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Citation de Partemps


1870 : guerre franco-prussienne, Monet quitte Paris pour se fondre dans le brouillard londonien. Là, il a l’occasion d’admirer les oeuvres du peintre anglais Turner (1775-1851), notamment ses oeuvres avec brouillard sur la Tamise. Il « flashe » sur le rendu de la lumière par Turner. Se lie d’amitié avec Whistler, lui aussi admirateur de Whistler, et tous deux, chacun à sa manière, n’a de cesse de capter la lumière à la façon de leur prédécesseur.

Même si on les a rapprochés, la série londonienne de Monet et les Nocturne de Whistler sont des créations propres à chaque artiste. Comme aussi, les brouillards sur la Tamise de Turner.
De même, si la lecture des Petits Riens de Nabe a donné l’idée à Sollers d’écrire les siens, nous avons affaire à deux créations propres, avec la plume typée et le rendu propres à chacun.

Mais laissons Nabe nous conter l’histoire. Elle illustre aussi les rapports complexes de l’écrivain et de l’éditeur, et quand ce dernier est aussi écrivain, cela peut donner Carnet de nuit. Et pour Nabe : son journal intime (tome 4) Kamikaze dont sont extraits les passages qui suivent. Leur amitié y survivra t-elle ?
Je vais redéposer mes Petits Riens chez Gallimard
Vendredi 25 novembre1988. - Je vais redéposer mes Petits Riens chez Gallimard. Je rate Sollers. Enfin, j’espère qu’il aura au plus vite sous les yeux ma sélection (j’en ai repêché 198, et pourtant je suis sévère !), qu’on discute un peu ! En annexe, je lui ai mis de nouvelles maximes bien glaciales, des couperets indiscutables comme il les aime, du genre « Si vous êtes vivant, vous n’existez pas », ou « La gloire est sadique ». J’ai également rédigé une quatrième de couverture qui ne peut que l’amuser...


Mettez-vous à genoux et priez
Mercredi 30 novembre 1988.
- Allô, Marc-Édouard ? Vous ne serez jamais publié chez Gallimard ! Ils ne vous veulent plus... Antoine a réfléchi ... Il y a trop de gens dans la maison contre vous, toutes générations confondues, et puis Sollers répète partout qu’il a été déçu par les Petits Riens, alors ça ne sortira pas. En revanche, si vous m’apportez un manuscrit, moi je pourrai le publier dans « L’Arpenteur », j’y suis beaucoup plus libre que Sollers dans « L’Infini ». Pauvre Bourgadier ! Il ne sait plus quoi faire pour me récupérer. Il essaie de foutre la merde entre Sollers et moi.
[...]
Je vais, tout inquiet, voir Sollers pour rechercher mes Petits Riens et lui demander d’arrêter de me mener en bateau.
[...]
- Vous n’êtes pas proscrit. Personne n’a rien contre vous. Vous n’avez jamais rien écrit contre Gallimard et même si vous l’aviez fait, la maison n’est pas contre, ça fait partie du fantasme Gaston... C’est comme Céline !

Voilà ce que me dit Sollers quand je m’ouvre à lui de mes inquiétudes gonflées par Bourgadier...

- Laissez ce con ! Il essaye de vous troubler. Il a tenté le coup... Jamais je n’ai entendu quiconque vouloir vous bloquer ici. Une fois que j’aurai le texte définitif, Antoine le publiera. Une fois que ça nous plaira à tous les deux(vous et moi) : ça fera déjà du monde ! Avant, c’est pas la peine d’en parler :
[...]

Voyez, moi : je sors en même temps que mon roman ici un « Carnet de nuit » chez Plon. Le Canard de cette semaine s’en moque : « Il auraient dû appeler ça Carnet de chèques... » Antoine m’appelle : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? J’aimerais bien les lire... » Il me les rapporte : J’aime beaucoup ça... C’est pas grave : on les rachètera plus tard à Plon... » Voilà : il a très bien vu que je n’avais pas fait une magouille commerciale : le texte avait parlé pour moi... Allez travailler, Marc-Édouard, mettez-vous à genoux et priez ! Il faut du Nabe nouveau, du Nabe qui cache son jeu, du Nabe qu’on n’attend pas...

Je ne devrais peut-être pas mais je suis rassuré. Je vais réorganiser un tri impeccable de mes Petits Riens et on verra. Faire passer mes rages diverses vers des maximes glaciales m’amuse. Je vais redresser tout ça, [...] .




La trahison. Dachy me téléphone
... Mardi 13 décembre 1988.
[...]


Dachy me téléphone, très inquiet et un peu révolté, pour m’annoncer que le dernier Infini est paru avec en pré-publication quelques extraits du Carnet de nuit que Sollers va sortir chez Plon en janvier :
- C’est tes Petits Riens ! Il t’a copié : c’est évident... Ton ton, ta forme, tes sujets, tout, sauf que les siens sont très mauvais... Je t’en lis un : « Pour vivre cachés, vivons heureux... » Il n’a pas l’élan nécessaire pour faire ça... Je ne comprends pas ce plagiat manifeste, et ce chassé-croisé absurde publier de mauvais aphorismes de lui chez Plon et de bons de toi chez lui.


