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Critiques de Marcelle Tinayre (7)
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Château en Limousin

Si ce n'est le titre qui attira mon attention, je n'avais pas une idée très flatteuse de Marcelle Tinayre pour acheter ce livre. Elle fait partie de ces écrivains qui ont eu un grand succès puis sont tombé dans l'oubli au fil des générations dans le même mouvement de transformation de notre société. J'avais peur de rencontrer un récit moralisateur archaïque, avec des bons sentiments à toutes les pages et un style ampoulé. Que nenni !

Écrit au début des années trente, ce roman vrai (indication de l'éditeur pour signifier que cette histoire est réelle) a tout d'une enquête criminelle. Les faits remontent aux années dix-huit cent trente. Marie Capelle, jeune fille de la haute société recherche le grand amour. Après avoir refusé de nombreuses demandes en mariage, elle rencontre grâce à une agence matrimoniale celui qui deviendra son mari. Charles Lafarge, de cinq ans son aîné, maître de forges, maire d'une ville en Corrèze, se présente comme un homme riche, habitant un château, ayant la considération de tous ses administrés et des personnages influents du département.

Mais Marie va rapidement se rendre compte qu'elle a été flouée. En guise de château, la demeure est une vieille masure infestée de rats, les comptes de la forge sont au plus bas, la faillite n'étant pas loin et Charles se révèle un homme rustre, malpropre, dont la mère règne en maître dans la maison. Quel changement pour Marie qui s'ennuie à mourir dans cet environnement, qui rêve de retourner près des siens pour fuir ce cauchemar.

Elle n'en aura pas le temps. Son mari tombe malade, gravement puisqu'il meurt quelques jours plus tard. La rumeur court. C'est sa femme qui l'a empoisonné. D'ailleurs ce n'était pas difficile puisqu'elle utilisait de l'arsenic pour combattre les rats qui envahissaient la maison. La justice met Marie Lafarge en prison dans l'attente de son procès aux assises.

Je ne peux raconter toutes les péripéties de ce livre tant l'histoire est foisonnante, faite de multiples voix et opinions. Je vous laisse le plaisir de découvrir l'intrigue dans son ensemble. Marcelle Tinayre , sûre de son métier, conduit le récit sans aucun balbutiement, d'un style étonnamment moderne pour qu'un lecteur de 2017 ne trouve jamais de trace d'une quelconque ride du temps.

Je me réjouis de cette découverte et je vais suivre Marcelle Tinayre qui eut ses mots en 1908, alors qu'on lui proposait la Légion d'honneur : "J'aurais l'air d'une vieille cantinière".

Décidément cette auteure me plaît de plus en plus !
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La Maison du péché

Evidemment, « La maison du péché » et Les frères Ashkenazy », à première vue, n’ont rien à faire ensemble. Marcelle Tinayre (1870-1948), femme de lettres française, de nos jours on dirait intellectuelle, introduite dans les milieux culturels parisiens, et Israël Joshua Singer(1893-1944), écrivain yiddish d’origine polonaise ayant fini sa vie aux Etats-Unis, ne se sont sans doute croisés que dans mes piles hétéroclites.



C’est pourtant assez étonnant de lire les deux livres en parallèle et de trouver dès les premières pages, des paragraphes qui se font écho : la mère de « La maison du péché » et le père des frères Ashkenazy ont la même exigence d’éducation religieuse et de respect par leurs enfants des principes de cet enseignement. Un respect qui frôle l’intégrisme, dans les deux cas. Les pratiques religieuses sont aussi sombres et contraignantes dans les deux familles. Mme de Chanteprie est chrétienne et Avrom Hersh Ashkenazi est juif.

La conviction de chacun les conduit pourtant à la même intolérance à l’égard de qui ne croit pas selon les mêmes écritures.

La déraison multipliée par deux livres !



D’un côté, les discours doloristes que l’on entendait encore dans les leçons de catéchisme du siècle dernier ; de l’autre, la vie rythmée par le calendrier juif, ses fêtes, ses obligations, ses interdictions multiples et surprenantes pour le goy ignare (ce principe, par exemple, qui impose que la viande et les produits laitiers soient impérativement être séparés ; s’ils ont été en contact, il reviendra au rabbin de définir dans quelle proportion il faut éliminer le produit contaminé).

Le même rigorisme impitoyable.



