La loterie des sentiments est une roulette hasardeuse et bien cruelle parfois.
Repense-t-il donc à ce voyage, Louis, les yeux fermés dans son grand sac noir, dans son grand tiroir noir ?... Songe-t-il à tous ces voyages effectués à la lumière de sa vie, tous ces visages qui lui ont souri, un jour, une fois... Ces mains, tendues... tenues, au cours de ces balades amoureuses le long de rues étrangères, traversant des quartiers inconnus, mains tendres et jointes se balançant, gaies, sous le soleil des chemins de campagne aussi... aux sables des plages d’Amérique ou des glaces de Pologne. Probablement. Il revoit ses amours, ses amis, ses compagnons de route, de fortune et d’infortunes... Joies et galères, bonheurs et chagrins... Il revoit tout. Ne dit-on pas que toute la vie défile au moment de la mort ?... et la vie de Louis a défilé́ si vite, si vite : Un claquement de doigts et toc, c’était fini ! Fin du voyage. Atterrissage... ou plutôt crash dans son cas, vu son inélégante chute sur le bitume.
J’aimerais avoir le talent de certains
grands esprits, qui réussissent par leurs
mots à garder la verdeur des émotions qu’ils
cueillent et mettent dans leur somptueux
herbier. J’aimerais avoir l’œil, le regard
aiguisé et fidèle, de certains grands
photographes qui savent capturer l’instant
parfait, le geste juste, la lumière idéale.
La colère n'est autre qu'une défense contre la peur... et la haine en est comme un habit qui se tisse au fil du temps, une armure, un carcan d'acier dans lequel on s'enferme doucement.
- « Je vais... Je vais où le vent me porte Monsieur. Je vais au-delà de moi-même, si je le puis... le plus loin possible... Je vais au pays où les préjugés n'ont plus cours. Là où on peut exister comme on l'entend, sans devoir se caler dans des moules qui ne vous correspondent pas. Je vais au pays où on n'a rien à prouver, rien à démontrer... le pays où l'on peut se vêtir comme on l'entend et où la fantaisie de chacun n'est pas sans cesse moquée par son terne voisin, mais encouragée, reconnue, acceptée. C'est dans ce pays que je vais. Le pays de la liberté. Le pays de la fierté pure, sans artifice. Là où l'on n'est pas sans cesse jugé, évalué, marqué, pointé du doigt... »
Le confort ce n'est pas tant l'espace que le fait d'avoir un coin à soi.
Se présente alors à lui un homme plutôt
élégant, lui aussi, habillé d’un costume,
portant à son bras un attaché-case noir.
Sûrement un représentant ou quelque-chose
comme-ça... Ses origines nord africaines
pré-supposées par Luc au premier regard
sont confirmées à la lecture du passeport :
Ahmed Maloud, né à Casablanca, au Maroc,
en 1979. « Bonjour » lui dit l’homme. Luc
répond par un signe de la tête. Un signe qui
peut vouloir dire bonjour, comme oui, ou
bien attendez là... ou bien silence ! Puis il
scrute les trois photos collées sous la vitre.
Un des trois individus ressemble un peu à
l’homme, mais ce n’est pas lui. Les sourcils,
le nez ne matchent pas. Tant mieux. Luc
n’aime pas les histoires.
Augustin monte cet escalier comme
traversant un rêve, ou plutôt un obscur
cauchemar. Il se tient désespérément à la
rampe, froide, pour ne pas s’effondrer. La
peur lui fait trembler les jambes, mais il
avance. Il le doit. Il essaye de se convaincre
que tout cela n’est rien. Que c’est juste
l’escalier du cimetière, il le connaît bien.
Que ce sont juste des allées normales,
traversées le jour par des familles, des
enfants y jouent même. On y dit la messe à
la petite église ci-contre. Le lieu est familier.
Il ne faut pas qu’il aie peur. Il n’y a pas de
raison... Mais Augustin tremble de tout son
être. Il tremble, mais il avance... résigné.
Les deux âmes observent à présent
comme avec détachement l’agitation en
dessous. Détachement, c’est le mot: elles
sont comme détachées de leurs de leurs
corps étendus. Déshabillées de leurs
uniformes terrestres, ceux-là même qui
marquaient tant leurs différences. Les liens
en ont été rompus par cette brusque mort.
Elles sont comme nues, et se ressemblent.
Jumelles qui s’ignorent, s’ignoraient. En
dessous, il y a des cris, des pleurs. On
courre, on appelle. Les deux âmes restent
immobiles, comme leurs corps, mais assises,
plus haut, assistant au spectacle.
Son départ devrait me remplir de cette
petite joie mesquine et ridicule de voir ma
place ainsi libérée, mais je sens comme un
désarroi, une gêne à présent, qui s’empare
de moi. Gêne de prendre cette place qui ne
m’apparaît soudain plus tout à fait comme
mienne, bizarrement, depuis qu’il s’est levé.
Depuis que nos regards se sont croisés.
Comme si je l’avais chassé. Étrange
sentiment de culpabilité. Je parcoure
finalement les quelques pas restants qui me
séparent du banc et m’assois à sa place, ma
place... jouir de ce moment tant attendu.