Lucile Dumont

Cette fois-ci, je pouvais le voir. Il n'y avait d'ailleurs que lui, autour de moi, flottant dans un gris sale vaguement éclairé de stries blafardes, comme si je percevais la scène à travers une vitre rayée. Je n'étais pas capable de distinguer s'il se trouvait de dos ou de face et, pareillement à tous ces rêves où l'on a plus ou moins le contrôle de ses membres, rien à faire pour avancer ne serait-ce que d'un pouce. [...] D'un coup, comme on enclenche un interrupteur, le son jaillit dans mon rêve : et l'enfant hurlait de toutes ses forces, sa voix tirant vers les aigus à m'en arracher les tympans. Sa fréquence augmenta à tel point qu'elle vira dans les ultra-sons et, malgré le fait que je ne pouvais plus les entendre, je les sentais autour de moi résonner dans cet espace vide, à la fois immense et étriqué. Le son inaudible frappait mes oreilles avec violence, comme on frappe sur un clou récalcitrant pour l'enfoncer.

Je me réveille, en proie à la panique. Constatant que je me trouve dans la jungle, couchée exactement là où je m'étais endormie, les battements de mon cœur s'apaisent peu à peu. Cependant, impossible de refermer l'œil. Ce gamin échevelé, je suis certaine qu'il voulait me prévenir de quelque chose ; quant à ce cri, impossible de l'oublier. Je secoue la tête pour en chasser les résidus qui encombrent encore mes tympans. Encore…
Je stoppe mon geste.
Dans l'air moite de la jungle, il y a bel et bien un sifflement qui promène ses oscillations, sans doute à peine audible pour une oreille humaine. Je sens sa présence, certes moins fortement que dans mon rêve, mais assez pour ne pas douter de mes capacités mutantes… et ce son ne correspond à aucun de ceux qui peuplent normalement une forêt.