Voilà qui m’achève bien ! Et après on me traitera de parano ! Je savais ce que je disais en reniflant que Sollers retardait la mise en route des Petits Riens pour me doubler avec ses carnets... Doublé pour Monk, doublé pour les Petits Riens, il ne manquerait plus que je sois doublé sur Istanbul ( ça vient : tout le monde est sur Byzance et l’Orient ! ). Marc, d’habitude sollersien fanatique, en convient : il ne rigole plus, il voit que j’avais raison... Qu’est-ce que ça veut dire ? Il y avait donc beaucoup de vrai dans le « délire » jaloux de Bourgadier... Sollers a-t-il réellement l’intention de me faire entrer chez Gallimard ?... Je pourrais me fâcher avec lui pour cette « trahison », mais qu’est-ce que j’en ai à foutre si trois connards disent en lisant mes Petits Riens : « Il copie Sollers » ! Le texte jugera, et pour moi, c’est excellent de publier l’original dans la collection du « plagiaire » (Dachy dixit) même, ça me dédouane !... Je vais les lui préparer au peigne fin au contraire, il n’aura plus d’excuses de me les retarder et s’il n’arrive soi-disant pas à les sortir, je saurai à quoi m’en tenir, le texte sera parfait de toute façon, c’est ça qui compte. Ah ! L’heure de l’angélus sollersien va-t-elle sonner ? J’entends déjà les premiers coups de la cloche... La cloche, c’est moi, et la girouette, plus haut bien sûr, c’est lui, mais toute l’église est en émoi !

Dachy aux Deux Magots
Mercredi 21 décembre 1988.
[...]
Dachy aux Deux Magots. Il me remet la première partie des Petits Riens qu’il a lue soigneusement pendant mon absence. Lui aussi a mis des croix et c’est quelquefois les mêmes que celles de Sollers ou les miennes. D’autres pas, il en a trouvé qui m’avaient échappé... A trois c’est bien le diable si je n’extrais pas un petit bijou de ce magma. Un ou plusieurs, parce qu’il y a là de quoi faire les Petits Riens, mais aussi une sorte d’Index (c’est Marc qui a l’idée) des noms cités par moi (mini-portraits sur tous), et puis mon pamphlet sur les médias Rideau, et encore des réponses éventuelles à des interviews.
- Tout est passionnant, dit Marc, mais il faut le disperser dans plusieurs manuscrits.

Nous discutons ensuite du fond qui l’inquiète beaucoup ... Sacré Marc ! [...]
Nous parlons de la différence entre l’écrit parlé, entre le parlé et le pensé, entre l’écrit et le publié. Moi je pense qu’il faut publier tout ce qu’on pense carrément .
[...]
Parce que dans les Petits Riens, il y a des choses non seulenent impubliables, mais d’après lui impensables. Sur Céline bien sûr, ça choque. Il s’est même permis de typexer une phrase dans un paragraphe où il est écrit : « J’aime les idées de Céline. » Marc a commenté au crayon :: « J’ai effacé ces six mots, notre amitié est à ce prix (sic !! !). » Il a du pot que ce paragraphe entier ne soit pas retenu par moi, sinon nous aurions été forcés de fixer ainsi le montant de nos relations houleuses. La facture eût été salée ! Nom d’une chique !

Bonne année ! Ah ! J’ai gagné !
Lundi 9 janvier 1989
[...]
- Bonne année ! Ah ! J’ai gagné ! Il fallait dégainer plus vite !...
C’est Sollers qui parle au téléphone. Je lui demande si je peux lui porter mes Riens
- Oui

Une demi-heure plus tard je suis dans le hall de chez Gallimard, feuilletant le bulletin de janvier qui annonce la sortie du nouveau roman de Sollers, Le Lys d’Or ( en 89 bien sûr...) : une histoire de professeur de chinois tombant amoureux d’une riche héritière aristocrate qui lui demande d’écrire sa vie (si j’ai bien compris) : de la fiction donc...
[...] ...Voici Sollers, enjoué, d’excellente humeur.
- La vie, ça va ?
Sans attendre ma réponse qu’il connaît ( Non »), il prend ma chemise rouge et comnence à lire.
- Ca ne vous dérange pas que je lise devant vous ?
- Allez y, je n’existe pas.

Et pendant un quart d’heure, il lit tout, s’allumant des cigarettes à tâtons pour ne pas se déconcentrer, faisant mine de plaquer de ses doigts bagués des accords imaginaires sur la table pour signifier la musique réussie de ton assemblage d’aphorismes :

- C’est bien, très bien, bien serré, compressé... Ah ! J’aime beaucoup celui-là... Et ça, comme c’est vrai !... À qui le dites-vous... Mhh... Mhh... Oui... Mhh... « La merde me fait chier », ça il faut le dédier à Henric !

Je lui dis que, en effet, chaque aphorisme correspond à quelqu’un de bien précis, on pourrait s’amuser à les dédier tous. « Oh ! Dédiez-moi le tout et n’en parlons plus », me glisse-t-il dans un éclat de rire ! Ah ! Ah ! Il l’ a dit quand même ! Sacré Sollers ! Le désir est là ... Comme si je n’y avais pas pensé ... Lui dédier les Petits Riens ? Même si je ne suis pas soupçonnable de flagornerie comme les larbins d’Art Press qui n’ont cessé de tout dédier à Sollers, je trouve un peu mal placé de le faire dans sa propre collection. Et puis sans la manigance de son Carnet de nuit, ce n’était peut-être pas exclu. Mais dans l’amitié sincère qui se dégage d’un tel appel, il y a toujours la roublardise de l’homme de lettres chez lui. Je trouve ça un peu gros qu’en plus de m’avoir devancé, il soit le dédicataire ! Et qu’on puisse comprendre « À Philippe Sollers (ces Petits Riens, à lui qui est le maître du genre) » plutôt que « À Philippe Sollers (ces Petits Riens pour lui apprendre à en faire) », ça me gêne ...

Enfin, il trouve ça très bon. « Ouf
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