Mais là où Madame de Chanteprie (ce nom !) a réussi, avec l’aide d’un précepteur, de deux curés et trois amis aussi confits qu’elle en dévotion, à faire d’Augustin, son fils, un croyant convaincu, quasiment forcené, Avrom Hersh peine à écarter de ses enfants, les mouvements de rébellion, d’aspirations à la modernité, que la mixité sociale de la ville de Lodz introduit dans les milieux juifs traditionnels.



Pourtant, à ma gauche, le trouble d’amour s’insinuera dans l’âme d’Augustin. Et à ma droite, l’ambition démesurée et sans scrupules de Simha Meyer, l’un des deux fils Ashkenazi, enverra aux oubliettes à peu près tous les préceptes hassidiques qui lui ont été inculqués.



A ce stade des deux histoires, leurs chemins divergent pour de bon.



Comment résumer celle d’Augustin de Chanteprie sans tomber dans l’invraisemblable, ou la caricature, ce que Marcelle Tinayre évite avec talent (presque tout le temps) ?



Augustin découvre que sa passion amoureuse se satisfait mal des injonctions de sa religion, même si la scène de la déclaration d’amour réciproque se fait sous les auspices d’une foi qu’il est convaincu de pouvoir faire naître chez sa belle Fanny. Le livre qui, jusque-là, se défendait bien de la désuétude, donne droit à une scène kitchissime ! Je résume : « Je t’aime, je te convertirai – Je t’aime, je croirai pour te plaire ».



Mais ce n’est pas si simple. Fanny, malgré tous ses efforts, ne trouve pas la voie de la foi. Ce qui met Augustin à la torture : impossible d’amener devant monsieur le curé une femme qui ne ferait que feindre une conviction, qui ne l’éprouverait pas réellement. Et on assiste aux tourments cruels infligés à Augustin par l’exigeante religion qui prône l’amour de Dieu avant celui de la femme. Religion pratiquée avec succès par les anciens de sa famille qui en ont laissé des traces écrites dans les vieux papiers conservés avec ferveur : « Soyez mille fois béni, mon Dieu, qui rompistes les filets de la concupiscence et libérastes cette âme en luy montrant l’indignité de l’objet qu’elle osoit préférer à vous. »

La femme mécréante, elle, ne peut que constater avec douleur, qu’elle n’est pas compatible avec l’obéissance aux desseins divins.



Le style de Marcelle Tinayre est moins démodé que le sujet de son roman. Il y a de jolies pages dans son texte, et elle arrive à rendre crédibles les inquiétudes et les scrupules compliqués de ses personnages. Sa plume est vive, elle crée autour de Fanny et Augustin un entourage de personnages qui prennent de l’épaisseur au fur et à mesure du livre. Si Madame de Chanteprie (qui préfère définitivement la prière au chant) est glaçante de certitudes stériles, la vieille servante-nounou d’Augustin lui manifeste une tendresse rugueuse, bouleversante dans les dernières pages.



Marcelle Tinayre bataille en tant qu’anticléricale, dans ce roman, mais elle cherche honnêtement à comprendre comment cette religion quasiment calviniste, inculquée à son héros depuis sa plus tendre enfance, a fait de lui un homme inquiet, déchiré et malheureux.



Un livre achevé d’écrire en 1902, qui illustre , j’imagine, les affrontements de l’époque autour des projets de séparation de l’église et de l’état, de laïcisation de la vie politique et de l’enseignement en particulier.













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Notes d'une voyageuse en Turquie

Marcelle Tinayre est une femme de lettres française née en 1870 . Elle rédige des articles pour la presse quotidienne pendant la Grande Guerre .Elle rencontre beaucoup de personnalités littéraires.

Dans son journal du 18 avril au début juin, Marcelle Tinayre décrit Constantinople,les événements qui s'y sont passés en avril 1909 lorsque les révolutionnaires jeunes-turcs progressistes affrontent les islamistes contre révolutionnaires, ses rencontres dans un hôpital, une école ou lors d'un mariage.

Mais ses belles descriptions ne m'ont pas emportée, mais plutôt assommée. Je n'ai pas senti quelqu'un qui faisait partager sa découverte de Constantinople avec un regard bienveillant, mais une personne qui se mettait au centre de son livre avec un regard condescendant et parfois un peu méprisant pour les turcs.

