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Citation de jlvlivres


« Le Cornet Acoustique » est un récit de Leonora Carrington traduit et édité dans la collection « L’Age d’Or » dirigée par Henri Parisot (1974, Flammarion, Le Terrain Vague, 246 p.). Le texte fait partie de l’« Œuvre Ecrit » en tant que « Récits », soit le tome 2 (2022, Fage, 432 p.).
Ce deuxième volume des œuvres complètes écrites est consacré aux récits écrits entre 1940 et 1974. Ils sont introduits par une préface de Jacqueline Chénieux-Gendron. A mon avis, il manque, dans les trois tomes de ces œuvres, une partie bibliographique qui resitue les différents écrits. Le tout comporte « Histoire du Petit Francis », « En bas », « La Porte de Pierre » et « Le Cornet Acoustique ». Ce sont donc des univers stupéfiants de magie, truffés de passages où s'engouffrent toutes les autres réalités. Certains étaient encore inédits, par la suite de tribulations diverses des divers manuscrits. C’est particulièrement le cas pour « Histoire du Petit Francis ».
Dans la réédition du NYRB « The Hearing Trumpet » (2021, New York Review of Books Classics, 224 p.) le texte traduit en anglais par Antonia Lloyd-Jones est suivi par une postface de Olga Tokarczuk. Il comprend également des illustrations en noir et blanc du fils de Carrington, Pablo Weisz Carrington. Dans sa préface, Olga Tokarczuk, qui entre temps a reçu le Prix Nobel, précise même qu’elle a lu le texte, ignorant initialement qui était Leonora Carrington. Elle indique ensuite que l’écriture de son « Sur les ossements des morts », traduit par Margot Carlier (2012, Noir sur Blanc, 302 p.) est indépendant de sa lecture. Et pourtant ce dernier roman commence par « Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit ».
Pour comprendre l’écriture de Leonora Carrington, il faut remonter à sa biographie. Et là encore il existe deux périodes. La première est décrite dans « Leonora » de Elena Poniatowska, en espagnol (2011, Seix Barral, 512 p.), puis traduit par Claude Fell (2012, Actes Sud, 448 p.). Réciproquement, Leonora illustrera « Lilus Kikus », un roman de Poniatowska en espagnol (2012, Editorial Trifolium, 54 p.) sur une petite fille Lilus Kikus, grandie trop vite, qui remet le monde à l’endroit dans son esprit en colimaçon.
La seconde, plus récente, prend en compte cette histoire mexicaine. C’est « The Surreal Life of Leonora Carrington » de Joanna Moorhead, en anglais (2019, Virago, 336 p.).
La période de vie au Mexique est pour Leonora Carrington, celle du deuil et du renouveau. Les séquences pénibles de la période français, puis espagnole, en compagnie de Max Ernst sont loin. Elle a compris que le mariage de Max Ernst avec Peggy Guggenheim ne marcherait jamais. Elle l’écrit dans le « Post-Scriptum » qui termine « En Bas ». « Je ressentais qu’il y avait quelque chose de faux dans la relation de Max et Peggy. Je savais qu’il n’aimait pas Peggy, et j’ai encore ce côté puritain, on ne doit pas être avec quelqu’un qu’on n’aime pas ». A Mexico, elle rencontre le photographe hongrois Imre « Chiqui » Weisz (1911-2007) ancien compagnon de route de Robert Capa. Elle l’épouse et ils ont deux enfants, Pablo et Gabriel.
Elle entre alors dans une période de créativité intense. Avec Remedios Varo, elle trouve « une intensité du pouvoir de l’imagination qu’(elle) n’avait pas rencontré ailleurs ». Les deux femmes ont commencé à étudier la Kabbale, l'alchimie et les écrits mystiques des Mayas post-classiques. Cette période couvre la mythologie des cultures anciennes du Moyen-Orient, de l'Europe occidentale et de l'Angleterre. Au cours de ces temps, les hommes ont brutalement anéanti les sociétés matriarcales, remplacées par des structures patriarcales. C’est une révélation pour ces deux femmes, qui ont toujours voulu être libres. Dans ses peintures, Leonora Carrington a commencé à incorporer ces thèmes et mythes mythologiques dans son art, créant des couches énigmatiques et riches de sens et de symbolisme féministe.
Puis l’activisme politique de Leonora Carrington s'est poursuivi tout au long des années 1960 et 1970. En 1972, elle participe à la fondation du mouvement de libération des femmes mexicaines et elle organise de nombreuses réunions d'étudiants dans sa résidence. C’est lors de ces réunions que Roberto Bolaño a pu la croiser, ce qui explique son peu d’attention, alors qu’il est plus intéressé par l’écriture de Remedios Varo, par opposition, alors que Leonora peint. Elle part ensuite dans les années 80 vivre à New York, dans une petite chambre individuelle au sous-sol du quartier de Gramercy Park, pas très loin de Greenwich Village. Elle avait choisi de vivre sous le niveau de la rue car c'est là qu'elle se sentait en sécurité et elle était très contente de son cadre modeste. Elle publie alors « The Debutante and Other Stories » avec une Introduction par Sheila Heti et une Postface par Marina Warner (2017, Silver Press, 168 p.). Silver Press est alors un nouvel éditeur féministe, c’est son premier ouvrage publié.

