Penser à Jonah, l’homme qui veut m’attacher et me prendre pour de vrai, c’est un tout autre degré de perversité.
Mais on dirait que j’ai fini par atteindre ce niveau. Je me tortille pour retirer ma culotte et ma main glisse entre mes cuisses. Alors que mes doigts entament de petits cercles, je ferme les yeux pour mieux vois Jonah au-dessus de moi.
Il a une ceinture, une corde, quelque chose qu’il enroule autour de mes poignets. Il attache l’autre extrémité à l’un des piliers du lit, puis il tire sur mes chevilles pour que mes bras soient tendus au-dessus de ma tête. Je gémis de peur. Cela le fait sourire. Il retire mes dessous et écarte mes jambes, si largement que c’en est presque douloureux. J’entends le son de sa braguette. Il fait trop noir pour que je voie son sexe, mais je sens son gland épais pressé contre moi… en moi…
Dans mon esprit, je rejoue cette scène en boucle, le moment où il s’enfonce en moi, le premier choc de la pénétration, son grognement satisfait, mon cri désespéré. Encore et encore, jusqu’à ce que je jouisse si violemment que j’en ai le vertige. Ma vision se floute et un bourdonnement résonne dans mon crâne. Je n’ai conscience de rien si ce n’est du sang qui pulse au creux de mes cuisses chaque fois que mon sexe se contracte, enfiévrée de désir pour un homme qui n’est même pas là.
Dès que je retrouve mon souffle, je soupire.
-Oh, non…
Si le simple fait d’imaginer Jonah Marks dans ce rôle me fait jouir ainsi, qu’est-ce que cela donnerait dans la vraie vie ? Je n’ai pas envie de le découvrir. Ou peut-être que si.
L’art est mystérieux, parfois. L’inspiration inconsciente est souvent la plus puissante. Je n’ai besoin de rien de plus que l’image en elle-même : une main d’homme, forte et large – rêche, comme usée par des années de dur labeur ou de combat – enroulée autour du corps d’une colombe dont les yeux brillent de peur et de vie. L’interprétation peut venir après, ou pas.
Il croyait sincèrement que cacher sa véritable sexualité revenait non seulement à courber l’échine devant l’homophobie, mais aussi à la favoriser. Oui, il comprenait que les gens vivaient parfois dans la peur d’une véritable oppression, et que leur seul moyen de se protéger était le secret. Rester muet en de telles circonstances, ça se justifiait.
J’ai honte de mes désirs.
Ils ne disparaissent pas pour autant.
J’ai bien essayé de me débarrasser de ces envies, mais ça n’a jamais fonctionné. Parfois, je m’abandonne à des fantasmes qui suffiraient à enflammer la plupart des femmes : un type sexy, le visage enfoui entre mes cuisses, ses bras musclés enroulés autour de mes jambes écartées ; mon séduisant professeur de sciences politiques, quand j’étais étudiante, me jetant sur son bureau ; ou encore Robert Downey Jr. et Chris Evans me proposant un plan à trois, façon Avengers, pour me prouver leurs super-pouvoirs.
Aucun de ces scénarios ne me fait jouir. Chaque fois, mon esprit finit par me ramener à mon secret le plus honteux. Les mains qui me caressent se font plus dures, mes grognements de plaisir se transforment en appels au secours, des cris que personne n’entend. Plus le fantasme est sauvage, brutal, plus je prends mon pied.
Cette inconnue survivra. Peut-être ne souffrira-t-elle d’aucune séquelle physique, mais elle devra vivre toute son existence avec le souvenir d’avoir été violée.
La description de l’agresseur est sommaire : type caucasien, vêtements sombres, portant un masque de ski. La jeune fille ne croit pas l’avoir jamais croisé avant qu’il ne l’agresse et change sa vie à tout jamais.
Parfois, je me demande s’il est moins terrible d’être violée par un inconnu. Si je n’avais plus à affronter mon agresseur, à l’accueillir dans ma famille, la situation aurait probablement été plus facile… mais au moins, je n’ai jamais eu à craindre pour ma vie. Si profonde que soit la blessure qu’Anthony m’a infligée ce soir-là, si total qu’ait été le pouvoir qu’il a exercé sur moi, je n’ai jamais pensé qu’il pourrait me tuer. Et lui non plus, j’en suis certaine. Il n’a pas ce vice.
Chaque centimètre carré de peau que son bel inconnu dévoilait, chaque ligne de son corps parfait, tout emportait James. Plus loin de lui-même, plus loin du reste du monde. Rien n’existait d’autre que ce qui se trouvait ici. Rien ne comptait que ce qui se passait en cet instant.
Le monde entier ne cesse d’expliquer aux femmes comment éviter l’agression, la violence – bien plus qu’à dire aux hommes qu’ils ne doivent pas agresser les femmes. Je sais quel comportement adopter. Je lève la tête et je parcours les alentours du regard. Je dois rester alerte et consciente de mon environnement. Pas d’écouteurs qui étoufferaient le bruit des pas, pas de téléphone dans ma main pour me distraire. Mes vêtements n’ont rien pour attirer l’attention : une jupe en jean, un pull bordeaux et des ballerines avec lesquelles je peux facilement courir, si la nécessité s’en fait sentir.
Certains hommes sont excités à l’idée d’être forcés aussi. Ce n’est pas la même chose qu’avoir envie d’être forcée pour de vrai. Nous ne désirons pas que tous nos fantasmes deviennent réalité.
Notre problème n’est pas un manque d’attirance. Le simple fait de nous trouver dans la même pièce nous enflamme.
Notre problème, c’est que cette fièvre pourrait nous consumer tous les deux.
Les limites servent à protéger la personne qui les impose, mais aussi celle qui les respecte. Quand Jonah a appris la vérité à votre sujet, il a ressenti le besoin de redéfinir ces limites.