Dès 1974, Richard Easterlin avait mis en évidence un paradoxe qui porte désormais son nom : la croissance de l’économie ne fait pas le bonheur de tous. Alors même que le PIB par habitant augmentait, la proportion de personnes se disant heureuses restait stable dans les pays développés, et les recherches menées dans les années 1980 et 1990 semblaient confirmer ce paradoxe [Easterlin, 1973 ; 1974 ; 1995]. Au-delà de 15 000 dollars par tête, le bonheur des habitants d’un pays ne serait pas lié au niveau de revenu [Layard, 2005]. Ce « fait stylisé » était d’autant plus surprenant que, au sein d’un même pays, les riches semblaient plus heureux que les pauvres. Pour réconcilier ces deux faits, Easterlin et de nombreux auteurs après lui avancent deux explications : la comparaison et l’accoutumance. Le revenu relatif importe plus que le revenu absolu : la croissance serait donc un jeu à somme nulle, où le bonheur accru des uns a pour revers l’envie et la jalousie des autres. Par ailleurs, les habitants de pays développés, dont les besoins primaires sont déjà satisfaits (nourriture, chauffage, logement), s’habitueraient rapidement à une hausse de revenu et demanderaient toujours plus de revenus, de biens à consommer, des maisons plus grandes, des voitures plus grosses, de nouveaux biens de luxe.