Des milliers d'yeux sont fixés sur l'Empereur. Toutes les femmes désirent rencontrer son regard, lui plaire, le retenir… Mais il passe, occupé d'une seule pensée.
On voit comment l’imagination de Marcel Proust travaille. On surprend aussi dans cette lettre, le début de cette initiation aux usages mondains, au code secret, qui vient d’Antoine. C’est de lui qu’il apprend qu’on ne dit pas les « de » Rohan, ou les « de » Noailles, pas plus que les « de » Guermantes. La suppression de la particule, quand elle n’était pas précédée du mot « Monsieur » ou du titre, est encore un mystère pour lui. Dans les débuts de la grande amitié, c’est Antoine qui l’instruit, et Marcel Proust se moque un peu de la coutume, avant de l’adopter, à la manière des Verdurin. Il cède à son ami, en ayant l’air de lui faire une concession. « Pour dire comme toi », alors qu’Antoine dit simplement comme tout le monde dans cette fraction du monde. Et l’intervention bouffonne : « D’après ton système, on devrait peut-être dire : portrait par Dyck » (Van étant la traduction flamande du « de » français) preuve qu’il se révolte encore un peu, avant d’accepter l’usage reçu d’un milieu qui n’est pas le sien.
Chateaubriand écrivait de Londres, où il commença les Mémoires d’outre-tombe : « L’Angleterre c’est Shakespeare. » Il convient donc de donner pour épilogue à cette brève étude de l’homme qui incarna l’Angleterre au moment où il a cessé d’être ce qu’il fut, cette parole de Macbeth : « And nothing is but what is not. »
Logicien comme sont les fous, il se croyait sans péché : n'avait-il pas la loi pour lui ? Jamais il ne trompait sa femme sous le toit conjugal.
Ainsi me fut révélée ma profonde parenté sentimentale avec Marcel Proust? Sauver de la mort, d'une façon toute allusive et dans la mesure de mes moyens, en confiant à d'autres, et puis à d'autres, la mémoire d'êtres chers et mortels, m'avait toujours paru le sens véritable et le but de toute littérature. Enfant, je m'étais fait un promesse de ne pas permettre que mon frère périt tout entier. C'était pour le sauver de l'oubli que j'apprenais péniblement à écrire. Je calligraphiais son nom sur les pages de garde de mes premiers cahiers. Cette disposition d'esprit me fit imaginer plus tard la vie comme un naufrage dont chaque homme, capable de faire un livre, était le Camoëns. Je me voyais moi-même jetée à la mer, sur le point d'être engloutie, nageant d'une main, et soutenant de l'autre, au-dessus des vagues, ma Lusiade, un livre où seraient notés les formes, les voix, les visages transfigurés et impérissables de ceux que j'avais aimé.
....car je ne parle comme beaucoup d'autres femmes, que lorsque je n'ai pas envie d'entendre ce qu'on me dit.
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C'était aussi un Marcel Proust juvénile que je n'avais jamais connu, flatté par la déférence comme tout pouvoir encore mal établi, et gardant, par une espèce de délectation d'esprit, jusque dans la camaraderie la plus affectueuse, le sentiment des nuances sociales qui ne plaisent que par contraste et que certaines gens nient, comme peuvent nier le bouquet des vins, ceux qui n'en ont ni le goût, ni l'usage.
Je suis ici, avec vos amis le soleil, la mer, les fleurs, etc... Nous parlons donc de vous. (Jean Cocteau, lettre à l'abbé Mugnier)
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Prolonger des adieux ne vaut jamais grand-chose ; ce n'est pas la présence que l'on prolonge, mais le départ.