J'ai l'impression de ne pas avoir appris grand chose par ce livre écrit après un court séjour dans un pays où toutes les rencontres étaient bien organisées pour elle, femme française d'un milieu aisé.

Seulement 200 pages et pourtant j'ai mis beaucoup de temps à finir ce livre.

Je remercie Babélio et les Editions Turquoise pour ce livre. Je suis désolée, mais je n'en garderai pas un souvenir impérissable.
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Hellé

J'ai un faible pour les auteurs qui ont eu un grand succès et qui sont aujourd'hui complètement oubliés. D'abord parce qu'il est dans la nature humaine de se croire éternel mais que les cimetières sont remplis de gens indispensables, ensuite parce que certains ont des qualités d'écriture et enfin et surtout pour leur intérêt sociologique. Il est plus facile de commenter les événements d'une époque que de comprendre sa mentalité. Quoi de mieux que de lire ce qui avait du succès à une certaine époque pour mieux comprendre les préoccupations, les centres d'intérêt de nos ancêtres. Ce roman est très intéressant sur le rôle dévolu aux femmes à l'époque, sur l'utopie sociale de certains intellectuels. Certains sentiments humains restent en revanche heureusement intemporels.
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Priscille Séverac

Autrice fort renommée durant la première moitié du XXème siècle, Marcelle Tinayre est cependant assez vite retombée dans l’oubli, au point d’ailleurs que ses romans se trouvent assez facilement dans les vide-greniers ou les Emmaüs, où ils prennent la poussière depuis bien longtemps. Cette femme effacée, au physique étrange, paye sans doute tardivement une discrétion manifeste, et un refus total de s’encarter dans les chapelles idéologiques.

D’une tournure d’esprit à la fois humaniste et réaliste, configuration qui ne se trouve plus guère de nos jours, Marcelle Tinayre a consacré un demi-siècle de sa vie à publier une quarantaine de romans, dont « Hellé » (1899) et « La Maison du Pêché » (1902)  demeurent ses plus gros succès. Traduites en plusieurs langues, elle fut particulièrement remarquée par James Joyce.

Sur bien des plans, l’œuvre de Marcelle Tinayre relève du féminisme, mais d’un féminisme individualiste et contre-révolutionnaire, qui établit seulement le constat que, dans le monde moderne, la femme se sent contrainte à jouer un rôle qui ne lui ressemble pas, tandis que l’homme ne cherche que rarement à lui venir en aide.

Au départ, Marcelle Tinayre était adulée par un lectorat majoritairement constitué d’aventurières ou de garçonnes, mais son public évolua tout au long de sa carrière, car Marcelle Tinayre se voulait avant tout une femme de lettres académique et anticléricale, dont le militantisme était d’une grande subtilité : pas de déclarations à l’emporte-pièce, pas de propos blasphématoires, ni de portraits caricaturaux. Au contraire, elle pratiquait une approche en douceur, normative, de la religion et du culte, tout en soulignant le caractère névrotique, déstabilisant, de la dévotion chrétienne, voire la dépendance mortifère et autodestructrice que pouvait susciter l’Espérance, semblable à l’alcoolisme ou à une addiction à la drogue.

Cette vision inédite, qui s’attaquait à la pratique de la foi plus qu’à la foi elle-même, bien que l’une découle de l’autre, valut à Marcelle Tinayre la reconnaissance admirative d’une grande partie du milieu des lettres.

Mais pour comprendre Marcelle Tinayre, il faut d’abord la lire, ce qui est un moyen agréable et distrayant de faire connaissance avec une femme difficile à catégoriser. Si « Priscille Séverac » n’est pas son roman le plus essentiel, c’est l’un des plus archétypaux, puisque l’on y retrouve les thèmes principaux de son œuvre. Si l’on en croit Marcelle Tinayre dans sa préface, « Priscille Séverac » est le portrait romancé d’une femme ayant réellement existé, et que l’autrice a bien connu.

Priscille Séverac est une domestique, et même une domestique idéale. Travailleuse, discrète, honnête, ne réclamant que le minimum de gages pour pouvoir survivre, elle a la cinquantaine, décharnée, précocement desséchée, plutôt disgracieuse si ce n’est de magnifiques yeux bleus emplis d’une lumière extraordinaire, qui donnent à son physique déplaisant un charisme particulier, et une certaine autorité sentencieuse.