« Le Cornet Acoustique » est sans doute le récit le plus connu de Leonora Carrington. La trame est relativement simple. Une vieille femme Marion Leatherby, quatre-vingt-douze ans, vit avec son fils Galahad, sa femme Muriel et l'un de leurs cinq enfants qui est toujours à la maison. Son amie Carmella lui offre un cornet acoustique afin qu’elle puisse entendre ce que l’on dit, surtout du mal, autour d’elle. Cela va changer la vie de ces deux femmes âgées, qui vont apprendre que les enfants voudraient les placer dans une maison-hospice et donc bouleverser leur train-train quotidien. L’esprit surréaliste dans lequel est écrit ce roman bouleverse également sa trame. On part très vite, de digression en digression vers un récit de type « nonsense » dans lequel la logique est bousculée par le comportement, à la fois des protagonistes, et aussi par le mode d’écriture. C’est ainsi que le récit va être globalement scindé en deux parties. La première étant la vie même de ces deux femmes âgées et leurs réactions face à la mise en maison de retraite. La seconde, initiée à partir d’une lettre à propos d’une nonne enfermée dans une tour « Doña Rosalinda Alvarez della Cueva » s’embarque sur des considérations de pouvoir entre la domination patriarcale de l’Eglise et le pouvoir féminin. On rappelle que Leonora Carrington, dans sa période mexicaine a été une fervente promotrice, avec Remedios Varo, d’un surréalisme typiquement féminin.

Donc on commence « Le Cornet acoustique » en croisant Marion Leatherby et sa meilleure amie Carmella qui vivent dans un pays hispanophone non précisé. Cette dernière « écrit des lettres » à des gens qu'elle n'a jamais rencontrés et les « signe avec toutes sortes de noms romantiques, jamais les siens ». C’est surtout à Paris depuis qu’elle « a dérobé au consulat l’annuaire du téléphone de Paris » Sa dernière lettre est « adressée à un Monsieur Belvédère d’Oise Noisis, rue de la Roche-Potin à Paris (11e) ». On ne sait si ce monsieur, au si joli nom, lui répondra. Marion vit avec son « arrière-petit-fils Galahad la plupart du temps dans l’arrière-cour ». Galahad et Muriel, son épouse ont cinq enfants, dont le plus jeune Robert a vingt-cinq ans et vit avec ses parents. Cohabitation qui a l’air de bien se passer du point de vue de Marion. « Cent vingt ans d’âge n’est pas tellement vieux si l’on considère cela d’un point de vue biblique ». Tout est finalement une question de relativité. Einstein l’avait déjà écrit. Mais ce que voudrait Marion, le rêve de sa vie ce serait d’aller en Laponie, « me promener dans un véhicule trainé par des chiens laineux ». Le seul problème, ce sont ses deux chats Marmeen et Tchatcha, qu’elle peigne tous les jours, en réservant les poils pour faire un tricot. Elle en a déjà « rempli deux pots à confiture du joli poil doux ».
Carmella offre à son amie un superbe cornet acoustique (« hearing trumpet ») qui donne le litre au récit. « Il était très joli avec des incrustations de motifs floraux d’argent et de nacre, et il se recourbait splendidement comme la corne d’un bison ». Il faut préciser que Marion à l’oreille dure, et « une courte barbe grise que les gens conventionnels trouveraient répugnante », mais sa vue est bonne.
Au premier essai du cornet, elle espionne son arrière-petit-fils et femme. À sa grande horreur, elle apprend qu'ils prévoient de l'envoyer dans une maison de retraite. « Le Gouvernement a créé des hospices pour les personnes âgées et infirmes […] On aurait dû s’en débarrasser depuis longtemps »
La maison de retraite est en fait beaucoup, beaucoup plus étrange que Marion n'aurait pu l'imaginer. « Leur hospice s’appelle « Le Puit de la Lumière Fraternelle » », dirigé par le Dr et Mrs Gambit. Le bâtiment principal est en fait un château, entouré de divers pavillons aux formes incongrues. Il semble comporter, en outre, plusieurs cours, des cloîtres, des « fontaines stagnantes, couvertes de nénuphars », avec des arbres, dont « un colossal sapin bleuâtre » et des arbustes, et même des pelouses où elle pourra participer « à des sports organisés ». Les habitations ressemblent à « un chalet suisse », ou une « pendule à coucous », ou encore « un faux agaric rouge à tâches jaunes ». « Une des fenêtres était seulement représentée sur un mur de la cabane et n’avait vue sur rien, ni vers le dedans ni vers le dehors ». Il y a aussi « une tente de cirque » et « un igloo d’Esquimau ».Les directeurs dissimulent mal l’avarice et l’hypocrisie des directeurs qui s’épanouiront avec la création des « EHPAD » privés.
Leonora Carrington est en pleine période d’étude des thèses de George Gurdjieff (1877-1949) et John Harvey Kellogg (1852-1943). Le premier prône « Le travail sur soi » qu’il qualifie de « Quatrième Voie » avec des techniques empruntées aux fakirs, moines et yogi. On lui doit « L'Annonciateur du bien à venir » (1933, L'Originel, 98 p.), traduit par Serge Tro
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