là, à l'écart de tous, oublié, avait un certain charme, quelque chose de, comment dites-vous déjà ? Ah oui... Pittoresque.
Un coin pittoresque et de bons souvenirs, maintenant ? D'un goulag ? Mon Dieu ! Mais qui était le psychopathe qui se tenait devant nous ?
Jusque-là, le témoignage de Nikonovitch corroborait ce que l’on savait de l’événement par d’autres sources : une météorite géante s’était vraisemblablement écrasée à une soixantaine de kilomètres de la bourgade. Vanavara avait subi quelques dégâts matériels, mais on ne déplorait aucun décès dans la ville. C’est ensuite que son récit divergeait de la thèse officielle pour prendre un tour insolite. Et tragique.
Une alarme retentissante se déclencha dans le poste de pilotage avant que Tchaïka ne termine sa phrase. Au même instant, sur le tableau de bord, un voyant rouge se mit à clignoter avec frénésie.
— Bordel ! C’est quoi ça ? s’exclama Anatoli, incapable de masquer son inquiétude.
— Je n’en sais rien ! On dirait...
D’un geste précis de la main, Tchaïka désigna à son second l’indicateur de pression du moteur droit. Elle était au plus bas, signe que quelque chose clochait dans le circuit d’alimentation du réacteur. Son second hocha la tête et, sans s’affoler, appuya sur un bouton pour faire taire l’alarme.
Et dire que j'avais souhaité passer des vacances différentes ! Sportives ! Ah, ça, pour le sport, nous étions servis ! Courir, esquiver d'un bond des armées de souches traîtresses et des branches pendantes, se retenir pour ne pas glisser sur les troncs vermoulus... Tout se liguait contre nous, mais nous n'avions pas d'autre choix que d'avancer avec le maigre espoir de sauver des vies.
Elsa et l'optimisme ! Je l'aimais pour cela. Je passe sur sa beauté, son intelligence et son charme, toutes qualités qu'elle personnifiait. J'en fais trop, vous croyez ? Non. C'est comme cela que je la voyais. Sincèrement. Mais, au-delà de ça, d'aussi loin que je me souvienne, ce qui m'avait séduit chez elle, c'était sa capacité à rebondir face à l'adversité. Un mur ? Il se contourne. Impossible ? Passons dessous, alors. Toujours pas ? Escaladons ! Ou dynamitons-le, que sais-je... Bref, à chaque problème, elle trouvait une solution.
Des lambeaux de chairs déchiquetées et des os brisés. Les cadavres gisaient sur la rive.
Tout avait pourtant débuté comme à l’accoutumée près du lac. Sereinement.
Cela fait des années que j’exerce le métier de paléontologue. Spécialiste du Crétacé, pour être exact. D’ordinaire, je travaille au Museum d’Histoire naturelle de paris, mais aux beaux jours, lorsque la capitale devient irrespirable et fourmille de touristes, je retourne aux sources de mon métier, le terrain.
Malheureusement, mon espoir s’évanouit plus vite qu’un étudiant en médecine disséquant son premier cadavre.
Mouchoir sur le nez pour fuir la puanteur, je poursuivis mon errance au milieu des restes de murs renversés, craignant à chaque pas d'enjamber des cadavres. Je me surpris à appeler. En vain, bien sûr. Tout n'était que désolation, silence et mort.