Pour la première fois, je ne vois plus mon père avec mes yeux d’enfant blessée ou d’adulte qui juge mais avec ceux de l’amour et de la compassion. Ce sont des yeux qui font souvent plus mal que les autres.
C’est une chance qu’on construise nos vies avec assez d’obligations et d’occupations pour ne pas trop sentir le malaise et le doute en permanence. Il suffit de se noyer suffisamment dans le stress de la vie quotidienne pour ne plus rien sentir. On s’habitue à tout quand on ne regarde pas vraiment les choses en face. Rester en surface est un extraordinaire mécanisme de survie. Les problèmes finissent toujours par nous rattraper, mais ça permet quand même de continuer à fonctionner dans des situations insoutenables.
J’affronte ma peur d’être vulnérable en acceptant de l’être, et c’est le plus beau cadeau du monde. Je me sens totalement alignée sur ma vérité et je ne peux plus imaginer vivre différemment. Je suis allergique aux faux-semblants et c’est étonnant de voir avec quelle facilité j’exprime aujourd’hui mes états d’âme les plus profonds dans le respect des autres et de moi-même.
Même si le monde s’écroule à l’intérieur de moi, la vie, elle, suit son cours. Il y a un décalage incroyable entre mon drame intérieur et la réalité extérieure. C’est à la fois rassurant et enrageant. Il y a une partie de moi qui voudrait que la Terre s’arrête de tourner, que tout le monde comprenne que tout a changé.
Le cancer vient chambouler toute ma construction intérieure. J’ai l’impression d’être un barrage qui prend l’eau de tous bords. Je réussis tant bien que mal à résister aux courants qui s’infiltrent dans les brèches, mais ça me prend tellement d’énergie que j’ai les batteries complètement à plat.
On entend souvent de la bouche même des médecins qu’un patient qui a un bon moral a plus de chances de s’en sortir, donc peu importe la controverse sur la biologie totale, les émotions sont partie intégrante de la guérison. Je veux croire au miracle et au pouvoir de guérison du corps.
Étrangement, il y a quelque chose dans le déroulement des événements qui me rassure. La vie va nous aider. Rien n’arrive pour rien. Peu importe ce qui va se passer, nous saurons quoi faire. Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce qui va se passer.
Il est très pénible de se sentir impuissant sans savoir exactement ce qui ne va pas.
Facile. La communication, la créativité, avoir du plaisir et en donner, transmettre de la bonne humeur, de l’espoir, inspirer et être inspirée, entrer en relation avec les autres, divertir, transmettre un contenu, informer.
C’est fou ce qu’un mot peut provoquer comme terreur. Je n’ose même pas appeler mon conjoint pour lui en parler, parce qu’il faudrait que je prononce le mot et je me dis que c’est peut-être une erreur. Un cancer…