Ce livre est avant tout le témoignage d'une mère. Lucila Guerrero a consigné ses joies et ses inquiétudes dans un journal personnel pour raconter son quotidien avec son petit garçon autiste. Une histoire fascinante de courage, de dévouement et d'amour où le texte est agrémenté de photographies. (en librairie le 26 mars)
Dans mon rôle de maman à temps plein, j’observais en détail le développement de mon fils. Je découvrais ses forces en mémoire et intelligence, et je voyais en même temps certaines différences par rapport aux enfants de son âge, entre autres les rituels, le fait d’interagir seulement avec des adultres et d’avoir des intérêts restreints. Pourtant, je ne m’inquiétais pas. Je ne voyais là qu’une ressemblance avec ma personnalité. J’étais complètement aveugle devant les particularités qui pouvaient être des signes de l’autisme.
Je le laissais faire, toujours guidée par mon instinct et parce que je comprenais pourquoi la routine était importante pour lui. Pourtant, je craignais d’avoir tort et de ne pas l’aider. Je ne connaissais pas encore les caractéristiques de l’autisme.
Les pleurs sont nos premiers mots. Dès nos premiers instants dans ce monde, on pleure. Ensuite, la plupart d’entre nous acquerrons des mots dans leur langue maternelle et apprendrons à nommer la réalité et à utiliser des concepts pour ensuite apprendre à raconter une histoire, vraie ou fausse. Cette capacité d’utiliser le langage...
C’est un phénomène d’une telle beauté… Un phénomène extraordinaire…
Beaucoup prendront la parole.
Beaucoup.
La parole. Quel outil complexe et mystérieux ! Maîtriser un vocabulaire ne suffit pas toujours à communiquer efficacement. Connaitre une langue ou deux et leurs règles ne suffit pas non plus. Il faut encore savoir choisir les mots. Les enchaîner d’une certaine façon.
Chez nous, la punition n’existe pas. Lorsque c’est le moment pour nous de réfléchir à une situation, nous le faisons ensemble. Je prends le temps de décoder son comportement et de bien comprendre le contexte en communiquant avec lui. Verbalement ou en dessinant sur n’importe quel papier ou tableau effaçable. J’évite systématiquement d’avoir recours à la punition. Une punition ne permet pas à quiconque d’apprendre à se débrouiller dans la vie. Elle permet seulement d’apprendre à développer la peur du châtiment et de l’autorité. Ainsi, j’aurais honte et me sentirais ridicule de faire peur à mon enfant en adoptant une attitude autoritaire et punitive. J’ai préféré créer avec lui un lien de confiance, que nous avons établi de façon intuitive et harmonieuse. Une citation, d’auteur inconnu, est très ancrée dans mes principes de parent « L’autorité se gagne par la confiance, l’admiration et le respect ».
Je pourrais en rire sans saisir le message. Seulement d’entendre le rire des autres.
Le rire me vient souvent aux lèvres. Lorsqu’une erreur est commise, par exemple. Que ce soit par moi ou quelqu’un d’autre… L’absurdité provient souvent d’un mot mal prononcé ou employé hors contexte, que je visualise comme un film dans mon imaginaire. Mettre du sucre à la place du sel. Prendre le train dans le sens contraire. Une situation peut être très drôle, mais pas ses conséquences naturelles.
Je ris seulement de l’erreur, de l’action de se tromper. Je ne ris jamais d’une personne, ni de sa détresse.
Depuis l’enfance, on nous interdit de rire lorsqu’une personne se trompe. Bizarre. Rire de ses propres inadvertances devrait être encouragé. Rire de soi pourrait être une célébration de nos caractéristiques d’êtres humains. Nous pouvons être « parfaits » dans nos «imperfections».
Mon corps change, c’est une évidence. Mes hanches s’arrondissent et mes seins poussent malgré moi. Je n’ai plus le contrôle de
mon corps, qui autrefois était si rassurant. Il gonfle. Il attire des regards indécodables qui me gênent sans raison. Des hommes me
disent des horreurs quand je marche toute seule dans la rue. Le visage de cet homme qui est venu me toucher en me montrant sa
langue revient sans cesse me hanter et me remplit de dégout. Sans comprendre pourquoi, je deviens un corps qui attire l’agression.
Alors je me bloque. J’ai peur. Je ne le dis à personne. J’ai peur des reproches parce que je ne sais pas me défendre. Je veux retrouver mon corps d’enfant. Je veux que ce nouveau corps s’efface. Même si plusieurs me disent que je deviens une belle femme. J’ai peur et je n’ai personne pour en parler.
je garde l'espoir que notre société deviendra de plus en plus sensible et tolérante aux différences. (p. 107)
Tu écoutes les nouvelles qui parlent de toi.
Une émotion étrange te parcourt. On parle de toi. Ton cœur s’agite.
Non, ce n’est pas que tu es célèbre, et l’émotion te blesse.
On parle de toi sans te connaître.
Tu écoutes quand même. Tu dis non. Tu dis que c’est faux. Tu es toute seule. Personne ne t’écoute.
Tu écoutes, tu cries dans ta tête. Pour rien.
Impuissante, tu veux pleurer. On parle de toi. Tu pleures.
Les gens s’insultent en ton nom. Être comme toi serait une insulte.
On te dit malade, déficiente, indésirable, à peine humaine, on
veut te réparer.
On dit en plus qu’on veut aider. T’aider. Tu pleures ta dernière larme. Tu respires. On veut te guérir et tu te sens en santé.
Difficile de comprendre pourquoi on parle ainsi de toi Sans te
donner le droit de te défendre.
Pour certains, les mots ne sont pas très importants. En tout respect, je ne suis pas d’accord.
Les mots peuvent détruire. Les mots ont du pouvoir. Les mots
peuvent catégoriser, accuser, salir, blesser, mépriser. Prononcés à répétition, les mots peuvent s’ancrer dans notre mémoire en
nous faisant croire que le message qu’ils portent est vrai même quand il ne l’est pas. Ils peuvent nous mener vers une vie épanouie lorsqu’ils sont bienveillants, ou à une vie assombrie lorsqu’ils sont malveillants. Socialement, les idées qu’ils évoquent peuvent s’insinuer dans la pensée collective, où elles risquent d’être prises pour acquis, d’être considérées comme correctes sans vérification.
Elles deviennent alors des clichés, des préjugés.
Depuis toujours, j’explore la nature humaine, ce mystère complexe et unique qui se terre en chacun de nous. Je cherche à comprendre l’individu, seul ou en groupe, ses expressions et ses comportements, par l’observation minutieuse de ce qui se passe autour de moi et par la composition d’allégories écrites ou visuelles que je fais de l’humain. En parallèle, mon besoin de créer émerge devant la beauté nue des formes et des mouvements, visibles ou invisibles, des signes vivants que j’associe symboliquement à mes questionnements profonds et à ma quête de sens. Créer par la photographie, créer avec des mots, ou les deux ensembles, devient un moyen d’expression et de revendication de mon unicité.