Priscille Sévérac est une dévote protestante, comme il en existait alors beaucoup, même en France. Mais elle cache un lourd secret, y compris à ses propres yeux : en réalité, Priscille Séverac est folle, inoffensive mais folle à lier. La nuit, elle ne dort que durant que les quelques heures précédent l’aube. Avant cela, elle passe des heures à noircir les pages d’un grand cahier, qui lui sert à la fois de journal intime et de mise à plat de ses réflexions, de ses communications télépathiques divines et de sa Mission. Priscille Séverac, en effet, pense qu’elle n’existe que pour accomplir, en temps et en heure, une mission particulière que Dieu lui a confiée : remettre le tsar Nicolas II sur le trône de Russie.

Bien qu’il ne soit pas clairement précisé si la folie de Priscille Séverac date de la révolution d’Octobre ou si elle était antérieure, l’assassinat de la famille régnante Romanov – alors très populaire en France, où depuis trois siècles, les tsars de Russie étaient reçus en grande pompe par l’Ancien Régime – fut pour Priscille Séverac un traumatisme personnel, au point qu’elle s'est persuadée, car Dieu le lui a fait comprendre, que le prince Romanov est encore vivant, quelque part, caché, et qu’il a besoin d’aide.

Aussi, entre le nettoyage, le service à table et la lessive, Priscille Séverac dévore chaque jour les journaux, à la recherche d’un indice envoyé par Dieu, lui indiquant où peut se trouver le prince Romanov, lequel est forcément quelque part en exil. Dès lors qu’une information brève semble recéler la possible présence d’un Romanov dans un quelconque endroit du monde, Priscille Séverac quitte ses employeurs, le plus aimablement du monde, assurant que sa volonté propre ne compte pas et que de plus hauts intérêts l’obligent à partir.

Au début de ce récit, Priscille Séverac travaille depuis quelques mois comme bonne en banlieue parisienne, jusqu’au moment où le journal lui révèle le séjour pour deux semaines à Venise d’un cousin de la famille Romanov. Pas de doute : c’est un signe du Seigneur.

Aussi, Priscille donne immédiatement sa démission, empaquète ses maigres affaires dans sa petite valise (quelques ustensiles de toilettes, son cahier, une chemise de nuit, et deux tenues semblables qu’elle porte en alternance) et part pour Venise. Malgré la modestie de ses gages, Priscille Séverac dépense si peu pour son bien-être qu’elle peut toujours compter sur des économies suffisamment substantielles pour pouvoir se payer le train pour n’importe quelle destination quand Dieu le lui ordonne.

Pour autant, elle ne voit pas plus loin que ça. Elle ne sait pas où trouver le cousin Romanov à Venise, elle ne sait pas où elle va loger, elle ne sait pas combien de temps elle restera sur place : pourquoi s'en faire, puisque Dieu a tout prévu ?

Heureusement pour elle, Giorgio Nera, le voyageur qui partage son wagon est un garçon avenant et simplet, avec qui elle engage la conversation, et auquel elle ne tarde pas à révéler sa Mission. Giorgio est suffisamment niais pour ne pas avoir au-delà des simples aspects pratiques du séjour de Priscille : sa mère est tenancière d’un hôtel. On logera la Française pour une somme raisonnable.

En compagnie de ce brave garçon, tout ému de sa démarche Ô combien romantique, Priscille Séverac parvient à trouver l’hôtel où réside le cousin des Romanov, et lui fait parvenir un message dans lequel elle assure avoir des preuves formelles que le dernier des Romanov est encore vivant. Elle l’invite à venir la voir pour de plus amples informations à son propre hôtel.

Bien évidemment, le cousin ne se déplace pas lui-même, mais il envoie son secrétaire, on ne sait jamais. Celui-ci frappe à la porte de Priscille Séverac à une heure avancée de la nuit, afin de demander des précisions. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre qu’il a affaire à une illuminée. Mais, considérant cette femme venue depuis la France pour débiter des sottises délirantes mais qui témoignent tout de même d’une certaine sympathie pour la famille du tsar, il se retire sans se fâcher, et même en la remerciant.

Hélas, Priscille veut comprendre dans ce brusque départ que le cousin des Romanov ne va pas tarder à la recevoir à son tour, et même à la garder près de lui. Elle passe donc plusieurs jours à attendre, durant lesquels sa facture d’hôtel commence à atteindre une somme inquiétante. Renvoyant un message au secrétaire, ce dernier, décidément fort aimable, lui fait porter une lettre, lui enjoignant à rentrer chez elle, accompagné d’un mandat couvrant ses frais d’hôtel.

