Le rire de Mamie jolie.
Il débordait d’elle à chacun de ses mots, il parfumait son humeur, c’est la seule chose qui me restait dans le cœur à la fin de nos échanges. Le rire léger, éthéré, espiègle de ma si douce mamie. Tels des pétales dorés qu’un souffle de vent fait frémir et s’envoler.
À défaut de pouvoir l’étreindre – si l’on avait su comment faire –, je lui renvoyai comme en écho un morceau de l’adorable surnom qu’elle m’avait donné enfant. Sa poupée jolie. C’est à ce moment-là sans doute que le tendre qualificatif naquit : Mamie jolie.
À l’instant où j’avais appris sa mort, Lucia m’était apparue en pensées telle une rose, une belle et magnifique rose, mais qui venait de faner. Alors je m’étais approchée pour étreindre la fleur de ma main, comme pour la consoler de sa fin, et seuls ses pétales grenat, encore soyeux, m’étaient restés entre les doigts.
Comme il était coutume, les enfants s'en approchèrent jusqu'à toucher ses murs. Lentement, ils exploraient, tâtonnaient avec leurs petites mains rougies par le froid, à la recherche de quelque trésor caché dans la pierre.
Bouche bée, je contemplais l'océan de l'intérieur, palais magique dont l'eau est le gardien sacré.
Ce n'était ni bleu, ni noir, mais un mélange infiniment subtil des deux couleurs, comme si j'étais entrée dans le tableau d'un peintre fou mêlant habilement ses deux tubes de gouache pour y dissimuler la rose intruse. Mais l'intruse que j'étais n'avait que faire d'être effacée sous les coups de pinceau. Elle ne demandait qu'à se fondre dans l'immensité bleu noir, en devenir partie intégrante.
Une ribambelle de cartons de toutes tailles, entrouverts ou fermés, étaient entassés là, de façon si désordonnée que cela semblait presque un miracle que tout tienne ainsi en place, comme figé dans l'espace et le temps, comme si aux cartons aussi il était interdit de dévoiler quoi que ce fût.
« Saperlipopette, Petite Fleur Rose est vraiment à côté de ses baskets ! »
Blottie là dans le noir, elle avait longtemps imaginé, alors qu’elle était petite fille, que c’était le sang d’un mort caché quelque part, et qui coulait, et qui coulait. Inlassablement. Un mort qui ne tarderait pas à se réveiller d’outre-tombe et à lui empoigner le bras de sa main décharnée pour l’entraîner à jamais dans les flammes de l’enfer, là où était sûrement sa place...
Elle, la méchante fille.
Pas sage. Fautive. Rebelle. Insoumise.
Il est étrange comme certaines personnes nous marquent à jamais. Et comme d'autres passent, en coup de vent, dans notre vie. On n'est jamais trop sûrs de pourquoi les unes nous sont précieuses, ni de pourquoi les autres nous indiffèrent, et pourtant, quand elles partent - quand elles partent hors de ce monde, j'entends-, les unes comme les autres, quelque chose d'elles s'imprime, pour toujours, en nous.
Il portait un pull en laine vert sapin, cadeau de sa petite-fille pour son dernier anniversaire. Shona aimait le savoir bien au chaud comme si le vêtement qu'elle lui offrait était un câlin qu'elle lui donnait par procuration.