Un Printemps de Marie Le Cuziat
Frères, c'est se ressembler et parfois pas du tout.
C'est s'éloigner pour mieux se retrouver.
Il y a mille et une façons d'être frères.
La vie ne peut pas être aussi moelleuse que l’herbe épaisse et bien verte. Il y a forcement des clous sur le chemin, des douleurs vives.
Mme Machin est une dame dont je me souviendrai longtemps, peut-être même pour toujours. Ses reflets roux et la profondeur de ses yeux gris, la douceur de sa voix, son sourire d'automne, réconfortant. La boîte de mouchoirs posée sur le coin de son bureau rectangulaire, et la corbeille à ses pieds, probablement remplie de larmes de gens brisés. Je trouve que tous ces chagrins qui se mélangent ensemble c'est beau. Je me demande si les chagrins des autres suivent parfois Mme Machin le soir quand elle rentre chez elle ou si, par précaution, elle les met dans un grand sac-poubelle avant de partir.
J'aimerais qu'elle se souvienne de moi, de mes avancées, de la manière dont je me suis battue pour revenir pleinement dans la vie. Je voudrais qu'elle garde aussi Elise dans un coin de sa tête, l'image que je lui ai donnée d'elle et les morceaux de toutes les photos que je lui ai montrées.
Aujourd'hui je n'ai pas beaucoup parlé, j'avais plutôt envie de la regarder, prendre le temps d'imprimer son visage, d'enregistrer sa voix. Même si je pense que les gens qui nous sauvent restent pour toujours en nous.
- Laisser une trace, c'est important non ?
Mme Machin m'a posé cette question l'autre jour. Elle adore finir nos séances avec une question qui se met à flotter dans l'air jusqu'à la prochaine fois. Alors c'est ce que je fais, je laisse une trace. J'écris en secret, personne ne le sait, à part Mme Machin bien sûr. Elle est psychologue, tu avais deviné, non ? Il y a toujours plein de mouchoirs dans sa corbeille, mais moi je ne pleure pas.
- Pas encore, m'a-t-elle dit.
Machin, ce n'est pas son vrai nom, tu t'en doutes, mais je crois que je suis tenue au secret professionnel, ou quelque chose dans ce genre-là, même dans mon propre journal.
J'ai pris un agenda vert pour écrire, mon père en a plein son tiroir de bureau. Un agenda, c'est une bonne idée pour voir défiler les jours. Et puis un prénom sur chaque page, c'est une nouvelle personne à qui parler chaque jour, ça m'aidera peut-être. J'ignore pourquoi mon père a tant d'agendas, il doit avoir un truc à régler avec le temps qui passe. C'est ce que penserait Mme Machin à coup sûr. En tout cas, il ne risque pas de se rendre compte qu'il lui en manque un parce qu'en ce moment je crois qu'il ne voit même plus que je suis là, mais je ne lui en veux pas. Chacun fait comme il peut.
On a tous nos secrets, et on n'est pas obligés de les partager.
Ça va aller, je peux y arriver.
Il suffit que I'on me laisse encore un peu de temps Pas vrai que même les rois plient parfois?
Cher Richard Coeur de Lion, le mien est en miettes.
Alors, n'ai-je pas le droit de poser un genou à terre pour ramasser les morceaux?
La joie, ça se travaille, surtout quand elle s'en va quand on ne s'y attend pas.
Il suffit d'être avec la bonne personne pour aimer un endroit.