Regrets
Voilà des mois que je n’ai vu la lune
Que je n’ai vu une épaule pressée
de ma main nue frémir et fleurir
une cuisse s’épancher de bas en haut
Voilà des ans que je n’ai fait l’ange
à deux ventres que je n’ai enjambé
de jambes ni de ruisseaux
pleuré sur l’œillet d’un nombril
et la marguerite double au bas
d’une tige légère
Voilà des lunes que je n’ai vu la lune
décocher du fond profond des bois
la flèche d’un beau plaisir
Que comme un mort je bats le bas
des haies le ras des herbes
ni fleurs ni couronnes Que je remonte
mon slip serre ma ceinture
boutonne mon pardessus par-dessus
ce corps devenu mon tombeau :
lune, galet du ciel os de mes yeux…
29 XII 1997
Passe de l'os jaune (1972)
Qui a dit que je ne reverrais plus
jamais l'os d'or du soleil
rouler dans nos têtes
qu'entre mes mains ne pendrait plus
la caresse jaune
que ta langue ne serait plus
jamais ma rame ?
le chat soyeux du soir pose
ses trois pattes sur l'œil de l'horizon
et derrière les croupes et les reins
des hauts rochers
je plonge dans le puits retourné
montant en mon enfant
descendant en mon père.
Emporte-moi par la caresse
jusqu'à l'oreille du dattier.
Là je compterai tous tes os
là j'enlèverai ma tête
et m'emplirai le cou
de tout ton corps.
Là tremble la joue du soleil
où goutte à goutte gouttent
quatre colombes.
Ode au Voyage et à Henri Michaux
enseigne au Voyageur que le voyage
ne sert qu'à effacer sa voie
et que le voyageur sera toujours
sans voix pour dire la Voie
tant qu'il n'aura pas fait son affaire
au temps, tant qu'il n'aura pas contenté
le Content
et mon cou fit un cercle complet
et mes membres dessinèrent
l'ellipse pleine pulsante
qui à jamais expulsera de moi
mon tentant serpent
mon Temps.