AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de enzo92320


(47%)

La psychanalyse ne se résume pas à Freud, et j’ignore presque tout des autres courants analytiques qui se revendiquent par une filiation plus ou moins directe, ou par une antifiliation de même valeur absolue, de la pensée de Freud. Je dois toutefois reconnaître que sa pensée m’intéresse au plus haut point, du fait de l’itinéraire intellectuel qui a été le sien : il constitue une énigme pour tout neurologue. Comment comprendre l’évolution de la pensée de cet indiscutable génie des neurosciences qui l’a conduit depuis l’étude minutieuse du ganglion stomatogastrique du homard à celle des fantasmes infantiles des hystériques puis à de nombreuses formulations théoriques toujours argumentées par de riches interprétations cliniques ?

Pour tout neurologue travaillant quotidiennement à la Salpêtrière où Freud a visité Charcot, un sphinx est posé au cœur de l’hôpital qui chaque matin vous renvoie ces questions : pourquoi a-t-il choisi cette voie ? Qu’a-t-il pu comprendre d’essentiel qui permette d’établir un lien direct entre ses premières motivations, son cadre conceptuel qui, sous bien des aspects, reste proche du nôtre, et ses premières théories de la « psychologie des profondeurs » ? Bref, comment en est-il arrivé là ?

Il arrive qu’on se pose ce type de questions pour des « génies à problèmes ». Un génie à problèmes, c’est par exemple le joueur d’échecs Bobby Fischer ou le mathématicien Alexandre Grothendieck. Un être qui produit une œuvre ou une pensée exceptionnelle, puis qui semble entrer en rupture totale avec ce qu’il a été, rupture qui prend souvent la forme d’un processus existentiel complexe nuancé de mysticisme, de parapsychologie ou d’une pathologie psychiatrique délirante.

Le problème avec Freud, c’est qu’il n’appartenait pas à cette catégorie. Freud était un homme posé et équilibré, un homme continûment préoccupé par les mêmes questions qui transparaissent tout au long de sa vie et de son œuvre, avec d’ailleurs un souci constant de noter chacune de ses contributions afin de pouvoir en attester la paternité de manière indiscutable. Si Freud a évolué vers ce qui est couramment décrit comme une rupture entre les neurosciences et la psychanalyse, cette rupture ne remplit pas chez lui une fonction existentielle qui en relativiserait la signification. Cette rupture semble être le fruit d’un parcours intellectuel cohérent, ce qui nous encourage à en rechercher l’origine conceptuelle. Cette rupture s’est effectuée dans le calme et la continuité de sa réflexion, sans processus psychiatrique ni crise mystique manifeste. Sa pensée s’est en effet lentement clivée à partir de ses propres observations minutieuses et réfléchies. Ce processus continu l’a conduit à rompre avec la neurologie, ainsi qu’avec la forme traditionnelle du discours scientifique. Freud a changé de point de vue une fois pour toutes. Il partait pourtant de notre éducation de neurologue et était guidé par la même question, celle de la clé du psychisme humain. Pourquoi a-t-il choisi cette voie ?
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}