On peut bien parcourir le monde en quête de beauté, nous ne la trouverons jamais si nous ne l'avons pas en nous.
J'aime marcher dans les estives, boire l'eau de source, chercher les cèpes en montant dans les forêts, regarder les couleurs des saisons dans les lacs. Toutes les couleurs des eaux se retrouvent dans leurs noms. Les lacs noirs viennent en force, qu'ils s'appellent Noir, Nère ou Nègre, puis les Bleus et les Blaous, les Verts, les Rouges, les Royos ou les Arrouy, et, pêle-mêle, ceux du diable ou des saints. Miroir des Pyrénées, toutes les teintes s'y nuancent. Les bleus seront turquoise ou indigo, bleu ciel ou cobalt. Comme des tapis que l'on regarde en tournant, ces teintes elles-mêmes varient selon la profondeur du lac, la couleur du ciel et l'heure du jour. Alors que dans les Alpes les glaciers troublent leurs eaux blanchâtres, les eaux pyrénéennes gardent leur limpidité cristalline.
Ceux qui savent recevoir ce choc émotionnel, en découvrant l'Aneto du port de Venasque ou le mont Perdu de la brèche de Tuquerouye, gardent pour toujours cette révélation de la montagne.
Je me souviens de ces heures passées au bord du lac de Contraing, au début de l'hiver. La glace venait de prendre toute la surface du lac. Une glace épaisse et solide sur les bords soutenait déjà une bonne couche de neige. Au centre, une mince couche translucide laissait deviner l'eau depuis peu captive. Sous le gel, l'eau dansait encore en lançant des irisations de lumière dans le gris bleuté de la glace. De grosses poches d'air se déplaçaient sous leur chape dans un bruit un peu lugubre et inquiétant. Nous sommes restés là à mâchonner des fruits secs, perdus dans le spectacle fascinant du lac qui se débattait contre l'hiver.
Sur la piste qui relie Gafsa au Hoggar, une hirondelle est venue se poser sur notre Land Rover. Assoiffée, elle s'abandonnait aux hommes comme si elle savait, d'instinct, que nous étions sa seule chance de survie. Elle s'est laissée attraper dans difficulté et nous lui avons donné à boire dans un tesson de poterie avant de la laisser reprendre son vol.
(commentaire d'une photo de la scène)
(circonstances : 5e jour dans la face nord des grandes Jorasses, vers 4000m d'altitude, en janvier)
Une rage de dents m'anéantit brutalement. Je prends des cachets qui ne me soulagent nullement. Je demande à Michel d'arracher la dent. Il essaye alors de percer les canaux de ma prémolaire avec un petit brin métallique et réussit l'opération. Deux heures plus tard la douleur s'estompe. Il n'a pas eu besoin de faire sauter cette dent d'un coup de piolet, comme l'écrira, plus tard, un magazine espagnol à sensation !
Mal réveillé, il a mis le contact alors qu'une vitesse était enclenchée et, dans un soubresaut, la voiture m'a renversé et s'est immobilisée sur mon corps. Affolé, Albert fit marche arrière et la voiture passa à nouveau sur mes jambes. Epouvantés, croyant qu'il s'agissait d'un règlement de comptes, les pompistes arrivèrent à la rescousse et je dus les rassurer : ils venaient d'être témoins d'un authentique miracle de Lourdes!
Les montagnards des cinquante vallées pyrénéennes réussissent à produire une centaine de fromages différents avec le même lait. A sa façon, l'eau nous offre plus de 1200 lacs différents. Ainsi, l'amateur de sensations intimes peut avancer au gré des lacs dans la connaissance des Pyrénées. C'est l'ambition de ce livre que de donner les clés de cette découverte.