Priscille Séverac rentre donc à Paris, sans être plus déçue que cela. Dieu étant à l’origine de tout ce qui lui arrive, elle ne fait qu’obéir à ses desseins sans se poser de questions, - les voies du Seigneur étant impénétrables, comme chacun sait.

À son retour, n’arrivant pas à retrouver du travail comme domestique, elle entre au service d’une lingère comme couturière, et répare des tissus abîmés toute la journée. Son employeuse est un peu surprise que Priscille ne sorte jamais se promener durant ses heures de pause. « Pourquoi le ferais-je ? », répond Priscille. « C’est le monde extérieur, ça ne m’intéresse pas ».

Comme cela arrive avec tous les gens qu’elle croise tout au long de sa vie, Priscille est perçue par sa patronne comme une bigote un peu lunatique, sans que personne ne devine l’étendue de sa folie. Néanmoins, pour la forcer à prendre l’air, la brave femme envoie Priscille remettre un courrier en mains propres à un client qui habite quelques rues plus loin, à côté de l’église russe.

Une église russe ?

Priscille Séverac ignorait qu’il y eut des églises russes à Paris : on ne parle pas de ces choses-là dans les journaux. Elle s’y rend donc avec un tel enthousiasme qu’entrant directement dans l’église, extatique face à la beauté chatoyante et divine de la nef, elle en oublie même de porter préalablement le courrier à son destinataire.

Grisée par la sensation d’être à la fois près de Dieu et dans l’ombre de la famille Romanov, elle manque, en traversant la rue, se faire écraser par un autobus. C’est un homme intrigué par sa démarche enivrée, sortant lui aussi de l’église, qui sauve in extremis la vie de Priscille Séverac.

Pour elle, c’est à nouveau la volonté divine qui se manifeste, d’autant plus que son sauveur est russe, qu’il se nomme Féodor, ancien soldat de l’armée du tsar, en exil avec un ami avec lequel il vit dans un petit appartement d’une rue voisine. Le déserteur est heureux de rencontrer une française nostalgique du tsar, qui veut bien parler avec lui, et l’aider ainsi à pratiquer le français. Chaque jour, Féodor et Priscille se retrouvent après la messe, et vont deviser chaleureusement en se promenant au Parc Monceau. Pour Priscille, qui n’a jamais connu d’amitié masculine, c’est un peu les plus belles heures de sa vie qui s’écoulent durant ces quelques semaines.

Mais un soir où elle partage son grand secret avec son nouvel ami, à savoir qu’elle est l’envoyée du Seigneur, et que son destin est de remettre sur le trône le tsar Nicolas II, - toujours vivant, elle en est sûre -, Féodor la regarde, effaré, comprend alors que Priscille est folle et s’enfuit en courant. Priscille reste perplexe face à cette attitude, mais là aussi, ce sont les desseins de Dieu, il n'y a rien d'autre à faire qu'à s’y soumettre.

Priscille revient ensuite chaque jour à l’église, mais n’y croise plus jamais Féodor. Plus affectée qu’elle ne veut se l’avouer, elle se rend alors à la rue que Féodor lui a dit habiter, et remonte les numéros un par un en demandant à chaque concierge s’il y a deux Russes qui habitent l’immeuble. Elle finit par trouver leur adresse, et va frapper à leur porte. Comme personne ne lui répond, elle tourne la poignée et entre, car c’est ouvert.

Féodor est absent, mais son ami, apparemment malade, somnole dans un fauteuil. Elle s’apprête à le réveiller, quand soudain, elle a la révélation que cet homme qu’elle voit dormir n’est autre que le tsar Nicolas II. Cela expliquerait alors la fuite de Féodor, qui peut-être se croyait démasqué par une espionne.

Elle décide de laisser dormir le "tsar", ressort sur la pointe des pieds, et donne consigne à la concierge de dire à Féodor à son retour que son amie Priscille Séverac est passée, et qu’elle reviendra demain.

Mais quand Priscille Séverac repasse le lendemain chez Féodor, elle apprend par la concierge que Féodor s'est montré mécontent de sa visite de la veille, et que les deux hommes ont déménagé en quatrième vitesse dans la matinée, puis sont partis vers une destination inconnue.

