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Citation de Partemps


F. Un membre au clan Fan, nommé Tzeu-hoa, très avide de popularité, s’était attaché tout le peuple de la principauté Tsinn. Le prince de Tsinn en avait fait son favori, et l’écoutait plus volontiers que ses ministres, distribuant à son instigation les honneurs et les blâmes. Aussi les quémandeurs faisaient-ils queue à la porte de Tzeu-hoa, lequel s’amusait à leur faire faire devant lui assaut d’esprit, à les faire même se battre, sans s’émouvoir aucunement des accidents qui arrivaient dans ces joutes. Les mœurs publiques de la principauté Tsinn pâtirent de ces excès. Un jour Ho-cheng et Tzeu-pai, qui revenaient de visiter la famille Fan, passèrent la nuit, à une étape de la ville, dans une auberge tenue par un certain Chang-K’iou-k’ai (taoïste). Ils s’entretinrent de ce qu’ils venaient de voir. Ce Tzeu-hoa, dirent-ils, est tout-puissant ; il sauve et perd qui il veut ; il enrichit ou ruine à son gré. Chang-K’iou-k’ai que la faim et le froid empêchaient de dormir, entendit cette conversation par l’imposte. Le lendemain, emportant quelques provisions, il alla en ville, et se présenta à la porte de Tzeu-hoa. Or ceux qui assiégeaient cette porte, étaient tous personnes de condition, richement habillés et venus en équipages, prétentieux et arrogants. Quand ils virent ce vieillard caduc, au visage halé, mal vêtu et mal coiffé, tous le regardèrent de haut, puis le méprisèrent, enfin se jouèrent de lui de toute manière. Quoi qu’ils dissent, Chang-K’iou-k’ai resta impassible, se prêtant à leur jeu en souriant. — Sur ces entrefaites, Tzeu-hoa ayant conduit toute la bande sur une haute terrasse, dit : Cent onces d’or sont promises à qui sautera en bas ! Les rieurs de tout à l’heure eurent peur. Chang-K’iou-k’ai sauta aussitôt, descendit doucement comme un oiseau qui plane, et se posa à terre sans se casser aucun os. C’est là un effet du hasard, dit la bande. — Ensuite Tzeu-hoa les conduisit tous au bord du Fleuve, à un coude qui produisait un profond tourbillon. A cet endroit, dit-il, tout au fond, est une perle rare ; qui l’aura retirée, pourra la garder ! Chang-K’iou-k’ai plongea aussitôt, et rapporta la perle rare du fond du gouffre. Alors la bande commença à se douter qu’elle avait affaire à un être extraordinaire. — Tzeu-hoa le fit habiller, et l’on s’attabla. Soudain un incendie éclata dans un magasin de la famille Fan. Je donne, dit Tzeu-hoa, à celui qui entrera dans ce brasier, tout ce qu’il en aura retiré ! Sans changer de visage, Chang-K’iou-k’ai entra aussitôt dans le feu, et en ressortit, sans être ni brûlé ni même roussi. — Convaincue enfin que cet homme possédait des dons transcendants, la bande, lui fit des excuses. Nous ne savions pas, dirent-ils ; voilà pourquoi nous vous avons manqué. Vous n’y avez pas fait attention, pas plus qu’un sourd ou qu’un aveugle, confirmant par ce stoïcisme votre transcendance. Veuillez nous faire part de votre formule ! — Je n’ai pas de formule, dit Chang-K’iou-k’ai. Je vais comme mon instinct naturel me pousse, sans savoir ni pourquoi ni comment. Je suis venu ici pour voir, parce que deux de mes hôtes ont parlé de vous, la distance n’étant pas grande. J’ai cru parfaitement tout ce que vous m’avez dit, et ai voulu le faire, sans arrière-pensée relative à ma personne. J’ai donc agi sous l’impulsion de mon instinct naturel complet et indivis. A qui agit ainsi, aucun être ne s’oppose, (cette action étant dans le sens du mouvement cosmique). Si vous ne veniez de me le dire, je ne me serais jamais douté que vous vous êtes moqués de moi. Maintenant que je le sais, je suis quelque peu ému. Dans cet état, je n’oserais plus, comme auparavant, affronter l’eau et le feu, car je ne le ferais pas impunément. — Depuis cette leçon, les clients de la famille Fan n’insultèrent plus personne. Ils descendaient de leurs chars, pour saluer sur la route, même les mendiants et les vétérinaires. — Tsai-no rapporta toute cette histoire à Confucius. Sans doute, dit celui-ci. Ignorais-tu que l’homme absolument simple, fléchit par cette simplicité tous les êtres, touche le ciel et la terre, propitie les mânes, si bien que rien absolument ne s’oppose à lui dans les six régions de l’espace, que rien ne lui est hostile, que le feu et l’eau ne le blessent pas ? Que si sa simplicité mal éclairée a protégé Chang-K’iou-k’ai, combien plus ma droiture avisée me protègera-t-elle moi. Retiens cela ! (Bout de l’oreille du chef d’école.)

