Un nuage bleuté et diaphane, chargé d'hydrocarbures, enveloppait la cité. Les cimes des immeubles se perdaient dans cette brume, gorgée d’ozone et nimbant de plomb leur acier. Le soleil blafard illuminait faiblement le pavé perpétuellement humide. Sur cette piste huileuse, les trams glissaient sans bruit, longeant les immeubles couverts de graffitis.
Le temps et la pluie acide avaient laissés des marques noires sous les fenêtres. Ça et là, les omniprésentes lampes DEL irradiaient l’air de leur lueur perçante. Les nuages
permanents favorisaient cette coexistence de lampes ouvertes le jour avec le soleil.
L’orima tuo descendit de l’immeuble de béton. La propriétaire de l'immeuble, une femme forte et de petite taille, le héla par le biais du judas électronique :
- Il fait encore plus mauvais que d'habitude, tu vas faire fortune, ce sera bon pour le loyer...
Il avait tendu la main, doigts écartés, pour sentir l’eau, si fine qu’elle paraissait invisible. Elle était glacée mais il ne ressentait rien, son corps était désormais un instrument bien rodé. Les baladeurs eux fuyaient toujours, il les dévisageait avec un sourire indéfinissable au lèvres. Il restait là, mettant les mains dans ses poches. Des rigoles coulaient sur ses tempes pendant qu’Éole et Zeus dépensaient leur colère accumulée sur les mortels et leurs biens chéris.
La caresse de l’eau lui avait plu, de même que le silence suivant la fin de l’averse, le calme pénétrant dû à l’absence humaine. Sous lui, la ville rayonnait, lavée des déchets, prête à recevoir une autre fournée de civilisation. Un moment parfait, dans un monde si imparfait, pensa-t-il.
Le nid d’aigle du Ministère dominait toute la ville. Situé au sommet
d’un vieil édifice rongé de mousse, aux pierres polies par le vent, et
aux cuivres verdis par les larmes des nuages attroupés sur la
montagne, il demeurait impassible à ces assauts. Ces volutes se
dissipaient rapidement après les orages, chassés par le souffle de l’Est
balayant la surface du fleuve en contrebas, ses berges lourdes de
moiteur industrielle. Bras fatigué d’une mer vieillie par les passages
incessants de cargos huileux et de mouettes crottées , il charriait en
silence toute la pollution des Grands Lacs.
Une longue colonne de fumée s’élevait à l’Est. Le ciel était sombre et le plafond de nuages bas. Ce devait être la fin de l’après-midi, mais il faisait sombre comme la nuit. Le vent sifflait au niveau de la plaine. Seule cette colonne occupait le ciel, vacillant lentement de droite à gauche selon le gré du vent. On aurait dit novembre, le mois de la mort.