Pour la première fois, Priscille Séverac peine à expliquer par une volonté de Dieu les évènements qui s’imposent à elle. Quelque peu en état de choc, tant parce qu’elle était attachée à Féodor que parce qu’elle pensait enfin avoir retrouvé le tsar, elle retourne dans sa chambre chez sa lingère, et prie longuement le Seigneur pour lui demander de nouvelles instructions. Celui-ci ne tarde évidemment pas à se manifester, en lui certifiant que sa Mission a bien été accomplie, qu’une nouvelle Mission va bientôt commencer, mais que quelques jours de vacances dans son village natal d’Aubeterre lui permettront, en attendant, de se reposer le corps et l’âme.

Ainsi, selon sa bonne habitude, Priscille va annoncer à son employeuse qu’une volonté supérieure à la sienne l’oblige à partir. Elle fait sa valise et se rend à la gare pour rejoindre son village natal, où elle n’a pourtant plus de famille et ne sait pas où aller, mais quelle importance ? Dieu pourvoira toujours à ses besoins…

Sans véritable début, ni véritablement de fin, « Priscille Séverac » est un portrait tout à fait brillant d’une névrotique, dont bien des détails psychologiques tout à fait cohérents témoignent que le personnage est effectivement inspiré d’un cas réel. Selon Marcelle Tinayre, la femme dont elle a transposé l'histoire est morte, et les larges extraits de son cahier sont véritablement tirés du cahier de la défunte.

La démarche est donc originale et passionnante, même si on peut reprocher à Marcelle Tinayre de s’être finalement moins intéressée à la maladie de Priscille Séverac qu’à sa place dans une société qui tolère assez bien les folies douces et les lubies, sans pour autant chercher à les comprendre.

Car ce qui passionne l’autrice, c’est d'abord que son personnage ne soit pas une démente en marge de la société : elle y occupe une place certes ingrate, mais que sa folie des grandeurs lui permet de supporter, et ses employeurs la regrettent toujours quand elle part. Marcelle Tinayre ne cache pas non plus son admiration pour cette femme qui, après tout, à sa façon, écrit des romans, mais des romans qui ne sortent jamais de sa tête.

De ce fait, la posture de l’autrice est un peu malaisée : partagée entre un attendrissement poétique pour une mythomane, et une dissection quelque peu voyeuriste et goguenarde – car d’inspiration religieuse - de sa névrose, Marcelle Tinayre ne parvient ni à incarner son personnage, ni à se mettre totalement en retrait en tant que conteuse, et l’on voit l’histoire se dérouler tantôt avec ses yeux à elle, et tantôt avec les yeux de Priscille Séverac, non sans une certaine confusion. 

Ce détail mis à part, le roman est tout à fait plaisant à lire, bien qu’il laisse un peu sur sa faim. Peut-être qu’un excès de pudeur, d’ambiguïtés, ou peut-être simplement d’empathie envers un cerveau malade, laissent bien des questions en suspens sur le cas préoccupant de Priscille Séverac et sur le jugement qu’on doit cependant y porter.

Priscille Séverac est-elle à plaindre ? Marcelle Tinayre l’affirme mais semble en douter au nom d’une solidarité discutable entre « raconteuses d’histoires », même si cette comparaison complaisante entre un goût littéraire pour la fiction et une pathologie mentale sinistre, ne saurait, à mon sens, aucunement se justifier.
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Notes d'une voyageuse en Turquie

Marcelle Tinayre arrive en Turquie en 1909 au moment de la révolution des jeunes turcs et la destitution du sultan sanguinaire Abdülhamid II remplacé par Mehmed V.



Elle souhaite découvrir la Turquie, la vraie Turquie!



Grâce à ses rencontres et quelques protecteurs, elle pourra circuler dans la ville, visiter de nombreux lieux, approcher les combattants et rencontrer de nombreuses personnalités issues de différents milieux telles que des infirmières, des institutrices, un écrivain, des femmes de milieux aisés…



Elle nous en retranscrit l'état d'esprit, l'ambiance, les difficultés rencontrées mais aussi les nombreux espoirs de liberté tant politique que religieux des hommes mais surtout des femmes.





La préface d'Alain Quella-Villéger m'a fait peur. Le style est lourd, indigeste mais heureusement le style de l'auteure, Marcelle Tinayre, est bien plus agréable et fluide.