G. L’intendant des pacages de l’empereur Suan-wang de la dynastie Tcheou, avait à son service un employé Leang-ying, lequel était doué d’un pouvoir extraordinaire sur les animaux sauvages. Quand il entrait dans leur enclos pour les nourrir, les plus réfractaires, tigres, loups, aigles pêcheurs, se soumettaient docilement à sa voix. Il pouvait les affronter impunément, dans les conjonctures les plus critiques, temps du rut ou de la lactation, ou quand des espèces ennemies se trouvaient en présence. L’empereur ayant su la chose, crut à l’usage de quelque charme, et donna ordre à l’officier Mao-K’iouyuan de s’en informer. Leang-ying dit : Moi petit employé, comment posséderais-je un charme ? Si j’en possédais quelqu’un, comment oserais-je le cacher à l’empereur ? En peu de mots, voici tout mon secret : Tous les êtres qui ont du sang dans les veines, éprouvent des attraits et des répulsions. Ces passions ne s’allument pas spontanément, mais par la présence de leur objet. C’est sur ce principe que je m’appuie, dans mes rapports avec les bêtes féroces. Je ne donne jamais à mes tigres une proie vivante, pour ne pas allumer leur passion de tuer ; ni une proie entière, pour ne pas exciter leur appétit de déchirer. Je juge de ce que doivent être leurs dispositions, d’après le degré auquel ils sont affamés ou rassasiés. Le tigre a ceci de commun avec l’homme, qu’il affectionne ceux qui le nourrissent et le caressent, et ne tue que ceux qui le provoquent. Je me garde donc de jamais irriter mes tigres, et m’efforce au contraire de leur plaire. Cela est difficile aux hommes d’humeur instable. Mon humeur est toujours la même. Contents de moi, mes animaux me regardent comme étant des leurs. Ils oublient, dans ma ménagerie, leurs forêts profondes, leurs vastes marais, leurs monts et leurs vallées. Simple effet d’un traitement rationnel.

H. Yen-Hoei dit à Confucius : Un jour que je franchissais le rapide de Chang, j’admirai la dextérité extraordinaire du passeur, et lui demandai : cet art s’apprend-il ? « Oui, dit-il. Quiconque sait nager, peut l’apprendre. Un bon nageur l’a vite appris. Un bon plongeur le sait sans l’avoir appris. » Je n’osai pas dire au passeur, que je ne comprenais pas sa réponse. Veuillez me l’expliquer, s’il vous plaît. — Ah ! dit Confucius, je t’ai dit cela souvent en d’autres termes, et tu ne comprends pas encore ! Écoute et retiens cette fois !.. Quiconque sait nager, peut l’apprendre, parce qu’il n’a pas peur de l’eau. Un bon nageur l’a vite appris, parce qu’il ne pense même plus à l’eau. Un bon plongeur le sait sans l’avoir appris, parce que l’eau étant devenue comme son élément, ne lui cause pas la moindre émotion. Rien ne gêne l’exercice des facultés de celui dont aucun trouble ne pénètre l’intérieur... Quand l’enjeu est un tesson de poterie, les joueurs sont posés.. Quand c’est de la monnaie, ils deviennent nerveux. Quand c’est de l’or, ils perdent la tête. Leur habileté acquise restant la même, Ils sont plus ou moins incapables de la déployer, l’affection d’un objet extérieur les distrayant plus ou moins. Toute attention prêtée à une chose extérieure, trouble ou altère l’intérieur.

I. Un jour que Confucius admirait la cascade de Lu-leang, saut de deux cent quarante pieds, produisant un torrent qui bouillonne sur une longueur de trente stades, si rapide que ni caïman ni tortue ni poisson ne peut le remonter, il aperçut un homme qui nageait parmi les remous. Croyant avoir affaire à un désespéré qui cherchait la mort, il dit à ses disciples de suivre la rive, afin de le retirer, s’il passait à portée. Or, à quelques centaines de pas en aval, cet homme sortit lui-même de l’eau, défit sa chevelure pour la sécher, et se mit à suivre le bord, au pied de la digue, en fredonnant. Confucius l’ayant rejoint, lui dit : Quand je vous ai aperçu nageant dans ce courant, j’ai pensé que vous vouliez en finir avec la vie. Puis, en voyant l’aisance avec laquelle vous sortiez de l’eau, je vous ai pris pour un être transcendant. Mais non, vous êtes un homme, en chair et en os. Dites-moi, je vous prie, le moyen de se jouer ainsi dans l’eau. — Je ne connais pas ce moyen, fit l’homme. Quand je commençai, je m’appliquai ; avec le temps, la chose me devint facile ; enfin je la fis naturellement, inconsciemment. Je me laisse aspirer par l’entonnoir central du tourbillon, puis rejeter par le remous périphérique. Je suis le mouvement de l’eau, sans faire moi-même aucun mouvement. Voilà tout ce que je puis vous en dire.
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