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Bibliographie de Martine Lustrac   (1)Voir plus

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Citations et extraits (10) Ajouter une citation
Le psy ne répondit rien et Armand fut obligé d’avancer, de creuser au fond de lui-même. Mais il ne ramena que des poussières insaisissables alors que le sujet était toute sa vie. Un long silence s’ensuivit. Soudain, presque malgré lui, il prononça une phrase d’un coup.
— J’ai condamné mes filles à vivre dans l’adultère, ou plutôt leurs mères. L’affirmation était ambiguë et le pluriel inaudible aux oreilles du psy. Armand s’en doutait bien.
— Leurs mères avec un « s ».
— Ah, dit le psy d’un ton neutre.
— J’ai deux femmes, une épouse et une maîtresse. Avec chacune, j’ai une fille, martela Armand.
Dit comme cela, c’était précis, clair, mathématique. Deux fois deux quatre. Cela pouvait passer aussi pour une devinette : deux mères et deux filles sont sur un bateau, les filles tombent à l’eau, qui est-ce qui reste ? Armand était stupéfait de sentir se dérouler en lui ce genre de blagues déplacées, souterrainement aux phrases qu’il adressait au psy. Il aurait pu imaginer que ce soient les mères qui tombent à l’eau. À moins que ce ne soit lui qui boive la tasse !
— C’est ma vie qui se noie, finit-il par dire. Je suis dans une forteresse, il y a des douves tout autour et je me crois libre ! Je me sentais romanesque, je suis juste un planificateur. J’organise le déséquilibre. Et ça marche !
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Une image de bleu outremer occupait tout l’écran, les flots s’ourlaient à l’infini, la lumière crépitait sur les crêtes où s’effilochaient des traînées de blanc. Armand voyageait et flottait sans savoir où, sans pouvoir se représenter le mot « mer », sans savoir ce qu’était le monde, ni lui-même…Il n’était que bleu. Son visage portait, c’était inouï, rarissime, des marques de ravissement. Sophie s’assit à côté de lui et c’est à elle que la mémoire revint. Combien de fois, et avec quel lyrisme, son père lui avait-il raconté son voyage en Grèce avec Gilles lorsqu’il avait vingt-cinq ans ? Il parlait d’« éblouissement bleu », décrivait la terrasse d’une taverne minuscule, une table trois chaises, dans l’île de Sikinos, le vent dans les eucalyptus déplumés tremblant dans la lumière, Thalassa endormie dans une échancrure de la côte, étale et sereine.
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–- J’ai remarqué que l’âge n’avance pas progressivement. Il attaque par saccades, par secousses. Il nous fait basculer. Paf ! Un jour on constate qu’on a pris un nouveau coup de vieux. Expression révélatrice ! La vieillesse donne des coups, en effet ! On encaisse. On est condamnés à encaisser !
— Je sais.
—Tu as remarqué ? On n’a pas le droit d’en parler ! En tout cas pas frontalement, pas crûment, pas sincèrement, jamais complètement.
— Non, en effet.
— On est courageux ! On continue ! On courbe l’échine ! On se dégrade ! Mais on rase ses vieilles joues, on asperge d’eau de Cologne son cou de dindon, on coiffe ses trente cheveux ! On persévère !
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Le petit vieux avançait doucement sur le trottoir. La tête penchée en avant, les jambes raides, les pieds hésitants, une main noueuse sur la canne dont il ne se séparait plus. Il résistait plié comme on affronte le vent, tout seul dans son corps sec.
(...). Et puis son corps avait parlé. Il avait fallu lui rendre ce qu’il avait donné, le lui rendre dans l’ordre inverse de la vie, le langage, la marche, l’équilibre, la souplesse, les gestes, et même la peau et les dents. Peut-être finirait-il allongé et muet, comme un vieux bébé. C’était tout cela qu’il transportait sur le trottoir, dans le balluchon de son corps.
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Il sentait pourtant comme éternel le désir en lui, comme atemporelle la voix de la sensualité, simplement il devait les écouter en secret pour les faire vivre malgré le corps ennemi. Pourquoi, se disait-il, réserver aux jeunes le monopole de la chair vivante, enlaidir le désir lorsqu’il naissait dans un vieux corps ? Pourquoi était-ce indécent ? Pourquoi placer tout cela dans un creuset solitaire ? C’étaient plus que des réminiscences en lui. C’était la vie ! Et il était encore vivant ! Ses pas hésitants étaient une erreur, une faute de goût, une sorte de trahison injuste.
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Le lendemain même, il proposa à son petit-fils de l’emmener au Musée Rodin pour lui faire découvrir des chefs-d’œuvre. Il avait soif de frémir devant la beauté, d’oublier ses oublis, de s’en remettre à l’art qui fixe les choses pour toujours, les corps, les muscles, la peau, les étreintes, les baisers… (…)
— C’est aussi ça, l’art, faire de la beauté avec ce qui est laid, avec les pires choses.
— Mais pourquoi ?
— Pour affronter ce qui nous fait mal, pour nous en libérer. Créer pour être plus fort que la vie, toucher à quelque chose d’universel.
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Une fois le film de sa rencontre éteint, Armand retombait dans le réalisme de ses allées et venues, visites quotidiennes chez Asma et doublons des fêtes incontournables chez l’une et l’autre de ses deux femmes. Tout cela, même s’il résistait fortement à l’admettre, le fatiguait beaucoup à présent. Était-ce son corps seulement ? Était-il si certain que la jouvence, comme dans un vieux coffret renfermant des bijoux inaltérables, était encore en lui?
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Madeleine était cette sculpture devant laquelle il était longtemps resté en compagnie d’Étienne. Face à cette vieille femme assise nue, si abîmée par le temps, Armand s’était écrié en lui-même : Comme c’est terrible et comme c’est beau !  Ému, il se mit à regarder Madeleine comme une œuvre d’art et s’en trouva consolé.
Mais oui ! Il fallait regarder la vie par le prisme de l’art.
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Mais suffisait-il, pour fréquenter l’amour, d’aller d’une femme à l’autre ? De ne pas connaître l’usure de la monogamie ? Dans le fond, il était deux fois monogame, c’était tout !
— À quoi penses-tu ? demanda Asma.
Ah ! cette phrase à laquelle on répond toujours « À rien ! » alors qu’on est aux prises avec l’essentiel, se dit Armand.
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Mécontent de se découvrir de l’amertume, Armand s’irritait à quatre-vingts ans de couper la vie en avant et après, de faire comme tous, utiliser l’imparfait ! Avant j’aimais bien aller loin. L’imparfait méritait bien son nom.
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