Le livre, sous forme de journal, est divisé en 4 parties :

- les jours de bataille et de révolution,

- les choses et les gens de provinces,

- les premiers jours d'un nouveau règne,

- la vie au harem.



La lecture a été très plaisante, les descriptions sont nombreuses et détaillées et nous plongent dans le quotidien de l'auteure durant son séjour.



L'auteure étant une femme, elle nous donne une vision plus douce de la révolution et de ses atrocités que celle qu'en aurait faite un homme et nous évite certainement des descriptions d'horreur.



De plus, elle s'attache à évoquer la condition de la femme orientale afin que nous puissions la comparer à la femme occidentale.

Elle nous décrit ainsi les espoirs des femmes qui veulent s'instruire et faire évoluer leurs conditions sans se résigner, sans rester enfermées dans leur statut de femme de l'ombre, invisibles, aux yeux des hommes et de la société, cachées derrière leur caffess, sous leur Tcharchaf ou dans leur harem. Les femmes rencontrées sont souvent avides d'instruction tandis que d'autres, par méconnaissance ou par crainte de l'avis de leur mari et de la société, préfèrent ne rien changer à leur vie et restent dans l'ignorance du monde qui les entoure. Ce statut de la condition féminine hors d'Europe intrigue cette femme cultivée et indépendante.



J'aurais aimé que l'auteure nous décrive plus en détail la vie des femmes et notamment celle des harems. Je m'attendais également voir évoqué les grands harems des sultans comme celui que l'on peut visiter au Palais Topkapi d'Istanbul. Il semble néanmoins qu'elle ait tenu à ne pas divulguer certains échanges afin de préserver ses interlocutrices mais aussi parce que l'époque durant laquelle a été rédigé ce récit imposait une certaine retenue.



Ce livre montre la soif de changement de la Turquie et sa volonté de s'émanciper vers le monde occidental mais aussi les prémices de la révolution d'Ataturk vers la laïcité et la liberté de chacun. Il nous montre aussi la fragilité de ces espoirs et me fait m'interroger sur cette liberté que nous souhaitons tous et qui est si fragile, toujours remise en cause, aujourd'hui encore, au nom de la religion.



Pourquoi la femme, peu importe la région du monde où elle habite, ne mérite-t-elle pas l'égalité avec le sexe masculin? Qu'ont les femmes, que font-elles qui autorise les hommes à limiter leurs droits dans leur corps et leur volonté ? Pourquoi les femmes doivent-elles se cacher du regard des hommes ? Ne savent-ils pas contrôler leur désir au vu d'une femme qui leur paraît séduisante? En quoi la "condition" de la femme fait qu'elles soient payées moins que les hommes?

Une femme tout comme un homme peut soulever des montagnes, faire des travaux pénibles, élever des enfants, réfléchir, penser, agir, fédérer, diriger...

Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre 1909 et aujourd'hui avec la dégradation ou la suppression de ce que nous pensions acquis au nom de la politique ou de la religion et ce quel que soit la région du monde.



Ce livre, agréable et bien écrit, est toujours d'actualité un siècle plus tard… et les libertés que l'on espérait et obtenues, que l'on pouvait penser acquises, ne le sont pas. Nous sommes dans un éternel recommencement.



Je remercie Babélio pour sa masse critique mais également les Editions Turquoise pour cette belle découverte … il semble que vous en ayez bien d'autres encore, alors je vous dis à bientôt!

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La révolte d'Eve : Chroniques et autres textes

Pour mener à bien sa révolte, Eve devait prendre sa plume



Dans sa préface, France Grenaudier-Klijn présente l’auteure en relation avec les sujets et les événements de son temps, son passage « de femme en femme, d’oeuvre en oeuvre », des créatrices aujourd’hui trop souvent « reléguées sous les mansardes de l’oubli ».



Elle souligne sa « haine des bourgeois », son anticléricalisme, sa défense des « mérites de l’union libre » et parle d’une « femme de voyages et de rencontres ».



