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Critiques de Marie-Anne Dujarier (3)
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Troubles dans le travail

Manifester son engouement pour un billet sur Babelio, en rédiger un autre, sortir le linge de la machine et l’étendre, procurer à son conjoint l’écoute attentive qui le confortera dans son amabilité, remplir des tableaux d’indicateurs sur Excel pour son chef, rappeler un client, chercher un cadeau d’anniversaire pour sa petite dernière et éclaircir le semis de radis… autant de tâches hétéroclites qui convoquent, de manière plus ou moins partagée, la notion de travail. Et assez peu pourtant qui entreront dans les statistiques de nos institutions. La sociologue du travail Marie-Anne Dujarier part de ce constat : le travail est une catégorie de pensée incontournable pour parler de notre société. Ses significations prolifèrent et bien de nos discours reposent sur les nombreux implicites et les contradictions de ses significations surabondantes. Ce qui peut expliquer les malentendus et les difficultés à penser clairement ce qu’est « le travail ».

Avec une méthodologie exemplaire, l’auteur va remonter le temps et mener une étude diachronique des différentes acceptions du terme dans pas moins de 17 dictionnaires du XIe siècle à nos jours. C’est l’objet de la première partie. L’étude a le mérite de l’exhaustivité mais n’est pas très divertissante. En effet, en dépit du temps qui passe et des sens qui prolifèrent, les acceptions du mot « travail » recouvrent, depuis toujours, peu ou prou les trois mêmes domaines : l’activité, l’ouvrage, l’emploi.

Au-delà des seules définitions, la démonstration vise à circonscrire les différents usages du mot et à montrer tout ce qu’il recouvre sur le plan des valeurs. Ainsi est décrite l’institutionnalisation progressive du terme qui devient alors, dans ce champ, synonyme d’emploi, tout comme sa valorisation au nom d’une morale de l’action. On arrive dans un monde où travailler revient quasi exclusivement à être salarié, où être chômeur consiste à ne rien faire. Ce qui est répréhensible aux yeux au moins des grands patrons, lesquels tirent moins leur subsistance d’un travail que des bénéfices générés par celui des autres... Premier hiatus.

Par ailleurs, là où le travail est implicitement défini comme une action utile, il apparait que, de fiscalistes en bullshit workers, d’industries pétrochimiques en mastodontes du commerce mondialisé, de nombreuses activités concourent au contraire à détruire nos écosystèmes avec zèle et efficacité. Deuxième hiatus.

Enfin, que ce soient les petits arrangements quotidiens pour parvenir à mener sa tâche à bien malgré les process inadaptés ou les multiples activités qui n’appartiennent pas, consensuellement, au domaine du travail mais correspondent pourtant à une débauche d’énergie en vue d’un résultat utile, nombreux sont les champs qui échappent à la dénomination institutionnelle du travail. Et dont la négation sape la légitimité de cette catégorie de pensée. Troisième hiatus.

Comment alors penser tout ce que recouvre le « travail » quand le mot revêt tant de significations contradictoires ou inconciliables, quand ses champs d’application imposent des acceptions clivantes et que l’éviction de certaines de ses significations peut être compris comme un parti-pris idéologique visant à faire perdurer des inégalités injustifiables ?

C’est ce qui m’a le plus enthousiasmé dans cet essai : que le passage en revue du périmètre de la notion se fasse au nom d’une remise en cause de sa légitimité institutionnelle et bien peu interrogée. Ce que l’auteur nomme une « historicisation, une dénaturalisation des catégories » et qu’elle considère comme le cœur du métier de sociologue. Il ne s’agit pas de déboulonner pour le plaisir ni de faire table rase de toute représentation. Mais de mettre au jour les impensés afin de mieux discerner en quoi ils nous empêchent d’avoir les idées claires et donc de porter un regard pertinent sur notre monde. Préalable indispensable à sa nécessaire modification.

Pour cela, l’organisation de l’ouvrage aide considérablement : les chapitres sont nombreux, parfaitement organisés en sous-parties qui en facilitent la lecture. Les conclusions intermédiaires rassemblent un propos toujours cohérent et les quelques encarts concourent à fixer les idées des plus néophytes dont je suis. Je ne sais pas à qui il faut rendre hommage de cette organisation de l’éditeur ou de l’auteur mais cela rend la lecture particulièrement confortable.

Bien sûr, au terme d’une démonstration menée avec autant de rigueur, on attendrait encore plus et j’aurais aimé que s’en suive une réflexion philosophique et politique pour se défaire des catégories de pensée devenues impropres. Ce serait s’aventurer sur un terrain qui n’est pas celui de la sociologie et Marie-Anne Dujarier ne le fait donc presque pas sinon dans une rapide conclusion. Elle y invite à « déplier le mot » et « nous libérer de l’obligation de penser avec cette catégorie de pensée normative » en nommant autrement les instances, les tâches, les produits, les actions relative au « travail ». Bien sûr, cette piste m’emballe : il s’agirait, par le pouvoir performatif du langage, de modeler le monde et que les noms qui en désignent les parties correspondent au sens que l’on y voit ou que l’on veut y voir advenir. Ou quand la poïétique rejoint le politique et promettent davantage de justesse : vaste et enthousiasmant programme !

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Le travail du consommateur : De McDo à eBay :..

Conformément aux thème du livre, il serait malvenu de participer au site collaboratif de Babelio. J'arrête donc ici mon travail de coproduction collaborative puisqu'il sera, à coup sûr, monnayé sans me rétribuer !
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Le management désincarné

Génial! Je l'ai lu à sa sortie et depuis il m'accompagne en permanence. Ce livre décrit avec patience et beaucoup de pertinence les situations professionnelles auxquelles beaucoup d'entre nous sont confrontés chaque jour. Nous n'osons pas faire confiance à notre lassitude, mais il nous donne les outils mentaux pour considérer les égarements actuels du monde du travail avec du recul. Et donc du courage.

C'est à mettre entre toutes les mains.
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