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Citation de VALENTYNE


Les enfants sont là qui les regardent et cette fois-ci elle en est certaine, ils ont dans les yeux une complicité bienveillante et moqueuse. Il ne regarde pas les enfants ou fait semblant de ne pas voir que tout en jouant ou en donnant de la voix avec les adultes, sous leurs grands chapeaux aux rubans d’arc-en-ciel, ils les observent et les accompagnent, les devancent peut être. Les enfants souvent comprennent tout, même les choses qui n’existent pas, ou pas encore. Il lui explique que les chants sont à la fois gais et tristes, alternant le rêve et la douleur, la mélopée et la promesse. Comme les choses de la nature qui changent d’humeur, de teinte et de ton. Regarde la mer. Ce soir, elle est calme, parce qu’elle attend un ami. Et si tu entres dans l’eau, elle s’ouvrira à toi. Demain elle sera jalouse de ses poissons, et malheur à qui osera la défier. C’est pareil pour les chants. Tristes parce que le départ d’un ami ne laisse jamais indifférent. Gais parce que celui en l’honneur de qui on chante n’aimait pas la tristesse. Et elle écoute les voix qui pleurent une étrange mélopée qui semble monter du sol comme une blessure de terre. Regarde les corps cassés qui balancent lentement comme au souvenir d’anciennes traversées, comme enchaînés ensemble, comme un seul corps défait, accroupi ou agenouillé sur la plage. Ils disent : Batala, m son zèb atè a, yo pa konnen sa ki nan kè mwen ; Batala, je suis une herbe sur le sol, ils ne savent pas ce que j’ai sur le cœur. Ici comme ailleurs, il existe des gens comme l’homme d’affaire Robert Montès et le colonel Pierre André Pierre, qui prennent tout et ne laissent aux autres que des restes, quand il reste des restes. Et, défaits, oubliés, que peuvent les autres sinon chanter, Batala, je suis une herbe sur le sol, ils ne savent pas ce que j’ai sur le cœur ? Elle ne répond rien, mais elle entend. Quand les corps penchés sur le sol se redressent, grandissent soudain, quand Chwal mwen mare nan poto m pa priye pèsonn o, lage li pou mwen, les voix s’affermissent, s’énervent, se battent triomphent, il traduit : J’ai attaché mon cheval au poteau, je ne demande à personne de le libérer à ma place. Elle entend. Et quand les voix explosent, vaillantes, piaffent, libres et indomptables : lè m a lage chwal mwen gen moun k a kriye, avant même qu’il ne traduise, à la lueur des bougies et des bobèches, tandis qu’elle regarde un groupe d’homme qui avance jusqu’à la barque, la fait glisser dans l’eau, y prend place et rame vers le large, elle a déjà compris : Quand je libèrerai mon cheval, il en est qui pleureront. Les larmes de la chanson ne sont pas celles que versent les yeux qui accompagnent le peintre Frantz Jacob vers sa dernière demeure, la mer, qu’il n’a jamais regardé avant d’avoir été rendu à la lumière par l’aveuglement. Les larmes qui accompagnent le peinte Frantz Jacob sont larmes de tendresse. Larmes d’amitié forte que la mort ne tue pas. Les larmes de la chanson ne sont pas celles des enfants qui font des gestes d’au revoir avec leurs chapeaux aux traînées d’arc en ciel. Il y a larmes et larmes.
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