Femmes, féminité, amour, liberté… « Que les textes s’avèrent rétorsions, objections, propositions, justifications ou simples explications, ils témoignent de préoccupation partagées entre refus avéré de légitimer l’infériorisation des femmes, et adhésion à un discours revendiquant la sexuation des rôles, particulièrement sur la question du travail féminin ». Il ne s’agit pas simplement, à mes yeux, de sexuation des rôles mais bien d’une naturalisation des femmes (« instinct de race », « fond primitif du féminin », « conformément à la nature », « ordre naturel », « contraire absolument à la nature », « héréditaire instinct », « leur rôle essentiel », « travaux de son sexe », « devoirs naturels », « instinct de plaire » par exemple) même si des aspects parfois contradictoires et ironiques forment une sorte de contrepoint dans les textes de l’auteure.



France Grenaudier-Klijn souligne trois dimensions discutées par Marcelle Tinayre « la question du droit de vote féminin », « législation relative au travail des femmes » et « les méthodes pour faire évoluer la cause des femmes », sa critique des « procédés » et l’insistance sur la justesse de la « cause elle-même ».



La préfacière évoque, entre autres, les mobilisations des féministes sur le droit de vote en avril 1914, le journal La fronde, différentes « sociétés » et congrès de femmes en France et à l’international. De Marcelle Tinayre, elle parle en terme de « Partisane d’un féminisme réformiste, qui envisage le changement par le biais de l’accès à l’éducation et de l’amélioration des conditions de vie plus que par l’obtention des droits civils et politiques ».



Le titre de cette note est extrait de cette préface.



Le livre est divisé en trois parties :

Chroniques d’une frondeuse (1898-1913)

Portraits de femmes

Entre-deux-guerres Regards et débats



Dans la première partie, Marcelle Tinayre parle, entre autres, du mariage, de l’exploitation « dans l’abnégation », de religion « de sacrifice », de l’avenir et de la révolte contre l’abus, de « l’ardente guerre pour le droit contre l’injuste souffrance », de Marceline Desbordes-Valmore, de « la duperie séculaire qu’on déguise sous les noms de vertus féminines, sacrifice, immolation, etc. », de respect des droits, de préjugés, « C’est l’homme qui vit sur un fond de préjugés, hérités en bloc, qu’il n’a point examinés, qu’il érige en lois et qu’il prétend imposer aux autres », des écrivaines « complices de toutes les évasions hors des vieux cachots séculaires murés par le prêtre, le soldat, le magistrat », des prétendus mariages d’amour, des « entraves légales, abus de force et d’autorité permis au mari », de personnalité inaliénable, de la signification des mots « égalité et liberté », des réactionnaires, des pudibonds et des dévots, des mouchards littéraires, de guerre contre alcoolisme et la prostitution, de guerre à la guerre, des excuses tacites trouvées aux jeunes hommes, de « Bastille légale et religieuse, où l’on étouffe », d’honorer les insurgés de 1789, « Mais il y une meilleure façon d’honorer les insurgés de 1789 ; continuer, achever leur œuvre… Sus aux Bastilles ! Vous avez chanté, vous avez dansé ; combattez maintenant », de surdité volontaire de beaucoup d’hommes, de littérature, des écrivaines et non des « bas-bleu »…



Le refus des « convenances » et la force de l’émancipation… Une certaine radicalité brisée par la première guerre mondiale…



La seconde partie est consacrée à des portraits de femmes, Marie Stein, Victoire Tinayre communarde, Renée Vivien, Fatmé Alié Hanoun, Cécile de Tormay, Georges Sand, Juliette Drouet entre autres, ou à des notes de voyages… Portraits et réflexions, toujours empathiques des personnes, même si les positions de l’auteure contre les suffragettes en laisseront plus d’un-e en « désarroi »…



Désarroi qui ne manquera de se manifester aussi dans la dernière partie, encore sur le droit de vote, la naturalisation des rôles assignés aux femmes… Mais il ne faudrait pas négliger la critique d’un suffrage universel mensonger, celle bien aiguisée de ces messieurs qui refusèrent le droit des femmes par des arguments que l’auteure démontre bien fallacieux, la dénonciation des mœurs politiques, l’ironie autour de la « sainte-égalité », l’expression primitive de la « primauté du mâle », les femmes décapitées-pendues-brulées-noyées, l’insolence diverse des filles et leur désir de savoir…



Si certaines positions de l’auteure me semble très critiquables (en regard des combats historiques d’autres femmes), reste le « refus avéré de légitimer l’infériorisation des femmes », des textes le plus souvent de révoltée, le rappel de la place des femmes et d’écrivaines… Un pan de l’histoire du combat des femmes qu’il convient de faire connaître.








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